Suite à la décision de la Cour d’appel de Paris : Les avocats du chef de l’Etat jettent un nouveau pavé dans la mare

Adrien TCHOMAKOU 6 décembre 2013

Ils étaient cinq à se retrouver face aux professionnels des médias. Evelyne da-Silva Ahouanto, Jean de Dieu Houssou, Gilbert Atindéhou, Rafiou Paraïso et Sadikou Alao, avocats du chef de l’Etat, se sont prononcés hier à l’hôtel Azalaï de Cotonou sur la décision de la Cour d’appel de Paris relative au refus d’extradition de Patrice Talon et Olivier Bocco.
D’emblée, Sadikou Alao a, au nom de ses confrères, exprimé leur état d’âme lié à la défense de leur client. « Nous sommes fiers de défendre le président de la République. Plus qu’une fierté, c’est un devoir, lorsqu’on dit qu’on essaie d’attenter à sa vie », a-t-il déclaré. A l’en croire, les faits sont avérés et il est malsain de transformer la victime en accusé. Pour lui, la décision de la Cour d’appel de Paris n’a aucune incidence sur le procès en cours au Bénin. « Nous sommes devant la Cour suprême. Cette juridiction aura à se prononcer sur les pourvois en cassation qui ont été déposés, pour dire essentiellement que les deux décisions de la Chambre d’accusation doivent être cassées. Et si ces décisions sont cassées, nous nous trouverons dans un procès régulier. Et si les personnes à l’extérieur du Bénin sont poursuivies et condamnées comme des contumax, le Bénin va demander aux Etats dans lesquels ils se trouvent de les renvoyer pour qu’elles viennent y purger leurs peines. Et nous nous retrouverons dans l’hypothèse d’un nouveau mandat qui doit être exécuté », a-t-il indiqué.

De son côté, Me Rafiou Paraïso, arguments à l’appui, a passé au peigne fin la décision de la Cour d’appel de Paris. De son appréciation, il convient de retenir que les éléments sur lesquels la juridiction parisienne s’est fondée pour se prononcer donnent matière à réflexion. Aussi, n’a-t-il pas omis de mentionner que la fuite du juge Angelo Houssou intervenue pratiquement à la veille du verdict de Paris n’est pas anodine. Selon ses dires, la plainte déposée à son encontre par le chef de l’Etat comporterait des éléments accablants. Et pour ne pas y faire face, il aurait préféré prendre la poudre d’escampette.
(Lire l’intégralité de l’intervention de Me Paraïso Rafiou)
« Il y a lieu de sourire à la lecture du verdict de Paris »
« La décision tant attendue de la Cour d’appel de Paris est intervenue et chacun de nous a pu se faire de façon profane son opinion là-dessus. Lorsque les commentaires qui fusaient ici et là nous parvenaient, nous avons estimé en notre rang et qualité d’avocat, de donner un léger aperçu, un léger point de vue sur ce qui peut être retenu de cette décision.
Lorsque vous lisez les différents points sur lesquels cette décision repose, il est reproché trois choses fondamentales. La première chose, c’est que la Cour estime que l’ordonnance rendue le 17 mai 2013 par le juge d’instruction en charge du dossier avait annulé les mandats d’arrêt internationaux qui avaient été émis contre ces deux personnes. La décision a poursuivi en disant que suite à l’arrêt de la Chambre d’accusation de Cotonou qui a infirmé partiellement l’ordonnance du juge d’instruction, que cet arrêt n’avait pas précisé que les mandats d’arrêt qui avaient été annulés par le juge d’instruction continuaient de produire leurs effets. La Cour d’appel de Paris estime que le pourvoi en cassation formé par le procureur général près la Cour d’appel de Cotonou ne suspendait pas l’exécution de l’arrêt de ladite Chambre d’accusation. Lorsque le juge d’instruction ordonne la main levée des mandats, que le procureur de la République interjette appel ensemble avec les avocats de la partie civile que nous sommes, les dispositions légales font état de ce que ledit appel a un effet suspensif. Cela veut dire que les choses restent en l’état, c’est-à-dire que les personnes qui sont poursuivies et placées sous mandat de dépôt restent en détention jusqu’à ce que la Chambre d’accusation ne rende sa décision. Et lorsque cette Chambre s’est prononcée, elle a rendu un arrêt d’infirmation partielle. Il y avait dans le dossier deux catégories de personnes. Celles qui sont en détention au Bénin et les sieurs Patrice Talon et Olivier Bocco qui sont restés en France et contre lesquels des mandats d’arrêt ont été émis. Alors, la Chambre d’accusation a prononcé un non-lieu relativement à ceux qui sont en détention au Bénin à savoir Zoubérath Kora, Moudjaïdou Soumanou et Ibrahim Cissé. Relativement à Patrice Talon et Olivier Bocco, cette Cour a rendu un arrêt infirmant l’ordonnance du juge d’instruction et a estimé que cela fera l’objet d’une procédure ultérieure. Cela voudrait emporter quelle conséquence en droit ? Tout ce qui a été dit par le juge d’instruction à savoir non lieu relativement à ceux-là, main levée des mandats relativement à ceux-là, est anéanti. Cela veut dire que la poursuite à leur égard continue et les mandats restent tangibles.
Lorsque la Cour d’appel de Paris, dans sa décision estime que l’arrêt de la Chambre d’accusation du Bénin ne précise pas si les mandats continuent de produire leur effet, à notre humble avis, suite à mon développement, qui est hautement juridique, il y a lieu de sourire et de dire quelque part qu’il y a maldonne.
Relativement à l’autre point sur lequel des débats ont été suffisamment nourris et par rapport auquel chacune des parties était intervenue sur les ondes, il avait été suffisamment démontré au regard des dispositions du nouveau code de procédure pénale en application au Bénin, notamment l’article 581 qui de façon précise, limpide et sans aucune contestation a disposé que le pourvoi en cassation contre un arrêt rendu par une Chambre d’accusation a un effet suspensif. Alors, si la Cour d’appel de Paris se méprend des dispositions du code de procédure pénale au Bénin, applicables pour les infractions pénales, il y a lieu de se poser des questions sur la sincérité de ce qui a été dit. Encore que cette Cour avait l’obligation de s’approprier entièrement le droit positif béninois applicable en la matière pour ne pas se tromper.
Relativement à l’autre point qui fonde l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, il a été soutenu que le Bénin ne garantit pas que les dispositions pénales applicables aux personnes poursuivies pour des infractions du genre annulent la peine de mort ou les travaux forcés. Alors qu’il a été démontré au regard des pièces versées dans ce dossier que le Bénin a ratifié la Convention internationale sur l’abolition de la peine de mort et des travaux forcés. Vous convenez avec moi qu’une convention internationale est une norme internationale qui est au-dessus des dispositions internes applicables. Il s’agit là encore d’un élément sur lequel il convient de réfléchir.
L’autre point sur lequel il est important d’insister, c’est lorsque la Cour d’appel de Paris fait état de ce que le Bénin ne rapporte pas la preuve que pour des infractions du genre, les juridictions béninoises sont compétentes pour connaître de l’affaire. Là, il se pose un problème puisque nous sommes dans une matière spéciale où la compétence d’une juridiction à une infraction s’établit sur le principe de la triple compétence à savoir, soit le lieu où les faits sont exécutés, soit le lieu où les personnes mises en cause sont arrêtées, soit le lieu où les faits ont été perpétrés. Si le Docteur Boni Yayi, président de la République a son domicile au Bénin, si les médicaments dont il s’agit doivent lui être administrés au Bénin, cela veut dire que l’exécution de l’infraction sera consommée au Bénin. En nous retrouvant dans ce cas de figure, il est amplement établi que les juridictions béninoises sont totalement et entièrement compétentes pour statuer ou pour connaître de cette affaire.
Vous voyez que les trois éléments sur lesquels repose le refus d’extrader par la Cour d’appel de Paris amènent à poser d’énormes et de sérieuses questions ».
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



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