Prof. Marcel R.B. Houinato, au sujet de la gestion de la transhumance : « C’est avant tout un problème organisationnel »

Fulbert ADJIMEHOSSOU 31 décembre 2019

Lancée le 15 décembre 2019, la saison 2019-2020 de la transhumance transfrontalière n’aura duré que 11 jours. A travers un arrêté interministériel, elle est désormais interdite. Une mesure qui laisse perplexe beaucoup d’acteurs. Tout porte à croire que le nœud du problème n’est pas là où les solutions sont apportées. Professeur Titulaire des universités, Directeur de l’Ecole Doctorale des Sciences Agronomiques et de l’Eau de l’Université d’Abomey-Calavi, spécialisé en Pastoralisme, Marcel Houinato est un acteur clé de la recherche sur des questions de transhumance au Bénin. Au regard de son expérience, il analyse la mesure et dévoile des pistes d’une gestion pacifique de ce phénomène saisonnier.

Le Bénin vient d’interdire la transhumance transfrontalière. Selon nos sources, une mesure pareille a été prise en 1990. Quelles sont vos premières impressions en tant que chercheur ?
Effectivement, une pareille mesure avait été prise en 1990. Mais elle n’est restée qu’à l’étape de signature. Par rapport à la mesure actuelle, il faut dire qu’elle intervient au lendemain de la participation du Chef de l’Etat à une réunion de la Cedeao. Peut-être qu’il l’a évoqué avec ses pairs. On pourrait faire le lien avec certains dysfonctionnements liés à la mobilité des citoyens et des biens dans l’espace communautaire. C’est peut-être une stratégie pour amener la Cedeao à véritablement se pencher sur cette fermeture unilatérale des frontières par le Nigéria qui n’arrange pas le Bénin, le Niger même les autres pays qui transitent par notre pays. Mais du point de vue technique, les préalables n’ont pas été respectés. On se pose la question de savoir pourquoi avoir lancé la campagne et l’interrompre 11 jours plus tard. Quelles sont les dispositions pour faire reculer les troupeaux déjà présents sur le territoire ? Une telle mesure devrait être prise bien avant la campagne et suivie d’une mobilisation au niveau des organisations professionnelles des éleveurs. Il fallait des préalables. La gestion ne sera pas du tout facile, surtout que cette interdiction pourrait être perçue comme une réponse du berger à la bergère.

Intéressons-nous aux fondements même du phénomène. Qu’est-ce que la transhumance, en peu de mots ?
C’est une mobilité de troupeaux bovins, ovins et caprins dans certains cas qui quittent leur région d’origine pour rechercher des ressources pastorales dans d’autres régions de leurs pays ou autres. Je veux parler de fourrages et de l’eau. Ils se déplacent vers une zone où ces ressources sont disponibles. La particularité est qu’ils restent attachés à leur localité d’origine.

Dans la pratique, aujourd’hui on constate qu’il y a la transhumance nationale et celle régionale. Les spécificités sont-elles les mêmes ?
La transhumance existe réellement au niveau national. Il y a des textes de loi qui définissent les itinéraires. De la même manière, il y a aussi l’accord entre les pays de la Cedeao qui facilite et autorise la circulation des troupeaux des pays sahéliens vers les pays côtiers. Je suis dans une localité, j’ai épuisé les ressources qu’il y a chez moi. Je sais qu’il y en a quelque part. Je me déplace vers là où elles se trouvent. L’éleveur nigérien, Burkinabè ou Nigérian qui est de passage au Bénin est bien protégé par des textes de loi signés par nos différents Etats. Il y a le comportement des individus qu’il ne faut pas mélanger avec ce que les textes ont prévu. Il y a le droit de venir au Bénin, mais il a le devoir de respecter les textes de la République pour pouvoir profiter des ressources dont il est à la recherche.

Où trouver la biomasse pour permettre à ces éleveurs de nourrir leurs troupeaux quand on sait que ce n’est déjà pas suffisant pour les nationaux ?
Il y a des préalables. Le Bénin est un pays d’accueil. Mais pour signer les accords avec les pays de la sous-région, il ne s’est vraiment pas appuyer sur les techniciens en la matière mais sur des techniciens en matière de sécurité qui n’ont pas tous les éléments techniques nécessaires.

Lesquels ?
Nous n’avons pas la situation réelle de la biomasse disponible au niveau national. Les chercheurs arrivent à avoir des données par région et c’est 5 ans plus tard qu’on en trouve pour une autre. Ce ne sont pas des données qu’on peut utiliser pour de grandes décisions. Parlant de préalables, c’est que l’Etat doit pouvoir mettre les moyens nécessaires pour quantifier les ressources réellement disponibles. Au même moment, le Bénin doit aussi investir dans le recensement du cheptel pour qu’on puisse savoir si ce que nous avons comme pâturage naturel couvre les besoins des animaux. A cela, nous devons ajouter d’autres sources. Une fois que les gens ont récoltés, les résidus doivent revenir aussi aux éleveurs. Nous pouvons le quantifier aussi. Si ça ne suffit pas, nous devons voir la politique pour retarder la transhumance. Ça peut être l’introduction des cultures fourragères dans les systèmes de production, voir les espèces adaptées selon les régions. Les données existent. Mais il n’y a pas eu d’action concrète pour pouvoir booster.

Dans la région septentrionale par exemple, des projets ont fait cette expérience sans qu’elle n’aboutisse concrètement. Qu’est ce qui n’a pas marché ?
Ça dépend de qui en parle. Si l’éleveur sait qu’il y a d’avantages concrets pour lui, ça doit marcher. La preuve, dans nos fermes que ce soit à Kpinnou, Samiondji, Bètèkoukou ou Okpara, des dizaines voire des centaines d’hectares sont cultivés. Et les éleveurs riverains savent le rôle que ces cultures jouent pendant la saison. Introduire les cultures fourragères, c’est d’abord améliorer la qualité de la nourriture qu’on veut donner aux animaux. Dans le choix des espèces, on prend en compte des espèces qui tolèrent la sécheresse et qui peuvent continuer leur cycle de développement à l’arrêt des pluies. Ça peut être un moyen de retarder le départ à la transhumance. Des traitements spécifiques peuvent être faits sur des pâturages naturels aussi. Ainsi, si tout est bien fait, on peut réduire le temps de la transhumance au niveau national.

Et comment faire face au flux venant des pays voisins ?
Il faut qu’on résolve le problème au niveau national d’abord et être sûr que nous avons du surplus et ainsi voir de quel côté nous pouvons les accueillir.

Avant l’interdiction de la transhumance transfrontalière, le Gouvernement avait défini une région pour la transhumance nationale et une autre pour la transhumance régionale. Néanmoins on a eu quelques incidents. Est-ce que cette solution semble être l’idéal ?
Qui veut faire la distinction du troupeau étranger du troupeau national ? La tricherie va se mêler et ça va permettre de créer de nouveaux riches. Mais le problème peut être réglé autrement. L’autorité de l’Etat étant là, les préfets et autres doivent pouvoir réunir les maires sous leur tutelle pour que les couloirs et les itinéraires, l’axe prévu soient respectés. Il ne faut pas qu’en quittant une commune, on soit bloqué dans la commune suivante. Il faut que ce problème soit résolu aussi. Ça peut déjà créer de la fluidité et résoudre une bonne partie du problème.

A vous en croire, c’est donc une question d’organisation
Bien sûr. Les éleveurs sont déjà organisés. Les couloirs sont connus. Mais ceux qui doivent permettre que les couloirs soient réellement libérés et opérationnels, c’est l’autorité des maires et des préfets.

Avant d’entrer sur le territoire national, les transhumants payent directement par tête de bétail. Est-ce que ainsi, les maires ne baissent pas les bras ?
L’autorité de l’Etat doit être respectée. Si l’Etat décide que ce soit perçu à l’entrée, les autres n’ont qu’à mettre le mécanisme pour que ce qui est perçu au niveau des entrées soit réparti au niveau des communes qui connaissent le passage des transhumants.

La gestion de la transhumance est avant tout un problème d’aménagement du territoire. Quand on sait les problèmes liés aux fonciers chez nous, est-il aisé de définir des zones pour des pâturages ?
Sans que l’Etat intervienne, dans nos terroirs villageois, il y a toujours un pouvoir niveau traditionnel qui gère ces problèmes de terre et qui jusqu’à présent joue un rôle important dans la transhumance. Il suffit de les écouter, de les organiser, de les appuyer pour que cela soit une réalité. Ensuite, ce n’est pas des terres données mais louées.

Est-ce qu’il y a possibilité de rendre des domaines d’utilité publique à cet effet ?
Là, l’Etat a les outils pour le faire. Dans l’établissement des schémas directeurs d’aménagement du territoire, toutes les communes le font actuellement à travers leur PDC. Dans les grandes affectations du sol, il faut toujours réserver des régions et des zones pour ces activités. Est-ce un site relevant du domaine de l’Etat ou de la communauté ? On trouvera toujours un mécanisme.

Beaucoup déplorent que dans la basse vallée de l’Ouémé, les producteurs ne fassent pas la récolte de leurs cultures de contre saison avant que les animaux ne viennent dévaster les champs et qu’il vaut mieux interdire la transhumance dans cette zone. Pensez-vous que c’est l’idéal.
On ne peut pas l’interdire. Mais on peut toujours mieux l’organiser. On peut organiser que les troupeaux arrivent après que les autres aient fini de récolter. C’est un problème organisationnel. Je ne suis pas du tout d’avis qu’on vienne créer des dégâts aux cultures. Mais connaissant le calendrier et les ressources, si les informations sont bien capitalisées on peut savoir à quel moment ils peuvent être dans la vallée sans créer des problèmes aux agriculteurs. On connaît les calendriers agricoles, on pourrait bien gérer.

Si vous permettez l’expression, quelle est la « magie » que proposent les chercheurs pour éviter les conflits ?
Il n y a pas de solution magique, tout est une question d’organisation. Il faut que les couloirs soient réellement bien connus et vulgarisés. Que l’autorité assure l’ouverture réelle. Parce qu’il y a des couloirs que vous voyez sur papier mais sur le terrain, c’est des champs. Il faut s’assurer que les couloirs soient libérés et connus des différents acteurs, pas de l’éleveur ou de l’agriculteur seul, mais des deux.

Faut-il donc renforcer les campagnes de sensibilisation ?
Pas une occasion de missions précipitées. Il faut savoir ceux qui ont quelque chose à dire réellement et ce qu’ils veulent aller dire. Les autorités à divers niveaux réunis peuvent avoir les instructions nécessaires de l’autorité et aller répercuter sur leur base.

Est-ce que ce n’est pas aussi un problème de cohabitation entre éleveurs et agriculteurs qui n’arrivent pas à s’entendre pour définir les couloirs ?
Pas du tout. Les grands couloirs datent de 1987. Jusqu’à l’année dernière en 2018, on l’a encore revisité pour actualiser à travers des réunions. Mais demandez à ceux qui sont sur le terrain, si c’est libéré en fonction des propositions faites. Cela pourrait beaucoup aider.

Il y a eu récemment un guide de balisage des couloirs de passage du bétail au Bénin. Qu’est-ce que ce document apporte de plus ?
Nous devons d’abord remercier la coopération Suisse pour avoir financé cette réalisation. Dans l’histoire des couloirs au Bénin, quand une Ong ou un Projet trouve un peu de financements, il ouvre ses couloirs. Mais sur quelles bases ? La coopération Suisse a réussi avec l’appui de la Direction de l’Elevage à réunir tous les acteurs, Ong, Universitaires, Chercheurs, agents d’élevage, éleveurs pour un point. On s’est mis ensemble pour redéfinir les caractéristiques de ces couloirs, faire la catégorie des couloirs et la vulgarisation de ce document pourrait apaiser.

Dans le guide, on parle de levées topographiques à réaliser et de recensement des riverains affectés des couloirs et autres. N’est pas encore des mesures complexes à réaliser ?
Si vous vous déplacez, vous allez remarquer qu’il y a des bornes à plusieurs endroits peintes en rouge et blanc qui définissent déjà les grands axes.

Votre mot de la fin
L’Etat doit faire l’effort pour connaître réellement ses potentiels en matière de ressources pastorales. Il faut appuyer des programmes pour quantifier réellement ce qui existe comme biomasse fourragère provenant des pâturages naturels, pâturages artificiels et de nos champs, une fois la récolte faite. Une situation pareille pourrait booster la mobilité des troupeaux. Nous avons aussi un grand problème, la production de semences. Mais je peux vous rassurer que les Universitaires et les Chercheurs ont déjà travaillé avec des résultats exploitables qui existent en ce qui concerne les semences de cultures fourragères. Il suffit que l’Etat dise, j’en fais une priorité, on pourra la multiplier. Ce sont des cultures qui visent à nourrir des animaux. Mais il y a des cultures fourragères qui peuvent servir en alimentation humaine. Mais quand on parle de cultures fourragères, on pense d’abord aux animaux.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU



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