Incompatibilité des curricula de formation au Bénin : Les diplômés arabophones dans l’impasse

Patrice SOKEGBE 27 décembre 2019

Faire les études islamiques ne garantit pas l’insertion dans l’administration publique béninoise. Et pour cause, les profils recherchés ne sont pas conformes à ceux de ces diplômés. Cet état de choses crée un sentiment de frustration dans le rang de ces derniers.

Nous sommes au Centre éducatif de mémorisation de Camp Adage, à Parakou, ville située à 413,6 km de Cotonou. Il est 19 heures. L’heure de récitation des versets coraniques. Tous en chœur, les apprenants lisent à haute voix le coran comme s’ils chantaient. Un profane pourrait y entendre du chinois, mais le rythme et la prononciation des mots laissent penser que ces apprenants maîtrisent le coran au bout des doigts. Devant se trouve Alpha Assane, l’enseignant de circonstance qui, chicotte en mains, essaie de redresser ceux qui somnolent. Pas de place pour les bavards. Les garçons devant, les filles derrière. « Les garçons risquent d’être distraits, si les filles sont disposées devant. Ici, c’est la règle… », justifie Assane qui, le regard tourné vers les apprenants, n’a que quelques secondes pour répondre à nos questions. En terme clair, les apprenants sont tenus de mémoriser le coran avant de passer à une étape supérieure. Même dans les agglomérations, chaque ménage dispose de son Madrasa, école coranique du jour, et de son Makaranta, école coranique de la nuit. Toutes écoles reconnues comme privées visent la maîtrise dans la lecture du coran qui compte 604 pages, 114 Chapitres et 60 Hizbs (Parties). Selon les responsables de ces écoles, l’apprenant, dès son bas-âge, a une capacité de mémorisation assez élevée. A en croire l’islamologue Issa Mohamed Awali, Imam central du 1er arrondissement de Parakou, « la mémorisation développe le mental de l’enfant ».

La langue, un gros obstacle !
Après cette étape viennent les études islamiques et la compréhension du Coran. Séidou Mohamed Soumanou est Directeur du Centre des études islamiques de Parakou, une école franco-arabe. Dans son établissements toutes les matières sont enseignées notamment en Arabe et en Français. « Au cours primaire, nous enseignons le Coran, le Taohid (Tout provient de Dieu), Hadis (la parole du prophète), Fikihi (la charia islamique), Nahao (Conjugaison), Sorfou (Grammaire), Hissab (Calcul), Tarbia (Morale), Tabsir (Explication du coran), Sira (Histoire du prophète Mahomet), Himla (Dictée). Au secondaire, les enfants apprennent les mêmes matières que celles dans les écoles coloniales… », indique-t-il. Aussi, souligne-t-il que cette possibilité d’apprendre dans les deux langues n’existait pas par le passé. « Il se trouve que la plupart de nos apprenants n’arrivent plus à s’insérer après leurs études universitaires. Et vu les frustrations que cela faisait naître, on a commencé par insérer dans nos programme le Français… », poursuit-il. En réalité, après le Baccalauréat, la plupart des étudiants poursuivent leurs études dans les pays arabes. D’autres n’ayant pas bénéficié des bourses étrangères, s’inscrivent à l’Institut de langue arabe et de la culture islamique (Ilaci) à l’Université d’Abomey-Calavi. L’imam Issa Mohamed Awali en est une illustration. « Islamologue, j’ai également obtenu un doctorat en droit. Et puisque l’Etat béninois ne nous reconnaît pas, je me suis contenté d’être responsable d’une mosquée…Sinon, il n’y a pas de différence entre les avocats du système éducatif francophone et ceux du système arabe… », confie-t-il. Aboubacar Oumar en est une autre. Titulaire d’un doctorat en Sociologie, il est devenu Directeur adjoint du centre de mémorisation de Camp Adagbé. En dehors de lui, beaucoup sont diplômés dans diverses spécialités, mais ne trouvent pas à faire dans leur propre pays. « Certains ont la chance de travailler dans les institutions arabophones, les ambassades, les Ong arabes et autres… », précise-t-il.

Que de frustrations !
Instruits en vue d’apporter une plus-value à leur pays ou à leur continent, la plupart des titulaires de diplômes islamiques ne trouvent à rien faire. Cet état de choses fâche bon nombre d’entre eux et crée des foyers de tension. « Si vous n’allez pas à l’école coloniale, vous n’avez aucune chance de vous insérer dans la fonction publique au Bénin », fustige-t-il dans un français approximatif. Si cette marginalité n’est pas mal ressentie par beaucoup de ses victimes qui, tant bien que mal gagnent leur vie dans les madrasa et les ONGs caritatives, elle témoigne de l’idée générale selon laquelle les écoles arabes, contrairement aux écoles publiques et confessionnelles catholiques, ne conduisent qu’au chômage. Selon Galilou Abdoulaye, socio-anthropologue et spécialiste des études africaines, « les nouveaux cadres sont loin de constituer un tout homogène. C’est le chacun pour soi (souveraineté des écoles, des universités, des associations, des ONGs) par-delà leurs multiples traits communs discriminants. Le souci de la sauvegarde des intérêts individuels et sous-groupaux prime sur l’hégémonie collective. Ce qui se matérialise par leur incapacité à se doter d’une organisation juridique nationale fonctionnelle et d’une autorité centrale à même de mettre de l’ordre ». Il urge donc de concevoir des programmes susceptibles de reconnaître cette élite errante dans la société.



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