Pamela Capo-Chichi, Présidente de l’Ong Valeurs Albinos : « Beaucoup ont eu des diplômes, mais très peu ont pu s’insérer »

28 juin 2022

La communauté internationale célèbre chaque 13 juin, la journée internationale des personnes atteintes d’albinisme. ‘’Unis pour faire entendre nos voix’’ est le thème choisi pour la commémoration de cette année. Pamela Capo-Chichi est la présidente de l’Organisation Non Gouvernementale ‘’Valeur Albinos’’. Dans cette interview, elle présente les personnes atteintes d’albinisme comme des personnes normales et propose des solutions pour le vivre-ensemble.

Qu’est-ce que l’albinisme ?
L’albinisme est une maladie génétique héréditaire. Elle se caractérise par l’absence de mélanine. Les personnes atteintes d’albinisme ont l’iris rosé, des cheveux blonds. La rétine de leurs yeux tourne comme le glas d’une monture. Ce sont des personnes beaucoup plus blanches surtout quand on considère la race noire. Quand on parle de l’albinisme, elle regroupe toutes les races. On retrouve même dans la race animale des espèces atteintes d’albinisme, comme les escargots, les serpents, les grenouilles albinos. Ceci prouve que ce n’est pas uniquement la race humaine qui peut être touchée mais aussi celle animale voire végétale. Tout ce qui vit, peut avoir l’albinisme.

Quels sont les différents types d’albinisme qui existent ?
Les personnes atteintes d’albinisme ont un teint beaucoup plus clair que nous autres. Quand cela touche la peau uniquement, on parle d’albinisme cutané, il y a donc peu de pigment. Il y a l’albinisme oculaire quand il touche les yeux. On parle d’albinisme oculo-cutané quand il touche simultanément la peau et les yeux. Il y a des personnes atteintes d’albinisme qui sont touchées rien qu’à la peau. D’autres, c’est uniquement aux yeux et ils n’ont rien à la peau, c’est-à-dire qu’ils sont des personnes avec la peau noire. Par contre, avec certains, on remarque les cheveux blonds, la peau claire mais ils voient très clairement. Depuis 2015, les scientifiques ne sont pas encore unanimes sur le nombre exact des différents types d’albinisme qui existent. Ils sont dans l’intervalle de 10 à 15 formes. Le recensement se fait toujours. On continue de faire des recherches plus avancées. Mais il y a des personnes atteintes d’albinisme sombre. Au niveau de leur peau, on a l’impression que ça mue comme le margouillat ou le serpent avec des taches sur le corps. Vous constatez réellement qu’ils souffrent d’une manière ou d’une autre de ce type d’albinisme mais beaucoup plus sombre. Il y a des gens qui souffrent de l’albinisme de type 1, ils ont la peau claire. On a également celui de type 2. A ce niveau, la peau est jaunâtre.

A partir de quel âge remarque-t-on ce mal ?
On le remarque dès la naissance. On voit que l’enfant est totalement différent. En Afrique, on n’est pas encore avancé scientifiquement. Je sais qu’en Europe, ils ont quand même un moyen de pouvoir le constater. C’est très rare qu’on puisse vous dire, ici en Afrique, avec précision qu’un enfant à tel handicap oculaire. Dans les pays développés, ils peuvent même vous dire la couleur des yeux, des cheveux de l’enfant. Mais chez nous, ce n’est qu’à la naissance que vous voyez un être blanc parmi deux personnes noires. Vous pouvez ne pas le constater dans la famille et cela va commencer par vous, surtout que c’est une maladie héréditaire. Tout se passe dans les gènes. Il y a ce qu’on appelle la mutation génétique. C’est vrai que c’est un peu moins percevable dans la race blanche parce qu’ils ont une peau blanche. Mais quand vous observez très correctement, vous allez voir que dans cette blancheur, il n’y a vraiment pas de mélanine. La mélanine est la substance qui colore la peau. C’est grâce à la mélanine qu’on a la peau noire et ceux qui en ont peu, ils sont clairs. En ce qui concerne les personnes atteintes d’albinisme, ils n’en ont du tout pas. Ils sont donc beaucoup plus blancs et la peau est fragile et vulnérable aux rayons solaires. Il y a certains qui ne savent pas qu’ils sont atteints à cause de leur vulnérabilité qui est moins que les autres.

Quelle est la statistique des personnes atteintes au Bénin ?
Il y a environ 3000 personnes atteintes d’albinisme au Bénin. C’est vrai qu’il a des lieux de forte concentration atteinte d’albinisme que nous connaissons. Par contre dans certains lieux, il n’y en a pratiquement pas, juste un ou deux. Les lieux à forte concentration sont des zones de grands préjugés de valeurs. Ils avancent comme arguments que le fétiche lissa a été abandonné et peut-être pour maudire la région, il envoie des personnes atteintes d’albinisme ou des personnes claires. C’est vrai qu’avec le Ministère des Affaires sociales, nous avons travaillé sur les types de handicap au niveau des régions. Là, nous avions essayé de mettre la vulnérabilité aux rayons solaires.

Quels sont les moyens dermatologiques ou esthétiques pour accompagner ces personnes atteintes ?
Il y a des crèmes solaires à titre préventif contre le cancer de la peau. C’est pour la protection de la peau. Pour les yeux, il y a des verres photo- chromés. Ce sont des verres optiques qui empêchent les rayons solaires de déranger la vue. Parce que dès lors que la personne atteinte d’albinisme sort sans ses verres photo-chromés, vous allez voir en même temps qu’elle met la main au front pour empêcher quand même que les rayons solaires dérangent sa vue. Il y a aussi le revêtement du corps pour prévenir contre le froissement de la peau, les taches et les plaies sur la peau et les tumeurs cancéreuses. Les consultations dermatologiques et ophtalmologiques sont des moyens efficaces pour un suivi. Pour les familles ayant des personnes atteintes d’albinisme, l’utilisation du beurre de karité est également conseillée pour les peaux froissées. Il faut notifier que l’usage de la crème solaire est uniquement réservé aux personnes atteintes. La crème lutte contre la rougeur et les taches.

Quelles sont les stigmatisations auxquelles sont confrontées les personnes atteintes d’albinisme ?
Les personnes atteintes d’albinisme font l’objet des crimes rituels et autres. Je vous donne l’exemple de Ignace dont je préfère taire le nom de famille. Il a été attaqué en novembre 2016 devant le kininsi. Il a failli être égorgé. Il fut sauvé de justesse mais avec des blessures et des séquelles psychologiques. Dès qu’on est allé là-bas, il était sous le choc parce qu’il est passé à deux doigts de la mort. Vous imaginez que votre bourreau se jette sur vous avec un couteau devant un grand fétiche et que vous vous en sortez miraculeusement. Il est inconcevable que des gens soient encore dans ce pays en liberté et continuent leur commerce humain. Il est resté sous le choc. Nous avons essayé quand même d’être là comme on le pouvait, de façon psychologique, pour qu’il puisse comprendre qu’il pouvait s’en sortir. Il a pris des mois avant de se retrouver. Mais par la suite, il a compris et il s’est encore remis au travail. Il y a aussi des cas de disparition. Il y a Yvette qui a été décapitée en septembre 2011, tête emportée à Calavi. Il y en a eu d’autres, par exemple à Zakpota en 2018. Un porté disparu en 2019, père de famille de trois enfants. Et c’est surprenant que cela se passe au Bénin.
Il y a beaucoup qui ont eu des diplômes, mais très peu ont pu s’insérer. Ils ont dû revenir au point de départ. Nous avons pensé à des projets socio-professionnels pour faciliter leur insertion. On milite pour que ces personnes atteintes puissent entreprendre et être à leur propre compte, des chefs d’entreprise et avoir des employés atteints ou non. C’est déjà des perspectives et avec la Banque Africaine de Développement.

Quelles sont les différentes actions menées face à ses stigmatisations ?
A l’échelle nationale, il y a des campagnes de sensibilisations. Pour pouvoir déraciner les préjugés de valeurs, il faut qu’on aille à la base. Même dans les écoles primaires, nous passons des messages à travers des livres surtout celui intitulé Luna. En réalité, Luna est un livre apporté ici par Madame Sandra Van Der Beek. Nous avons adapté ce livre en un téléfilm parce que nous savons que les africains lisent peu. A travers un téléfilm, ils pourront déjà apprécier ce qui se fait. Cela a été doublé en français et anglais en mettant les personnes atteintes au-devant. C’est pourquoi, la sensibilisation a été faite dans dix communes du Bénin dans les départements du Couffo et du Mono. C’est dans ces zones que les crimes rituels sont orchestés. A travers un vox-populi, nous avons écouté la population qui a couru de part et d’autre pour suivre parce que la projection du téléfilm se fait en plein-air. Les personnes atteintes d’albinisme présentes dans ces zones se sont senties accompagnées. En dehors de cela, nous avons des outils didactiques pour montrer à la population que le mal se trouve également dans les autres races, le poisson albinos, le lion albinos, les chevaux et autres. Tout ceci attirait l’attention des uns et des autres. Ceci montre qu’il faut avoir désormais un autre regard. Les personnes atteintes parlèrent également de leurs vécus. Il faut noter la participation des personnes non atteintes avec des slogans tels que peut-on devenir riche avec le cheveu des personnes atteintes d’albinisme ? Non ! Êtes-ce qu’on peut utiliser les organes d’une personnes atteintes d’albinisme pour être riche ? Non ! Que faire alors ? Nous devons les aimer ! Ces slogans demeurent surtout dans la conscience des enfants. Prochainement quand ils verront des personnes atteintes d’albinisme, il y aura une facilité de brassage et de collaboration. A l’Université d’Abomey-Calavi, le service des volontaires et l’ex recteur Brice Sinsin ont beaucoup milité pour leur mieux-être.
A l’international, il y l’Alliance Mondiale de l’Albinisme. Chaque organisation envoie des vidéos pour sensibiliser, éveiller la conscience de toute la communauté mondiale à l’albinisme afin qu’elle puisse comprendre le phénomène qui, pour moi, n’est pas forcément une maladie mais une couleur spéciale parmi les autres, toujours pour mettre à l’aise les personnes atteintes d’albinisme. Le moins un qu’ils voient sur eux, Dieu leur a donné un Quotient Intellectuel supérieur à la normale. Il suffit de l’accompagner d’intégrité et de savoir-vivre. Donc la journée se célèbre très bien au niveau de la communauté internationale. Tout le monde le fait à sa manière et je pense que le Bénin également à travers la distribution des crèmes solaires pour éviter le cancer de peau. Cette année, il n’y a pas eu trop de tabous mais tout ce qui se fait est pour mener une bataille en sourdine pour quand même éradiquer le cancer de peau où nous avons au moins de dix à quinze cas. C’est vraiment ahurissant voire grave que nous puissions perdre des vies humaines sans pour autant leur venir en aide. Il y a déjà un médecin qui opère gratuitement les cas de tumeurs cancéreuses.
Le 13 juin n’est pas une sensibilisation en une journée. Cette sensibilisation en une journée est celle qui est statutaire mais à part cela, elle continue jusqu’à finir toute l’année. La sensibilisation pour la protection des personnes atteintes d’albinisme n’est pas une affaire d’une journée. C’est un travail de longue haleine.

Que peut-on dire à ceux qui considèrent les personnes atteintes d’albinisme différentes ?
Parlant des comportements de ceux qui fuient les personnes atteintes d’albinisme, il suffit juste de les aimer, de les accompagner. Les personnes atteintes d’albinisme qui vont à l’école, c’est beaucoup plus difficile. Je demanderais juste aux professeurs, maîtres, camarades et surtout parents de pouvoir aller dans les écoles et demander à ce que l’enfant reste au-devant. Il faut aussi laisser la latitude parfois à l’enfant de se rapprocher du tableau pour mieux bien voir. Je demande aussi de ne pas peindre les tableaux en vert parce que cela empêche la personne atteinte de bien voir, mais de les peindre en noir. Malgré cela, il faut forcément qu’elle se rapproche.
Depuis dix ans, il y a des actions pour insérer des outils didactiques propres à ces personnes à savoir des livres de grand grossissement. On ne va pas les mettre à part mais il y aura un accompagnement un peu plus différent. Il faut mettre l’enseignant au courant parce que s’il crie trop, cela pourrait déboussoler l’enfant. Il y a un projet de grand grossissement des livres de la maternelle, du secondaire et même à l’Université qui est en cours. On va mettre ces personnes dans le cas des malvoyants pour qu’elles puissent voir avec les polycopies de grandes tailles parce que ce ne sont pas elles toutes qui ont la loupe ou des verres de grands grossissements. Quand vous voyez les cahiers d’écriture des Cours Elémentaire et Préparatoire, les écritures sont trop petites. Il y a des matériels adaptés selon le handicap mais comme ils sont inclus directement, on peut penser à avoir quelques livres pour permettre aux parents et organisations de s’en procurer. Je demande à ceux qui prêtent les cahiers aux personnes atteintes d’albinisme d’être toujours aux petits soins avec elles, ce ne sont pas des fétiches. Elles n’ont aucun problème. D’aucuns disent qu’elles sont mi-dieu mi-homme, venant du vodoun lissa. D’autres disent que c’est quand on ne donne pas telle chose aux fétiches, qu’il y a des totems. C’est faux. Le seul totem d’une personne atteinte d’albinisme c’est quand il mange quelque chose qui lui donne des allergies. Le grand souci, ce sont les rayons solaires. Donc à nous de leur rappeler de porter le chapeau à bord large, les aider à se couvrir. C’est toujours une manière de leur témoigner notre soutien. Ce sont des personnes ordinaires, très spéciales que nous pouvons accompagner, conseiller, essayer de se rapprocher d’elles parce que quand elles ont peur, elles peuvent se mettre sur la défensive et parfois vous manquer de respect. Aussi, aux personnes atteintes d’albinisme, je demanderais d’avoir moins d’égo, d’être humbles et intègres. De ce fait, la sensibilisation ira bon train et il y aura une cohésion.

Y a-t-il un accompagnement psychologique à l’endroit de ces personnes pour une bonne intégration ?
Il n’y a pas vraiment un accompagnement psychologique étatique. C’est pourquoi je dis qu’il y a toujours un travail préliminaire. J’ai donné des conseils aux personnes atteintes d’albinisme et celles non atteintes. S’il y a des plaintes de la part des personnes non atteintes, je pense que nous ne pourrions pas y arriver. Il faut une compréhension entre les deux types de personnes pour faciliter la cohabitation. Il y a un accompagnement au sein des organisations surtout en cas de massacre.
C’est déjà le moment de conscientiser ces jeunes qui sont des cybercriminels. Qu’ils ne considèrent pas les personnes atteintes d’albinisme comme source de richesse. La voiture qui est conduite à cause du cri du sang de quelqu’un, c’est une tombe ambulante. Je demande aux gens de prendre ces personnes-là comme d’ordinaire et elles le sont. Quand vous allez chez les blancs, ces personnes passent inaperçues. Est-ce que nous n’avons pas des personnes très claires chez nous qui sont pratiquement comme des personnes atteintes d’albinisme ? Pourquoi ne pas les aimer ? Je pense qu’on peut avoir un moyen de les encadrer, les soutenir. Les concours ministériels ne sont pas aussi adéquats pour qu’ils puissent vraiment s’insérer. Or, il y en a qui sont physiquement au point.

Votre mot de la fin
Il y a déjà des promesses de la part de nos dirigeants. Nous espérons fortement qu’elles seront tenues. Nous sommes en attente de l’accomplissement de ces promesses. Il y a des personnes atteintes d’albinisme qui doivent être prises en charge surtout celles qui souffrent du cancer. Nous en avons perdu récemment.
Propos recueillis par Julienne Adjignon(Stag)



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