Habillement à l’entretien d’embauche : Guerre de tranchées entre recruteurs et demandeurs d’emploi

28 septembre 2022

Négligence, pauvreté, éducation, manque d’informations et ignorance…De nombreux jeunes diplômés sans emploi issus des universités et écoles professionnelles tirent le diable par la queue. Après la candidature à l’emploi, la phase de l’entretien d’embauche devant les recruteurs devient un casse-tête pour la plupart qui ignorent le rapport entre le style vestimentaire et la culture d’une entreprise.

Paquita Bossou Batonon est chargée de l’employabilité des jeunes au service d’une organisation syndicale très représentative au Bénin. Chaque jour, elle n’a pas de repos. Son téléphone portable ne cesse de sonner. Quand Paquita décroche ses appels, recruteurs, patrons d’entreprises et candidats à divers postes d’emploi multiplient des plaintes contre des entretiens d’embauche. Au cœur de la polémique, le style vestimentaire des postulants. « Une jeune dame s’est rendue à un entretien d’embauche au poste d’agent commercial en sandalettes », rapporte-t-elle sur un ton désabusé. « Le recruteur tout furieux m’a fait le retour un matin très tôt », se souvient-elle. Paquita devient de facto une « juge » des recrutements pour arbitrer les mésententes entre recruteurs et chercheurs de job sur une mauvaise communication vestimentaire. Son travail consiste à organiser des séances de coaching en faveur des jeunes diplômés sans emploi pour une insertion professionnelle. Elle publie aussi via les réseaux sociaux les annonces de recrutement des sociétés et entreprises œuvrant sur le territoire du Bénin. Dans ce cadre, elle instaure le retour aussi bien des recruteurs que des chercheurs d’emploi. « 60 % des plaintes relatives à un mauvais habillement des postulants m’ont été rapportées dans le cadre de mon service », rappelle-t-elle.
Un autre entretien d’embauche pour le poste d’assistante de direction tourne mal. Une jeune dame, la trentaine environ, avait porté une mini-jupe qui laissait voir ses cuisses avec un maquillage très prononcé. Désiré Sossou, enseignant en gestion des ressources humaines a dirigé cet entretien. « Ce n’était pas gai à voir cette scène », se désole-t-il face à ce qu’il appelle une pure exagération.
Des centaines de jeunes diplômés pour ne pas dire des milliers s’illustrent mal lors des castings de recrutement. Croyant que les compétences intellectuelles et techniques seules suffisent pour décrocher leur gagne-pain, ils ignorent à tort ou à raison leur style vestimentaire. Les raisons sont multiples.

Education, mauvaises fréquentations…
Le mauvais habillement des demandeurs d’emploi lors des entretiens d’embauche s’explique de diverses façons. De l’avis de nombreux spécialistes en recrutement au profit des entreprises, l’éducation, la pauvreté, l’ignorance et même les mauvaises fréquentations sont surtout à l’origine de ce phénomène. Ahmed Sero, enseignant en gestion des ressources humaines à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature de l’université d’Abomey-Calavi (Enam) tentent d’expliquer. « Il y a des raisons liées au manque de moyens financiers pour les jeunes issus des familles modestes », justifie-t-il. Valérie Mitokpè, spécialiste en science de l’éducation crève l’abcès : « Et j’irai même encore loin pour parler d’un manque de considération de l’alter ego par endroit. ». Des apprenants par manque d’information sur leur profil professionnel pensent que seules les compétences intellectuelles et techniques permettent de réussir un casting. « Malgré votre background ou votre bagage intellectuel, vous serez très vite jugé premièrement sur votre apparence physique et votre expression non verbale », poursuit la consultante-formatrice. C’est le physique du candidat ou de la candidate qui parle, souligne-t-elle. Cette pratique chez les jeunes en quête d’emploi, aux yeux de Romaric Banon, recruteur dans une structure de la place, frise l’impréparation : « Ils n’ont pas eu des informations nécessaires pour se préparer à un entretien d’embauche ». Adélaïde Hounyè, chargée de communication et de marketing à Cotonou trouve que les chercheurs d’emploi dorment sur leurs lauriers face à ce qu’elle appelle la culture vestimentaire dont chaque entreprise se dote sur le marché de l’emploi. « Les jeunes diplômés ignorent le lien entre l’habillement et les réalités vestimentaires d’une entreprise », avoue-t-elle.

Recruteurs déçus…
Des recruteurs à l’épreuve du manque d’hygiène buccale et corporelle chez des candidats lors des séances de tests. Promoteur d’une micro entreprise dans le secteur immobilier, Bonaventure Dossoumon était directeur commercial dans une agence immobilière à Cotonou, capitale économique du Bénin. Il raconte avoir rencontré des candidats négligents lors d’un entretien d’embauche qu’il a dirigé à son précédent poste. Candidat au poste de conducteur de véhicule administratif, Pierre, la quarantaine dépassée avait porté une vieille grosse veste sur une tenue locale « Boba » démodée et dépeinte. Comme si cela ne suffisait pas, l’homme a aussi mis une tapette sale et couverte de boue en terre rouge pour venir à l’entretien d’embauche. Encore sous le choc face à ce scénario, Bonaventure s’en rappelle avec désolation : « Nous avions juste sacrifié à la tradition par une salutation d’usage en demandant quelques informations sur lui et lui avons souhaité un bon retour à la maison ».
La liste de ces types de demandeurs d’emploi est loin d’être exhaustive. Eric est demandeur d’emploi au poste d’agent de marketing. A son arrivée à l’entretien, il porte un pantalon Jeans à la fois sale, froissé et troué par endroits. Désiré Sossou en témoigne et enfonce le clou : « Il avait aussi porté une chemise aux manches longues de couleur blanche très sale dont les rebords des manches étaient déchirés ». Consultant associé à plusieurs recrutements, Romaric Banon assiste à des cas bouleversants. « On a reçu des candidats très mal habillés, parce qu’ils n’ont pas bien mis les boutons, la tenue est mal lavée ou mal repassée ». Face à cette situation, Romaric estime que ces candidats ont fait preuve de manque d’autodiscipline et de rigueur. « Les membres de jury de cette séance d’entretien ne donneront pas une suite favorable à ces demandeurs d’emploi », conclut-il. Adélaïde Hounyè raconte avoir été témoin d’un entretien d’embauche qui a fait tache d’huile. Candidat au poste de pilote d’avion, de la tranche d’âge 20 à 30 ans, un jeune avait porté une tenue traditionnelle pour se présenter devant un jury de recrutement. Une démarche que la déontologie de ce métier n’autorise pas. « Un pilote n’a jamais conduit un avion avec une tenue locale. Cela lui a coûté son poste », témoigne Adélaïde qui informe que son challenger habillé en veste avec chemise et cravate a été retenu le même jour.
En matière de communication vestimentaire, chaque candidat à l’emploi à son look pour se vendre. Justin, la vingtaine environ, se ridiculise à son entretien d’embauche pour le poste de conseiller en assurance à Cotonou. « Il a fait un mélange de couleurs indescriptible, terrifiant à la limite. Il a été impossible de poser les yeux sur ce candidat », révèle Paquita Bossou Batanon. Pour les candidats, les premières minutes pour réussir un entretien d’embauche sont importantes. A ce titre, ils doivent soigner leur tenue vestimentaire pour se montrer à la hauteur du poste choisi. “La compétence, c’est aussi une estime de soi et une confiance en soi”, martèle Régis Tadé, un haut responsable de “Sème City” à Cotonou. Si certains spécialistes se limitent à l’habillement pour la réussite d’un casting, d’autres pensent qu’il y a d’autres facteurs non négligeables.

“Les non-dits de certains employeurs”
Honoré Gbèdan, premier responsable d’un cabinet de recrutement basé à Tankpè (Calavi à 10 kilomètres au nord de Cotonou) relativise les choses sur l’habillement d’un entretien d’embauche. Pour lui, on doit prendre en compte plusieurs d’autres paramètres peu connus des aspirants à l’emploi. Il donne l’exemple du poste de cuisinier. Honoré soutient que ce métier nécessite une bonne hygiène sous toutes ses formes. “Le cuisinier doit raser ses Barbes et tailler ses ongles. Ils sont des nids de microbes, sources de nombreuses intoxications”, remarque-t-il. Il relève donc qu’un candidat au poste de cuisinier qui se présente avec les barbes, les ongles, une montre et une bague compromet sa chance d’être retenu. “La communication vestimentaire seule ne suffit pas dans un entretien d’embauche”, avertit ce recruteur. Il multiplie des exemples pratiques en guise de sensibilisation aux jeunes demandeurs d’emploi. Pour le poste de femme ou fille de ménage, la bonne tenue vestimentaire à l’entretien devient un casse-tête pour certains candidats. “Il y en a qui ont perdu fatalement leur poste parce qu’elles sont bien habillées pour venir à un entretien d’embauche”, relève-t-il. Honoré Gbèdan a reçu une jeune dame très présentable et titulaire d’une licence à l’université d’Abomey-Calavi qui cherchait désespérément un job pour se nourrir. Après un entretien concluant, j’ai envoyé sa photo à ma cliente, sa future patronne. Après avoir eu la photo, elle n’a pas réagi. “48 heures passées, je l’appelle pour la relancer, elle dit que sa maman va lui trouver une autre personne.”, se plaint-il. De là, Honoré déduit que des femmes mariées estiment que des filles propres et présentables arrachent leur mari à la maison.
“Pour le poste de femme de ménage, il vaut mieux s’habiller sobrement”, soutient Honoré Gbèdan en justifiant que des employeurs gardent sur eux des non-dits. Ceci au détriment des chercheurs d’emploi.

Longue attente sans suite
Un candidat à l’emploi qui s’habille mal pour se présenter à l’entretien d’embauche risque gros. Si certains sont la risée des recruteurs, d’autres sont laissés pour compte ou carrément renvoyés. S’appuyant sur le cas de Justin, Paquita Bossou Batonon évoque l’accueil qui lui est réservé. “Il a fini dans la salle d’attente”, se souvient-elle. Renvoyée de l’entretien, la jeune dame qui a porté une sandalette a été convoquée pour le lendemain. L’équipe dirigeante de l’entretien a jugé qu’elle remplit tous les critères mais seul son style vestimentaire est à revoir. “On m’a dit de revenir passer mon entretien le lendemain en mettant une chaussure convenable et digne du poste d’un commercial”, témoigne-t-elle sous anonymat. L’habillement inadéquat à son poste au casting réduit sa chance d’être recruté et fait perdre aussi de bonnes opportunités d’emploi pour sortir de la précarité. Une assertion que partage Ahmed Sero : “Le mauvais habillement constitue des points en moins aux séances de recrutement”. “La stagnation du candidat dans le lot des chômeurs et la perte des opportunités d’insertion”, renchérit la chargée de l’employabilité des jeunes.

“La beauté est dans la simplicité”
L’entretien d’embauche est une prise de contact avec le candidat pour un poste donné afin d’évaluer ses compétences. Les postulants ne doivent rien négliger pour gagner cette bataille. “Les 5 premières minutes sont déterminantes pour toute rencontre surtout pour un entretien d’embauche”, déclare Valérie Mitokpè.
“ Les chercheurs d’emploi notamment les filles ne doivent pas s’habiller comme une servante dans un bar pour un travail de l’administration par exemple”, conseille Jeanne Gbaguidi, secrétaire dans un centre privé d’ophtalmologie à Savalou, département des Collines. Le jeune diplômé, une fois parvenue à l’étape de l’entretien d’embauche doit rester encore plus fort et vigilant. Le choix de sa tenue vestimentaire convenable à son poste s’avère indispensable. “Il doit maximiser ses chances à travers son vêtement en choisissant un mélange de deux ou trois couleurs au maximum.”, recommande Paquita en insistant également sur une bonne hygiène buccale et corporelle. L’entretien d’embauche est une occasion par excellence pour le chercheur de job de se vendre cher. Car, pour les psychologues, il y a une image à renvoyer aux recruteurs. Urlermine Lodonou, psychologue clinicienne au Centre national hospitalier universitaire de psychiatrie (CNHUP) de Cotonou souligne : “ On n’a jamais une seconde chance de faire une première bonne impression. L’entretien part de la prestance et de l’habillement du candidat’’. Rester présentable devant les chefs d’entreprises nécessite des sacrifices de la part des postulants. Désiré Sossou conseille aux jeunes diplômés de porter des tenues propres, bien repassées et adaptées au contexte professionnel. Aux candidats, il déconseille le port des chaussures tapettes ou des chaussures trop tendancieuses. “La beauté est dans la simplicité. Les femmes doivent éviter des talons hauts-perchés si elles n’y sont pas habituées et si le contexte professionnel ne l’exige pas”, recommande-t-il aux candidates qui foncent dans le dérapage.
La maitrise du marché de l’emploi requiert aussi une connaissance approfondie de l’environnement de sa spécialité. Pour y parvenir, le candidat doit avoir un esprit de proactivité. Ahmed Sero revient et insiste : “Le candidat à l’emploi doit se préparer intellectuellement et physiquement pour un entretien d’embauche”. Honoré Gbèdan apporte de l’eau à son moulin et persiste : ‘’Les candidats doivent être autodidactes et beaucoup apprendre”.
Joël SEKOU (Coll.)



Dans la même rubrique