Faux recrutements de personnel : Les arnaqueurs dévalisent en toute quiétude

6 mars 2023

Publications de fausses offres d’emploi sur les réseaux sociaux et les lieux publics, demande de frais de formation et d’étude de dossiers, proposition de salaires mirobolants, usurpation du nom des grandes sociétés ou multinationales… Au Bénin, les arnaqueurs lancent des recrutements fictifs pour dévaliser les jeunes qui n’obtiennent plus l’emploi miroité.

« J’ai transféré plus de 30.000 FCFA sur le compte mobile money d’un monsieur qui a publié une annonce de recrutement sur les réseaux sociaux pour un poste de magasinier au port autonome de Cotonou. Je n’ai pas eu le boulot et il me tourne en rond », lâche Géraldo H. sur un ton désabusé. Désespéré, il poursuit : « Pourtant, il m’avait rassuré que les sous allaient servir au frais d’étude de mon dossier, à la confection de badge, à l’achat d’un T-shirt et d’autres accessoires de travail ».
Comme Géraldo, des centaines de jeunes en quête d’emploi pour ne pas dire des milliers sont confrontés à l’arnaque au Bénin. Les faussaires déploient des stratégies pour appâter les jeunes candidats à l’emploi. Publications de fausses offres d’emploi sur les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp) et sur les lieux publics, demande de frais de formation et d’étude de dossiers, proposition de salaires intéressants, usurpation du nom des grandes sociétés ou multinationales et organisations internationales, sont autant de moyens mis en branle pour atteindre leurs cibles. Des plaintes se multiplient dans le rang des victimes. « Le 18 février 2020, l’office central de Répression de la Cybercriminalité a été saisi d’une dénonciation relative à un avis de recrutement de deux cents (200) personnes qu’aurait lancé la direction commerciale d’un réseau GSM de la place », poste l’OCRC sur sa page Facebook.
Retenu suite à un faux recrutement des agents au profit d’une entreprise au poste de technico-commercial à Cotonou, Eric Z. s’est fait arnaquer en payant une somme de 10.000 FCFA pour suivre une formation avant de prendre service. « Ils m’ont dit de rentrer chez moi et ont promis me recontacter pour le travail », se désole-t-il. Ismène Déguénonvo, analyste en cybercriminalité à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) explique l’intention des arnaqueurs. « Généralement, les auteurs publient les offres d’emploi pour commettre des actes frauduleux. Ils postent pour avoir des informations confidentielles des postulants quand ils demandent des cartes bancaires et des numéros de la caisse de sécurité sociale », révèle-t-elle.

Marché de l’emploi restreint
L’escroquerie à l’emploi est un phénomène en pleine ascension depuis plusieurs années. « Le phénomène de publication de fausses annonces de recrutement sur les réseaux sociaux ne date pas d’aujourd’hui », soutient Docteur Wenceslas Mahoussi, directeur de l’Observatoire des Sciences de l’Information et de la Communication (OBSIC). L’arrivée de l’internet au Bénin en 1995 renforce la stratégie des faussaires malgré les multiples mises en garde. « Il faut comprendre que nous sommes toujours dans un système international de désinformation et surtout d’arnaque. », martèle l’universitaire. Selon lui, nombre de jeunes chercheurs d’emploi ne sont pas toujours directement employables sur le marché de l’emploi pour défaut de formation qualifiante et en raison de leur faible niveau d’étude. « De l’autre côté, il y a d’autres, désœuvrés qui sont dans la logique de manipuler l’autre tranche de jeunes pour se faire de l’argent. », explique-t-il.
A ces raisons, s’ajoute l’effectif sans cesse croissant des jeunes actifs qui met une pression sur le marché de l’emploi déjà très limité pour contenir les demandeurs d’emploi. La Politique nationale pour l’emploi (2020-2025) mise en œuvre par l’exécutif béninois crève l’abcès. « La structure démographique du Bénin indique que la main d’œuvre béninoise est très jeune et qu’il existe une très forte pression sur le marché de l’emploi et sur le système éducatif », informe le document. Un ancien vice-recteur de l’université d’Abomey-Calavi, Farougou Souaïbou avoue lors d’un forum sur l’employabilité que plus de 22.000 diplômés sortent par an de l’UAC. Certains observateurs avertis de la vie socioprofessionnelle au Bénin vont plus loin. Ils estiment que les apprenants souffrent de manque d’ambition et d’engagement. Adjignon Dénis Hodonou, socio-anthropologue, chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi condamne une telle mentalité. Il estime que c’est un élément excitateur au phénomène d’arnaque. « L’arnaque à l’emploi se multiplie et gagne du terrain d’autant plus que les jeunes diplômés en quête d’emploi n’ont qu’un seul objectif que de trouver du travail pour être payés à la fin du mois. », souligne-t-il.

Jeunes désespérés et floués
Des escrocs usent de toutes les techniques pour endormir leur proie. Nantie d’une licence en finances, Huguette Q. est fatiguée de rester à la maison. Alors elle décide de se lancer dans la recherche d’emploi pour se prendre en charge. Désespérée, la trentaine révolue, tombe dans le piège d’une structure de prestation qui recrute pour plusieurs postes. Huguette a payé un montant de 4.900 FCFA par mobile money avec les frais de retrait pour espérer obtenir un poste de caissière. Mais, elle n’a pas eu le travail jusqu’à maintenant. Le responsable de la supposée structure lui a fait croire que cette somme va servir à confectionner un badge et un T-shirt. « Comme je vous l’ai dit, nous confectionnons le badge et le T-shirt pour ceux qui vont travailler avec nous », avertit le recruteur par message vocal à la postulante. Chez lui, le recrutement se fait sans entretien d’embauche, foulant au pied les règles minima d’un recrutement. « Nous ne vous avons pas encore appelée parce que le nombre d’agents voulus n’est pas encore atteint », s’est défendu le recruteur rapporte Huguette d’un air désolant. La liste des victimes n’est pas exhaustive.
Géraldo H. confie avoir payé une somme de 30.000FCFA à un présumé responsable d’entreprise sans obtenir l’emploi. Tout commence par un avis de recrutement publié par un monsieur sur sa page Facebook. L’offre d’emploi propose un poste de magasinier au Port autonome de Cotonou (PAC). « Un matin, il m’a dit de venir en face du Palais des Congrès de Cotonou où il viendra me chercher pour aller au port. », raconte la victime, d’une voix triste au téléphone. Floué, Géraldo n’a pas pu rencontrer son supposé recruteur sur les lieux indiqués. « J’ai attendu longtemps, je ne l’ai pas vu. J’ai appelé son numéro qui était hors zone », ajoute-il. Contacté au téléphone via WhatsApp, l’accusé nie les faits. Par message vocal, il se défend : « Je n’ai pas reçu de l’argent sans donner du job à un jeune ». Il affirme que sa structure est basée à Fidjrossè sans toutefois donner de précision sur sa situation géographique. En toute quiétude, ce présumé arnaqueur rappelle que chez lui, les candidats envoient leur dossier avant de payer le montant par mobile money. A la question de savoir combien les candidats donnent. Curieusement, l’homme avance la somme de 30.000FCFA. « Les 30.000FCFA constituent des frais d’étude de dossier et d’achat des équipements de travail au port », détaille-t-il au téléphone.
En décembre 2022 à Cotonou, un homme se faisant passer pour le directeur technique agricole d’une société, a escroqué près de 90 jeunes demandeurs d’emploi. Il a réussi à soutirer à chacun d’eux un montant de 15.000FCFA en contrepartie d’un poste de superviseur de marchandises de coton au Port autonome de Cotonou (PAC). Soit près d’une bagatelle de 1.350.000FCFA escroquée aux jeunes. Débordé de stratégies, le présumé faussaire adopte un mode opératoire insoupçonnable. Il poste une annonce de recrutement sur les réseaux sociaux notamment sur Facebook. Et ce n’est pas tout. Mettant en place toute une administration pour inspirer la confiance, le supposé fautif a créé un forum WhatsApp pour faciliter la communication entre lui et ses victimes. Par cette plateforme, il a envoyé un communiqué pour fixer une rencontre avec toutes les victimes le 5 décembre 2022 au carrefour SICA Toyota à Vêdoko. Malheureusement, l’homme n’était plus sur les lieux comme il avait annoncé. “ Il n’était pas au rendez-vous alors que plusieurs de nos amis sont venus de l’intérieur du Bénin : Ouidah, Parakou, Sèmè, Porto-Novo et Abomey”, témoigne Philémon D., une des personnes arnaquées dans cette affaire. A partir de cet instant, le criminel ne décroche plus son téléphone, murmure José F., abattu et démoralisé. Maintenancier en informatique de formation au chômage, José confie avoir fait un prêt pour payer les 15.000FCFA exigés par son futur employeur. Selon les victimes, une plainte a été déposée contre l’arnaqueur au commissariat central de Cotonou pour mettre la main sur l’individu en cavale. Contacté au téléphone par la rédaction du journal Fraternité pour avoir sa version des faits, l’homme recherché par les flics a rejeté toutes sortes de rencontre. H.D. craint la police républicaine et ne compte pas se prononcer sur son forfait.

Usurpations d’image en cascade
Les arnaqueurs ne lâchent pas l’affaire. Ils se servent aussi des institutions publiques et des multinationales pour commettre leurs forfaitures. L’armée béninoise, le groupe Bolloré Transport & Logistics au Bénin, l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), les réseaux GSM et les banques sont, entre autres, autant d’entreprises de renommées ciblées par les arnaqueurs pour crédibiliser leurs actes malveillants. En août 2022, une annonce de recrutement du personnel au profit des Forces armées béninoises (FAB) a fait le tour des réseaux sociaux. Tapis dans l’ombre, des individus ont créé une page Facebook « Etat-Major » pour tromper la vigilance des populations. Aussitôt alertée sur la supercherie, la grande muette dénonce une fausse information et invite les populations à la vigilance. L’image du groupe Bolloré Transport & Logistics a été plusieurs fois usurpée par les faussaires pour lancer un recrutement fictif. « Plusieurs jeunes, victimes de cette escroquerie en ont hélas, déjà fait les frais en engageant des sommes d’argent à eux réclamées par les auteurs de cette arnaque », dénonce les responsables de la filiale à travers un communiqué. Le recrutement de 1.000 jeunes dans le secteur du textile au profit de la société d’investissement de la promotion industrielle (SIPI) organisé par l’ANPE début 2022 a été très tôt récupéré par les usurpateurs. Des inconnus se sont fait passer pour des agents de l’agence pour réclamer de l’argent aux candidats présélectionnés en vue de garantir à chacun d’eux un poste. Un acte que le directeur général de l’ANPE rejette et dénonce par un communiqué. « Toute la procédure de sélection est gratuite et n’entraîne aucune dépense à la charge du candidat », martèle Urbain Amégbédji. Face à cette recrudescence de l’arnaque, l’OCRC multiplie les appels à la vigilance à l’endroit des jeunes apprenants.

Les auteurs risquent gros
Les criminels abusent de la vulnérabilité et de la situation précaire des jeunes frappés par le chômage et le sous-emploi. “Leurs crimes peuvent aller du vol d’argent ou de données, de l’atteinte à la vie privée des citoyens, des fraudes jusqu’au viol”, soutient la stratégie nationale de sécurité numérique (2020) par le gouvernement béninois.
En République du Bénin, l’arnaque, sous toutes ses formes, est une pratique criminalisée et interdite par les textes. Raïssa Tchiakpè est juriste : “En effet, ces actes sont constitutifs d’infractions et l’auteur ou les auteurs s’exposent à diverses peines. Selon les circonstances, l’auteur peut être reconnu coupable d’escroquerie ou d’usurpation d’identité en ligne”. Dans son analyse, elle s’appuie sur la loi n°2017-20 du 20 Avril 2018 portant code du numérique en République du Bénin. Elle précise que le cas de l’usurpation d’identité en ligne par les arnaqueurs est prévu par l’article 562 du même code. En son alinéa2, le texte met en garde les auteurs : « Lorsque les faits ont été commis au préjudice d’une personne dont la situation de vulnérabilité en raison de l’âge, d’un état de grossesse, d’une maladie, d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale était apparente ou connue de l’auteur des faits, les peines minimales sont doublées ».
S’agissant de l’escroquerie, une pratique aussi en vogue dans le secteur de l’emploi des jeunes, la juriste insiste que le document reste ferme à l’encontre des contrevenants. C’est une infraction prévue par l’article 566 du code du numérique. A l’alinéa1 le texte dispose : « Quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses quelconques, se fait remettre ou délivrer des biens et valeurs par le biais d’un système informatique ou d’un réseau de communication électronique et a par un de ces moyens, escroqué tout ou partie de la fortune d’autrui est puni d’un emprisonnement de deux (02) ans à sept (07) ans et d’une amende égale au quintuple de la valeur mise en cause sans qu’elle soit inférieure à un million (1 000 000) de francs CFA ».
L’escroquerie à l’emploi ne se limite pas seulement sur le web. Elle s’invite également dans les relations interpersonnelles. A ce titre, la loi n° 2018-16 portant code pénal en République du Bénin avertit. Ce texte réprime avec de lourdes peines les auteurs qui se seraient rendus coupables par des actes d’escroquerie.
En son article 648 alinéa1, le document prévoit : « Quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader de l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, ou pour faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès ou de tout autre événement chimérique, se sera fait remettre ou délivrer, ou aura tenté de se faire remettre ou délivrer des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions, billets, promesses, quittances ou décharges, et aura, par un de ces moyens, escroqué ou tenté d’escroquer la totalité ou partie de la fortune d’autrui, sera puni d’un emprisonnement de un (01) an au moins et de cinq (05) ans au plus et d’une amende de cent mille (100.000) à deux millions (2.000.000) de francs CFA ». L’existence de cet arsenal juridique montre que la justice béninoise reste engagée dans une guerre contre les hors-la loi. Au plan technique, l’Office de répression de la cybercriminalité (OCRC) est un bras opérationnel non négligeable pour les hommes en toge.
L’arrestation et la condamnation des arnaqueurs par les magistrats font les choux gras de la presse nationale. Pour mieux apprécier la lutte contre l’arnaque à l’emploi à travers les chiffres, une demande de statistiques portant le numéro 2415 du 7 novembre 2022 a été adressée à la direction des affaires pénales sur autorisation du ministère de la justice. Mais, cette demande pour obtenir les données sur le nombre de condamnés et de mis sous mandat de dépôt par la justice reste lettre morte. En attendant, le nombre des victimes de l’escroquerie dans les villes et campagnes monte en flèche. Que faire pour prévenir ce phénomène ?

Avoir de la culture numérique
De nombreuses voix s’élèvent pour appeler à la prudence des apprenants. Patience, ouverture d’esprit et courage doivent animer les candidats à l’emploi. Adjignon Dénis Hodonou recommande aux jeunes : « Il faut chercher d’abord des informations préalables et analyser la crédibilité de l’annonce qui est publiée ». Très sensible à la situation des jeunes, le sociologue avertit également sur les fausses offres qui sollicitent de l’argent. « Si dans l’annonce de recrutement la sollicitation de l’argent fait partie des conditions pour postuler à l’offre, cela doit être suspect aux yeux du chercheur d’emploi », ajoute-t-il. Rompant le silence, Docteur Wenceslas Mahoussi conseille aux jeunes apprenants et chercheurs d’emploi la culture et l’hygiène numériques. Selon lui, la culture numérique permet aux jeunes d’identifier les fausses annonces de recrutement. Il cite le cas de certaines offres qui portent une adresse mail terminée par Gmail ou Yahoo.fr. Pour l’universitaire, c’est un élément très suspect qui frise l’arnaque . « Aucune institution internationale sérieuse n’a une adresse qui se termine par Gmail.com ou Yahoo.fr et autres. Les institutions internationales disposent de leur propre serveur de messagerie. », sensibilise-t-il. S’agissant de l’hygiène numérique, il consiste à prendre certaines mesures avant de se connecter à l’internet. « Il faut éviter de se connecter à n’importe quel WiFi. Le mot de passe doit être bien sécurisé », ajoute le maître-assistant des sciences de l’information et de la communication (SIC) à l’UAC. Nombreuses sont les caractéristiques des fausses publications sur l’emploi. Ismène Déguénonvo, analyste en cybercriminalité énumère le salaire trop élevé, des fautes d’orthographe et de grammaire, demande de compte bancaire et de carte nationale de sécurité sociale. Elle met un accent sur les liens insérés dans les offres d’emploi. « Il faut faire très attention aux liens de téléchargement. Les arnaqueurs les utilisent pour avoir accès à vos données personnelles », alerte-t-elle au cours d’un séminaire en 2022. Ismène ne passe pas sous silence les astuces pour se prémunir contre les fausses offres de recrutement. Elle recommande aux jeunes de recopier les offres surtout celles venant des grandes entreprises dans google pour vérifier sa crédibilité ». Les arnaqueurs à l’emploi dictent leur loi malgré les efforts de la justice béninoise. Les victimes ne doivent pas courber l’échine. En cas d’attaque, le recours aux autorités sécuritaires et judiciaires est primordial. Pour Raïssa Tchiakpè, la procédure pour interpeller les faussaires sont simples. « Lorsqu’on est victime d’une arnaque à l’emploi, il est nécessaire de déposer une plainte à l’OCRC, au commissariat de police le plus proche ou auprès du procureur de la République territorialement compétent », conseille-t-elle. Revenant sur les précautions à prendre, Ismène exhorte les jeunes à rassembler nécessairement les preuves de l’arnaque. « Ne manquer pas d’alerter les responsables de l’entreprise usurpée par les fautifs », recommande l’analyste en cybercriminalité. Aline Adjibi souligne que les arnaqueurs opèrent dans tous les domaines. « Les candidats doivent beaucoup se méfier », conseille-t-elle à tout le monde.
Joël SEKOU (Coll.)



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