Femmes de pouvoir en Afrique : Reines d’hier et décideurs d’aujourd’hui

8 mars 2023

Dans une Afrique très patriarcale, le pouvoir s’est de tous les temps, voulu masculin. De nos jours encore, prétendre à son exercice n’est une évidence, un droit inné que pour les hommes tandis que cette aspiration est une véritable conquête, un droit à acquérir dans les faits pour les femmes. Quoique timidement, l’horizon s’éclaire, tout de même, par ces femmes qui mettent le pied à l’étrier et gravent leurs noms dans les annales de l’histoire en ouvrant la voie aux autres. Projecteur sur quelques femmes du passé dont les œuvres d’éclat sont parvenues à notre temps et sur les contemporaines qui gardent ce flambeau allumé.

Tassi Hangbé, reine du Danxomè

Autrefois occultée par l’histoire, Tassi Hangbé, née vers la moitié du 17ème siècle, est l’unique femme parmi les 14 souverains qui ont règné de 1600 à 1900 sur le Danxomè, un grand royaume d’Afrique de l’Ouest. Hangbé, surnom qui lui a été donné en raison de sa mélodieuse voix, devint son nom. Avant même de porter les attributs royaux en 1708, la princesse Tassi Hangbé suscita le respect et l’admiration de son peuple en triomphant avec les troupes armées sur les Ouémènou, à la bataille finale de Lissèzoun à laquelle elle participa déguisée en son frère jumeau. Fidèle à la première des 41 lois édictées par son père Houegbadja, roi fondateur du Danxomè, elle agrandit le royaume en poursuivant les guerres du roi Akaba, son prédécesseur et jumeau, mort brusquement et dont l’héritier était alors mineur. Combattue pour son cran et son franc-parler par la noblesse phallocrate de l’époque, la reine abdiqua enfin en 1711 sous les inquiétantes menaces de mort qu’exercaient ses comploteurs sur son fils. Avant-gardiste de la promotion de la femme, elle créa la célébrissime armée des amazones du Danxomè, le clan des Tassi, femmes dignitaires et incita les femmes à l’apprentissage des métiers dits d’hommes. Son palais royal existe encore aujourd’hui à Abomey, ancienne capitale du Danxomè.

Abla Pokou, reine des Baoulé

Née au début du 18ème siècle dans l’empire Ashanti du Ghana, la princesse Abla Pokou dut s’enfuir de Koumassi, la capitale de l’empire lorsque son frère Daaku, prétendant légitime au trône mourut dans la guerre de succession qui éclata après le décès au combat du Roi Osséi. Accompagnée de serviteurs, de soldats et de sujets demeurés loyaux à sa personne et à son frère, Abla Pokou se retrouva à la tête d’une grande suite en fuite avec elle vers le Nord-Ouest du Ghana, vers un douloureux sacrifice pour la princesse. Poursuivies par les troupes opposées à son défunt frère, Abla Pokou et sa suite se heurtèrent dans leur avancée à la frontière naturelle du Ghana avec l’actuelle Côte d’Ivoire : le fleuve Comoé violemment agité par la saison pluvieuse. La traversée du fleuve étant vitale à la survie des siens, la princesse, le cœur gros, consentit à la demande de son devin et lâcha dans les eaux déchainées son petit garçon vivant. Après quoi, comme par enchantement, le Comoé se calma et les arbres alentours s’inclinant formèrent un pont de lianes pour faciliter la traversée. Une fois à l’abri, Abla Pokou pleurant, déclara : « Ba wouli » signifiant l’enfant est mort ! Ainsi, naquirent les Baoulé, une ethnie de Côte d’Ivoire et peuple dont le nom rend hommage au petit prince sacrifié. Fatiguée par cette longue pérégrination, elle parvint néanmoins à structurer son royaume et préparer sa succession, avant de rejoindre ses ancêtres. Depuis, la reine Abla Pokou est évoquée comme emblème du courage et du renoncement à soi pour la raison d’Etat.

Yennega, reine des Mossi

Fille du Nedega, roi du peuple Dagomba de Gambaga, région du nord de l’actuelle République du Ghana, Yennega vécut entre le 14ème et le 15ème siècles. Fierté de son père, la courageuse princesse développa très tôt de l’intérêt pour les chevaux et les armes. Bien que l’un et l’autre furent interdits aux femmes par la tradition de son peuple, le roi autorisa sa fille au fort tempéramment à monter à cheval et à manier les armes. Cavalière remarquable et très habile pour manier les armes, Nedega fit de Yennega la chef de guerre de son armée. Père très protecteur de sa fille, le roi rejetait toutes les propositions de mariage pour Yennega au point où il décida qu’elle était trop précieuse pour être mariée. Le roi étant resté indifférent à toutes les approches de sa fille pour lui exprimer son désir de se marier, Yennega s’enfuit loin une nuit, sur un cheval blanc. Perdue en forêt, dans la région des Boussané, elle fit la rencontre de Ralié, un chasseur de sang royal qui fuit lui aussi les contraintes de la royauté. Les deux âmes en quête de liberté s’unirent et donnèrent naissance à un garçon qu’ils appelèrent Ouédraogo en référence au cheval blanc de Yennega. C’est lui qui, envoyé plus tard par sa mère vers Nedega son grand père, unira les peuples Dagomba et Boussané pour former le peuple Mossi (signifiant beaucoup d’hommes en langue bambara) de l’actuel Burkina-Faso. L’impact de la princesse rebelle sur l’histoire de ce pays est tel que la plus grande distinction du prestigieux FESPACO lui est dédiée : l’étalon d’or de Yennaga. Elle est vénérée par les Mossi comme la mère fondatrice de leur royaume car ils n’auraient pas existé sans son audace et son attachement à sa liberté.

Nzinga, reine d’Angola

Née à la fin du 16ème siècle, la princesse Nzinga est une fine stratège à l’autorité réputée. Elle démarra, toute petite, son apprentissage de la fonction de chef d’Etat auprès de son père dont elle était devenue l’ombre. Celle qui plus tard reçut le surnom de la reine dont la flèche trouve toujours son but, était aussi excellente en négociation. Quand mourut son père, en 1617, c’est elle que son frère, nouveau roi, envoya à Luenda, la capitale du pays pour négocier avec le colon portugais. Escortée par les acclamations des siens, Nzinga fut reçue par le vice-roi du Portugal qui voulant lui faire sentir sa supériorité, l’invita à s’asseoir au sol. Pour répondre à l’injure du colon, l’audacieuse princesse ordonna à sa servante de se mettre à quatre pattes afin de lui servir de siège à la hauteur de son interlocuteur. Convaincante, elle obtint de celui-ci le recul de ses troupes hors des limites initiales de l’Angola. Le quittant, elle lui aurait laissé sa servante pour lui signifier qu’en sa qualité d’ambassadrice du grand roi d’Angola, elle ne pouvait deux fois utiliser le même objet. Jugée menaçante à cause de son charisme, le roi fit assassiner son fils nouveau-né avant de la faire stériliser par un tison ardent pour s’assurer qu’aucune descendance à elle ne prétende au trône. En 1624, poussée par la vengeance, Nzinga empoisonna son frère avant de tuer à son tour son fils pour s’assurer aucune contestation au trône. Devenue reine, elle défendit férocement jusqu’à s’éteindre, chaque bout de terre de son pays. Sa ténacité et son attachement à son peuple font d’elle, une héroine africaine de la lutte contre l’invasion de l’Afrique.

Wangari Maathai, 1ère africaine Prix Nobel de la Paix

Pionnière, la « tree woman », femme des arbres, née le 1er avril 1940 l’a toujours été. Première à être scolarisée dans sa famille, première kenyane à soutenir un doctorat, elle est également la première à diriger une faculté, la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Nairobi. Décédée le 26 septembre 2011, Wangari Maathai s’est véritablement gravée dans la mémoire collective comme la 1ère femme africaine à décrocher, le prestigieux Prix Nobel de la Paix en 2004, pour « sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix ». Ces trois concepts constituent l’essentiel de la raison des combats qu’a menés la kenyane en 71 ans de vie. Le Green Belt Movement, mouvement de la ceinture verte, qu’elle a créée en 1977 pour faire face à la déforestation est considérée comme le plus grand projet de reboisement en Afrique pour avoir réussi en 50 ans à mettre en terre plus de 50 millions d’arbres en vue de lutter contre l’érosion des sols. Persuadée que les défis environnementaux sont liés à la bonne gouvernance et à la paix, elle prit position pour ces causes et est même parvenue à se faire élire au parlement de son pays en 2002. Si son caractère trempé et son franc-parler l’ont conduite en prison à plusieurs reprises entre 1978 et 2002. Ils ont contribué à faire d’elle, cette référence qui aujourd’hui encore, inspire tant de femmes.

Ellen Johnson Sirleaf, 1ère femme présidente en Afrique

Elue Présidente du Libéria en 2006 face au Ballon d’or africain George Weah, Ellen Johnson Sirleaf devint la toute première femme à accéder à la magistrature suprême d’un pays africain ; après sa première tentative en 1997 contre Charles Taylor dont elle avait, avant de s’opposer à lui, soutenu la gouvernance pendant qu’elle était au début de son exil. Accédant ainsi au pouvoir, elle hérita d’un pays ravagé par 15 années de guerre civile qu’elle s’employa à pacifier. Brillante économiste formée à Harvard aux Etats-Unis, cadre de la Banque mondiale, Ellen Johnson Sirleaf n’était pas étrangère aux réalités du pays. La femme de fer, née le 29 octobre 1938 à Monrovia au Libéria fut ministre des finances sous la présidence de William Tolbert, assassiné lors du coup d’Etat perpétré par Samuel Doe en 1980. C’est ce dernier qui emprisonnera Ellen et l’exilera en raison de son engagement pour la défense des droits des Libériens, cause qui l’amenait à critiquer vivement la dictature militaire répandue dans le pays sous le pouvoir de Samuel Doe. Le 17 juin 2011, au Sénégal, L’African Gender Award, prix d’excellence créé en 1996 par l’ONG Femmes Africa Solidarité, lui a été décerné. Réélue quatre jours seulement après avoir reçu le Prix Nobel de la Paix, le 7 octobre 2011, « Mama Ellen » a quitté le pouvoir le 22 janvier 2018.

Ngozi Okonjo-Iwéala, 1ère femme et 1ère dirigeant d’origine africaine de l’OMC

Nommée le 15 février 2021 à la tête de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iwéala est devenue non seulement la première femme mais aussi le premier cadre africain de l’histoire de l’institution à accéder à cette fonction. Seule candidate restée en lice, après le retrait de la course de sa concurrente, la ministre sud-coréenne du commerce Yoo Myung-hee, le défi majeur de la nouvelle directrice est grand : dynamiser l’OMC qui paralysée depuis quelques années, n’arrive plus à jouer son rôle. Même si l’autrice américaine Sarah Chayes a sous-entendu que le choix de la Nigériane a été stratégiquement influencé par sa couleur de peau, cette femme de rigueur de 68 ans, ancienne directrice générale de la Banque Mondiale a du parcours à son actif. Bien qu’elle n’ait pas pu se faire élire le 16 avril 2011, face à l’américano-coréen Jim-Yong-Kim, à la présidence de cette même institution où elle a travaillé pendant 25 ans, Ngozi Okonjo-Iwéala avait bénéficié du soutien des pays émergents du Brics pour cette cause. Deux fois ministre de l’économie et des finances du Nigéria, deux mois durant chef de la diplomatie de ce pays, elle est l’une des femmes les plus puissantes du Nigéria.

Samia Sululu Hassan, présidente en exercice de la Tanzanie

Première vice-présidente de la Tanzanie depuis l’arrivée au pouvoir en 2015 de John Magufuli dont elle était la colistière, Samia Sululu Hassan succède à ce dernier à son décès en 2021. Titulaire d’un master en développement économique communautaire, elle devient ainsi la première femme présidente de ce pays de l’Afrique de l’Est et exercera le pouvoir jusqu’en octobre 2025, fin du mandat du « bulldozer », son prédécesseur John Magufuli. Représentant régulièrement le président défunt à l’étranger, elle y était déjà devenue le visage de la Tanzanie. Depuis 2000, son nom était familier dans le milieu politique où elle a eu sous sa tutelle, quatre (04) différents ministères. Dans un contexte où John Magufuli avait muselé l’opposition, mené une répression des médias et bâti une forte emprise de son clan, la tâche pourrait être rude pour la dirigeante de 63 ans.

Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)





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