Produits locaux à table pendant les fêtes : Une adhésion mitigée des populations

30 décembre 2022

Les fêtes de fin d’année riment généralement avec rassemblements, retrouvailles, réjouissances et grande consommation d’aliments. Mets variés, encas, amuse-bouches ou rafraîchissements divers, les menus au programme convient timidement les produits locaux à table.

Vent insistant, frais et sec ! Routes bondées à des heures inhabituelles, taxi nombreux en circulation avec des coffres surchargés de marchandises ! Boutiques, ateliers de couture, de coiffure ouverts jusqu’à très tard la nuit !
Depuis plusieurs jours, les signaux s’amoncellent dans la capitale économique et ses environs. Point de doute ! C’est déjà les fêtes de fin d’année. Beaucoup s’improvisent commerçants ou se reconvertissent dans la vente d’articles (boissons, divers, jouets, pagnes, habits ...) qui disent- ils, marchent mieux en cette période, que les articles qu’ils vendent en dehors de cette période.
Les produits agro-alimentaires sont très en vue. « Tout simplement parce qu’on boit et mange beaucoup plus pendant cette période » fait remarquer Ayouba Sali, président de l’ABPL (Association béninoise des producteurs locaux). Les bars, maquis, fast-food et restaurants sont plus fréquentés que d’ordinaire. Buche de noël, pâtisseries, pain et viennoiseries, amuse-bouche, chawarma, et autres plats très présents sur les tables de fêtes de fin d’année ont pour produit de base le blé, produit de grande importation. A lui, s’ajoutent d’autres produits importés comme le lait.
Dans les poissonneries, les superettes, les supermarchés, les marchés ; les arrivages "spéciales fêtes" font parler d’eux. Nouveautés, prix compétitifs et euphorie mercantile ont tôt fait d’emballer les consommateurs qui mettent la main à la poche au profit de ces produits importés. « C’est une bonne affaire » s’est félicité Fabien K., le visage content à la sortie d’un dépôt de boissons dans la commune d’Abomey-Calavi. Il venait d’acheter de la bière étrangère pour la moitié de sa valeur habituelle. C’est le moyen qu’a trouvé la firme de fabrication pour écouler son stock arrivant à péremption dans quelques semaines. « La guerre en Ukraine a retardé la livraison », a expliqué la tenancière du dépôt pour justifier ce prix attractif. Cette dernière n’a de souci à se faire, entre les clients qui reviennent compléter leurs achats et ceux qui réservent.
Toutefois, le prix n’est pas le premier motif car des boissons locales sont vendues à prix plus bas ou plus haut sans susciter la même adhésion. Au-delà du prix, les marques étrangères inspirent confiance à leurs clients.

Mis en cause

Ici, la mentalité associe la qualité systématiquement au fabricant blanc ou ses dépositaires et la refuse souvent à tort au fabricant local. C’est l’œuvre d’un complexe remontant au colonialisme. « C’est du vin de Bordeaux, tout de même ! », a soutenu Stéphane Z., jeune cadre béninois en donnant sa préférence. A ce paradigme, viennent se greffer des difficultés réelles. Le manque de structuration des entreprises des fabricants locaux, la quasi-inexistence d’industries de transformation, les contraintes d’obtention de certifications diverses … autant de facteurs qui défavorisent les produits locaux vis-à-vis des produits importés auxquels les consommateurs d’ici ont développé une accoutumance voire une dépendance. L’exemple du pain, dérivé du blé et désormais très ancré dans les habitudes alimentaires est très probant. « Le consommateur béninois a aussi des yeux qui savent et veulent apprécier de belles choses », a fait savoir clairement Céline G. fonctionnaire de l’administration publique béninoise. Comme elle, beaucoup reprochent aux produits locaux de ne pas avoir assez de dérivés variés, d’être présentés de façon peu esthétique, d’être peu mis en valeur et de se décrédibiliser ainsi. C’est un fait que reconnait le président de l’ABPL, Ayouba Sali cité plus haut, avant de soulever le manque de soutien que rencontrent les producteurs locaux qui veulent se promouvoir : « Nous avons organisé la 2eme édition de la Fête d’indépendance des produits locaux (FIPL) en Août 2022 sans aucun sponsor pour finir endettés ». Cependant, les moyens à investir ne constituent pas toujours le seul frein. Certains craignent que les emballages esthétiques et sophistiqués, altèrent le goût et les valeurs nutritives de leurs produits. Dans le contexte ainsi décrit, la résolution de la grosse équation qualité-prix est un rude casse-tête. En conséquence, il conduit souvent les producteurs locaux à deux options : prioriser la qualité et fixer des prix jugés prohibitifs par les consommateurs ou baisser leur échelle de valeur et fixer des prix qui challengent ceux des importés. Alors, point n’est besoin n’est de mentionner le désavantage certain qu’il y a. Nombre de consommateurs se tournent vers les produits importés car satisfaisant mieux leurs besoins de nouveauté, d’esthétique, de qualité et de prix. Cependant, cette satisfaction est à relativiser. Ceci car la provenance étrangère d’un produit alimentaire notamment, n’est pas gage systématique de sa qualité, de son intégrité et de la concordance entre les informations inscrites sur son emballage et la réalité de son contenu. Plus le lieu de fabrication d’un produit est loin, moins sa traçabilité est fiable et plus les conditions de son transport et de sa conservation peuvent le dégrader. Intoxications alimentaires et problèmes sanitaires sont donc encourus d’une part. D’autre part, l’importation est une fuite de capitaux nationaux hors des frontières et représente un gros manque à gagner pour les producteurs locaux et l’économie locale. Ceci étant, il importe de préciser que certains Béninois ont installé le Consommons local dans leurs habitudes et bien au-delà des fêtes. « Depuis quelques années, ma famille et moi avons opté pour les jus naturels pour toutes les occasions festives. Rien d’autre ! », a assumé Antoine Mehou, un quarantenaire croisé pendant ses courses dans un centre agro-pastoral réputé de Porto-Novo. Les sensibilisations ont commencé par porter leurs fruits même si ce n’est pas encore l’apothéose selon Ayouba Sali. Néanmoins, le constat fait par le producteur local l’amène à garder espoir. Il ne s’agit pas d’éliminer les produits importés du marché local mais d’y minimiser leur emprise pour permettre à la production locale d’y éclore.

De la confiance à instaurer
« Les entrepreneurs agricoles doivent arrêter de se cacher derrière les excuses habituelles du Béninois qui rechigne à consommer les produits de chez lui et s’atteler à améliorer leurs offres et stratégies de présentation », déclare Ashley Ahandessi, agroéconomiste. Pour la promotrice du festival Think Agrii, c’est en répondant efficacement aux besoins des consommateurs que pourra s’inverser la tendance. Pour cela, la valorisation de la recherche scientifique et la consommation des produits scientifiques locaux notamment issus des universités en les mettant au service des industries serait un atout majeur. Ceci ne saurait se faire sans l’appui de l’Etat béninois au développement du secteur industriel. En ce sens, les initiatives déjà en cours sont à saluer et encore plus d’investissements à solliciter dans ce secteur afin de diversifier les dérivés des produits, d’en améliorer le conditionnement et la présentation pour les rendre plus attractifs et compétitifs. « Le secteur intéresse davantage car de plus en plus il m’est demandé si je forme », témoigne Thierry Houngbo, promoteur d’une marque d’emballage écologique. C’est là, une preuve que des alternatives plus écologiques, économiques, sociales existent pour allier qualité et prix. C’est la raison pour laquelle Ayouba Sali, président de l’ABPL soutient : « la population est exhortée à choisir son bien-être en consommant des produits locaux naturels. Cela permettra de créer des emplois, d’augmenter la devise, de protéger l’environnement, d’accroitre la richesse nationale ». Il lance aussi un appel aux autorités politico-administratives afin qu’elles accompagnent davantage la production locale, en invitant les producteurs locaux dans la prise de décision, en subventionnant les produits locaux et vitaux, en leur permettant d’accéder aux marchés publics, en leur facilitant les conditions de ventes aussi bien aux plans national qu’international. La promotion du Made in Bénin est un chantier qui implique les actions conjuguées de tous.
Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)



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