Tribune verte : Une attention pour les ‘‘Hommes de l’eau’’

Fulbert ADJIMEHOSSOU 14 janvier 2021

Talon sur l’eau. Cette nouvelle, je l’ai apprise, il y a un mois au cours de l’une de mes récentes visites dans l’architecture singulière de Sô-Ava dont on tombe si vite amoureux. J’ai été rassuré par la suite, avec les travaux d’aménagements enclenchés pour redonner une autre image à l’hôtel de ville et l’agenda de la deuxième phase de la tournée de reddition de comptes du Président de la République. Je ne sais pas si l’agenda de Patrice Talon le permet. Mais, un détour sur le lac sera fort symbolique pour la biodiversité lacustre en déclin, pour le tourisme en quête de vitalité et pour les populations qui aspirent à une résilience saine sur l’eau.
En tout cas, si j’étais Président, j’irais voguer sur le Nokoué. Mais je n’ai pas encore cette envie. Pour le moment, Patrice Talon a besoin d’y aller, pas par envie de voir le Chef de l’Etat marcher sur l’eau pour être porté en triomphe. Ceci, tout simplement parce que la situation des populations, à travers celle du Lac Nokoué, mérite bien cette attention. Son regard et son écoute pourraient bien provoquer des ondes d’espoir les jours à venir. Le temps est venu.
Et là, franchement, l’Etat n’a jamais su bien protéger cet écosystème du site Ramsar 1018. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. C’est un écosystème habité et c’est aussi un vivier électoral. On comprend aisément que les choix pour la sauvegarde environnementale devraient forcément perturber des intérêts politiques. Néanmoins, ne rien faire fragilise encore plus la population dont les revenus dépendent de ce bijou. Certaines pratiques comme les Acadja ont donc pu traverser le temps. Ce qui n’était, au début du 19e siècle, qu’une alternative est devenue une habitude.
Aujourd’hui, la réalité est là : la joie de vivre des ressources halieutiques disparaît. Il est possible, à ce rythme, de remonter les eaux sans espoir de revenir avec des prises. Osons le dire. Le lac est dans un état critique.
Les travaux réalisés par des dizaines de chercheurs dont Flavien Dovonou, Daouda Mama, Martin Aïna, Moussa Boukari, Abdoukarim Alassane, Armelle Hounkpatin, Patrick Edorh, Edmond Sossoukpè, Elisabeth Pazou, Placide Clédjo, et Michel Boko révèlent des indicateurs inquiétants. Il faut s’inquiéter du risque élevé d’eutrophisation de ce plan d’eau. Les valeurs des nutriments azotés et phosphatés telles que révélées sont largement supérieures aux valeurs limites indiquées par le système de classification de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
A Ganvié, de fortes concentrations de Calcium et de Plomb sont à déplorer avec des risques sanitaires majeures. Je ne doute pas qu’il y ait des initiatives en cours pour redonner au Lac Nokoué une nouvelle vie. Je veux parler par exemple de l’enlèvement des engins prohibés, la recolonisation des plans d’eau par des espèces halieutiques variées. Il faut s’en réjouir mais, plaider pour qu’il y ait davantage de mesures énergiques pour réduire la pollution chimique de l’écosystème et un suivi écologique rigoureux pour que ces initiatives portent des fruits durables.

Réinventer l’hygiène en milieu lacustre
Ce que mérite Sô-Ava, c’est bien la présence de Talon. Il faudra voir à travers cette descente, l’ambition de réinventer Ganvié, cette Vénise qui attire les touristes vers la Commune. Il n’y a pas mieux à faire que de soigner cette image que présente la cité lacustre. Déjà, aux portes de Ganvié à l’embarcadère d’Abomey-Calavi, l’accueil par les déchets solides ménagers contraste avec l’image d’une cité touristique lacustre qui se veut être la Venise d’Afrique, à moins de vouloir vendre l’insalubrité au détriment de la dignité des « Hommes de l’Eau ». L’urgence est de relever le niveau de la qualité des produits touristiques à offrir aux visiteurs, d’ici et d’ailleurs. Mais, dans le même temps, il faut proposer aux populations de meilleures conditions de vie en renforçant l’accès aux services publics essentiels et en sauvant l’écosystème du lac Nokoué dont elles dépendent.
En réalité, avoir accès à l’eau salubre, à l’assainissement et à l’hygiène à domicile ne devrait pas être un privilège pour ceux qui sont en ville, ou pour ceux qui vivent sur la terre ferme. On ne peut supposer que parce que l’on vit sur l’eau, on ait d’office accès à l’eau potable. C’est une nécessité absolue pour bloquer les voies de transmission des maladies féco-orales. C’est pourquoi cela constitue une préoccupation majeure de l’agenda 2030, plus précisément de l’ODD 6 : « Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ».

Il est temps !
Connaissant l’engagement du Gouvernement pour l’accès universel à l’Eau potable, le défi est encore plus grand en milieu lacustre où la dégradation de l’environnement et d’autres facteurs rendent les populations vulnérables aux germes véhiculés par les vecteurs de maladies. Dans ce milieu, le paludisme reste a priori l’affection la plus dominante. Viennent ensuite les maladies diarrhéiques qui, bien qu’ayant une prévalence faible, restent préoccupantes.
Sô-Ava a besoin d’eau, bien qu’étant sur l’eau. Paradoxe. En effet, les infrastructures d’eau ne sont pas suffisantes malgré les efforts consentis ces dernières années. La disponibilité permanente de la source de vie reste à régler dans la commune. Les pannes répétées viennent accentuer le calvaire. Et les postes d’eau autonomes privés foisonnent. Il faut s’en préoccuper. De grands projets en vue de l’alimentation du milieu lacustre en eau potable ne feront que le bonheur de ce peuple de l’eau.
Mais à côté, il faut de nouveaux modes de gestion des déchets. Le temps est venu de proposer à Sô-Ava des alternatives en la matière et s’intéresser à l’assainissement de son milieu. Une chose est de sensibiliser, mais l’autre est de pouvoir aider les populations à se décider, agir dans le sens du changement. Des latrines, la population en a besoin, de même que des mécanismes pour les vider en son temps. Il en faut qui répondent aux conditions hydrogéologiques spécifiques des milieux lacustres.
Je suis plutôt assoiffé, comme beaucoup d’entre nous, de la vraie histoire de ce peuple qui recherche depuis toujours, l’équilibre du mieux-être sur l’eau. Plutôt que celle que nous vendons, par ignorance aux touristes. Celle d’un peuple qui ressent le besoin crucial de vivre dignement. Du lac, nous en savons très peu au-delà de ce que nous renseignent quelques travaux sur l’ethnoécologie de ce milieu et ces vagues connaissances que nous avons de la vie sur l’eau. En prenant l’habitude d’y être fréquent ces dernières années, j’ai fini par comprendre qu’il y a une culture que nous valorisons peu, des traditions qui s’érodent sur l’eau, une résilience forgée par la précarité du mode de vie, et sans doute des merveilles rendues invisibles ou fades par l’insalubrité.
Comme dans toutes les destinations touristiques au monde, Ganvié a souffert du Coronavirus. Les témoignages sur le vide ressenti valent mieux que les chiffres de l’isolement soudain dont a été victime la cité lacustre. Cependant, à l’heure d’une probable reprise, il faut penser à un tourisme durable. Je sais que le Chef de l’Etat en est préoccupé. J’espère qu’en faisant le tour sur l’eau, il saura toucher du doigt les conditions de vie actuelles des « Hommes de l’Eau », pour leur offrir mieux, à côté de son ambition de réinventer Ganvié, l’Eau, l’hygiène et l’assainissement. Il est temps. Puisque, comme l’a écrit Georges Bourgoignie dans un ouvrage intitulé « Les Hommes de l’Eau », publié en 1972, « L’eau a été et demeure pour eux à la fois leur salut et leur perte, la condition de survie et une menace ».
Fulbert ADJIMEHOSSOU



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