Entretien avec Clotaire Olihidé, spécialiste des questions électorales : « La centralisation électronique des résultats est une réforme à saluer »

La rédaction 22 janvier 2016

Clotaire Olihidé s’est révélé aux Béninois à travers ses alertes spontanées sur les processus électoraux, depuis 2009. Comme par le passé, le spécialiste des questions électorales attire l’attention des organes impliqués dans l’organisation de la prochaine présidentielle sur des questions essentielles : fiabilité de la Lépi, confection de nouvelles cartes d’électeurs, de la centralisation électronique des résultats et autres. Il décline à travers cette interview, les mesures idoines pour assurer une élection crédible et transparente.

En votre qualité de spécialiste de questions électorales, quels sont les défis liés à l’organisation de la présidentielle de 2016 ?
Je crois que l’essentiel est que la Commission électorale nationale autonome (Céna) puisse tirer leçons des dernières élections pour que nous n’assistions plus à des frottements. Il avait des bureaux de vote qui ont ouvert en retard, des bureaux où il n’avait pas suffisamment de matériels. Il y a des endroits où les agents électoraux ne sont pas suffisamment formés. La Céna devra prendre toutes les dispositions pour que les grandes activités commencent très vite. Je veux parler du recrutement et de la formation des agents électoraux et la commande du matériel électoral. Ces choses là devraient se faire assez tôt pour qu’on ne soit pas entrain de courir au dernier moment. Il le faut pour palier aux insuffisances et aux dysfonctionnements. La Céna doit nous épargner de cela.

Depuis la transmission de la Lépi à la Céna, il n’y a presque pas eu de réactions des partis politiques. Est ce que vous pensez qu’il y a de raisons de croire que la liste électorale est fiable ?
Cette situation s’explique parfaitement. Il suffit de savoir ce que nous avons fait en 2009, en 2011, en 2013 et ce que nous sommes entrain de faire aujourd’hui pour mieux comprendre. Entre 2009 et 2010 c’était des opérations de Recensement national approfondi (Rena) aux termes desquelles on devrait tirer le fichier électoral. C’était des opérations de terrain. Tout le monde avait une idée de ce qui se passait. Les couacs étaient là sous nos yeux. On avait de la matière pour opiner. En 2013, c’était une actualisation et une correction. Là également, il y a eu des opérations de terrain. Là égarement, on avait de la matière pour opiner. Par contre cette année, ce n’est ni une question de réalisation, ni de corrections. C’était essentiellement de l’actualisation et de la mise à jour. Les travaux se sont essentiellement déroulés au bureau. Le peu de déploiement qu’il a eu au niveau des élus locaux, c’est pour que ceux qui n’y étaient pas viennent s’inscrire et cela n’a pas duré longtemps. Il n’y a pas eu une opération apparente de terrain où on pouvait détecté où est ce que les problèmes se posent. La deuxième chose, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de communication autour. Nous ne pouvions pas nous rendre au Cos Lépi pour détecter les problèmes qu’il y a sur la Liste. Cette fois-ci, la différence est qu’on a tous attendu le produit fini pour opiner l’a dessus. Malheureusement, nous ne l’avons pas encore sous nos mains. Par contre, le seul élément qui pourrait véritablement susciter les levés de boucliers n’ont pas encore lieu. C’est la distribution des cartes d’électeurs. C’est au moment de la distribution des cartes d’électeurs que le pot aux roses autour de la Lépi sera découvert, s’il en avait. Aujourd’hui, nous n’avons véritablement pas d’éléments d’appréciations jusqu’à la distribution des cartes d’électeurs.
Par contre, il y a deux choses qui me posent un problème. La première chose, c’est cette décision de transformer les cartes d’électeurs en une carte d’identité. Personnellement, je trouve que c’est une aberration. Si cela se confirmait, nous devons réagir vivement. J’ai eu vent de cela et j’espère qu’on n’ira pas jusqu’au bout de ce processus. Parce que la liste électorale, telle qu’elle a été réalisée en 2010, puis actualisée en 2014, ne nous donne pas toutes les garanties de fiabilité pour qu’on puisse imaginer un seul instant transformer les résultats de cette liste en un outil qui permet d’accorder la nationalité à des individus. Ce serait très dangereux et j’espère qu’on n’ira pas jusque là. La 2e chose qui me pose un problème, c’est qu’on veuille reprendre les cartes d’électeurs pour tous les Béninois. Je trouve qu’à un mois et demi des élections, la solution la plus simple serait de donner des cartes à ceux qui n’en avaient pas. Les nouveaux électeurs comme on le dit, quitte à ce qu’après les élections, on reprenne les cartes pour tout le monde. Dans cette courte période qui nous sépare des élections, on gérerait difficilement cette option. Telle que c’est entrain d’être prévu, cela pourrait avoir l’effet contraire. Je suis d’accord qu’il faut reprendre les cartes d’électeurs parce que les cartes que nous a fabriqué le Cos Lépi de Sacca Lafia était ridicule. Vu que la grande majorité en avait, ce sera mieux d’en distribuer à ceux qui n’ont pas.

La Céna souhaite donner les grandes tendances dans un court délai à travers la centralisation électronique des résultats. Quelle analyse faites-vous sur cette option ?
Je crois que c’est une bonne reforme. La centralisation électronique des résultats est une réforme à saluer. Sur le principe, je suis partant. D’aucuns vont dire que la loi n’a pas prévu cela. La loi ne dit pas tout. Elle ne donne pas tous les détails. La même loi qui a dit que la compilation se fait au niveau des coordinations d’arrondissements, c’est la même qui en un autre article a dit que la commission électorale prend toutes les dispositions pour assurer la transparence des élections. Or, ce qui est entrain de nous être proposer par la Céna est un élément de transparence du scrutin.

Ce que les gens craignent est que les données soient envoyées directement à la Céna alors que les coordinations d’arrondissement sont censées faire la compilation d’abord.
Le problème se poserait s’il était dit que les données ne passeraient plus par le cycle des coordonateurs d’arrondissement. Il n’est pas dit que cette partie sera occultée. A côté de ce facteur qui est prévu de façon claire dans le code électoral, qu’il y aurait également un second facteur et donc pour assurer la transparence. Les données vont simultanément aux deux niveaux. Donc, sur le principe, je n’ai pas de position négative sur cette option.

Est-ce que la Cour est impliquée dans ce processus de la centralisation électronique des résultats ?
Selon les informations que j’ai, cette décision de la Céna n’a pas été prise sans la consultation de la Cour constitutionnelle. Sous réserve de confirmation, la Cour été consultée pour donner son aval. Si cela n’avait pas été fait, je ne crois même pas que la Céna aura le courage de se lancer dans cette réforme.

Et pourquoi dans le processus, la Cour ne reçoit pas directement comme la Céna les données envoyées du terrain ?
Je n’ai pas parlé de la Cour Constitutionnelle parce que cet acteur là, pour moi, n’est pas directement concerné par ce qui se passe au niveau de la Céna. Mais je crois bien, à moins qu’on vienne le démentir, que la Cour constitutionnelle comme d’habitude, recevra les résultats.

La Céna parle de phase expérimentale. Est-ce à dire que quand elle aura les tendances issues de la centralisation électronique, elle devra attendre la compilation par l’ancienne méthode avant de donner les tendances ?
Sur cette question, j’espère que la Céna est consciente de ce qu’elle ne peut pas outrepasser ce que prévoient les textes. Ce qui a été prévue par la loi n’a pas été mis de côté. En plus de cela, il aura une base de comparaison. Conformément aux textes, quand bien même la Céna aura les résultats par la centralisation électronique, elle ne le proclamera pas tant que les résultats des coordinateurs d’arrondissements n’arriveraient pas.

Mais plus on devra attendre, plus la guerre des technologies et des tendances sur les réseaux sociaux va durer. Est-ce que cela ne donnera pas lieu à un cafouillage ?
C’est cela l’un des intérêts de notre code électorale. Les acteurs politiques ont la possibilité de prendre des dispositions pour contrôler ce qui se passe. Pour moi, plus on a d’outils de comparaisons, mieux on se prend. Ce que vous appelez la guerre des technologies, cela a peut être une connotation péjorative. Mais, c’est mieux. On aura les résultats des coordonnateurs d’arrondissements, on aura les données de la Céna et on aura ce que les partis politiques eux-mêmes ont veillé à avoir. Quand on a beaucoup de bases de comparaisons, ce sera plus facile de déterminer là où les problèmes se posent. Lorsqu’on identifie les problèmes, on peut trouver les solutions que quand on ne sait pas du tout où se trouvent les problèmes. En introduisant cela, l’avantage qu’on a est que le même jour, en même temps que les partis ont les tendances, la Céna a aussi les résultats et ce sera plus facile de faire des rapprochements.

Vous avez été membre de la société civile. Aujourd’hui, vous êtes un acteur politique. Dites nous pourquoi ce revirement ?
C’est à l’œuvre qu’on reconnaît l’artisan. C’est en menant la lutte au sein de la société civile, que j’ai constaté que cette lutte ne permettait pas d’impacter autant que le voulais l’avenir de notre pays. En m’engageant dans la société civile je croyais fermement que d’une manière ou d’une autre je pourrais faire évoluer les choses. C’est avec le temps que j’ai compris que les décisions ne se prennent pas à ce niveau là. Il est vrai que lorsque vous êtes dans cette posture, à ce niveau là, vous pouvez influencer les choses. Mais, les décisions qui peuvent induire des changements dans la forme se prennent au niveau politique. Ce sont les acteurs politiques qui décident en dernier ressort de ce que le pays n’ira pas dans telle ou telle autre direction. Votre rôle en tant que acteur de la société civile, c’est de veiller, de faire des suggestions au fond. Au finish, ce sont les politiques qui décident de ce qu’ils retiennent ou ne retiennent pas.

D’aucuns estiment que c’est une excuse pour des acteurs comme vous. Est-ce que ce n’est pas pour tirer des dividendes de la politique ?
Ce n’est pas parce que j’ai changé la forme de mon combat que cela m’apportera des dividendes. L’intention, c’est d’abord d’avoir un impact concret pour le pays. Lorsque vous menez un combat et vous avez l’impression que le résultat n’est pas concret, on est quelque peu frustré. Ce n’est pas le gain qui est mon problème, c’est le résultat que je compte obtenir. Je n’ai fait que modifier la forme de mon combat. Si vous me suivez vraiment, vous vous rendrez compte qu’entre ce que je faisais au sein de la société civile et l’option politique que j’ai fait aujourd’hui, la différence n’est que dans le changement de nom en réalité. Le combat pour moi demeure le même, mon objectif n’a pas varié. Je voudrais vous donner un exemple simple. Je fais partie de ceux qui se sont battus pour que nous ayons ce code électoral. Je peux vous dire qu’à l’époque, on avait fait de nombreuses propositions dans le sens de la professionnalisation de la Céna par exemple. Nous étions allé jusqu’à les exposer aux députés à l’Assemblée Nationale. Ce sont des propositions que nous croyons pouvoir changer les choses du point de vue technique et politique. Mais lorsque la loi a été finalement votée, nous nous sommes rendu compte que beaucoup de propositions ont été mises de côté par les politiques parce que cela ne les arrangeait pas. Et puisque c’est à eux que revient le dernier mot, nous n’avons fait que consommer. C’est quelque peu frustrant quand vous vous engagez, vous vous battez, vous mettez le peu de moyens que vous avez et qu’au finish, le dernier mot revient à une autre personne que vous pensez être le nœud même du problème.

Ainsi vous convenez avec nous que la société civile perd du terrain en ce qui concerne la veille citoyenne. Est-ce que vous faites le point de ce qui ne marchait pas réellement avant de changer de forme de lutte ?
J’avoue que le concept de société civile aujourd’hui est quelque peu insignifiant. Vous avez deux grandes conceptions de la société civile. Il y a ceux qui pensent que la société civile regroupe des associations qui sont en relation avec l’Etat, qui sont des supplétifs de l’Etat dans certains domaines. Il y a ceux qui pensent, comme moi, que c’est plutôt mettre la pression sur les gouvernants pour faire évoluer positivement la cité. Je me suis toujours mis dans ce rôle de veille citoyenne. J’avoue que je me suis pas préoccupée de savoir qui profite ou pas des dividendes. Quand vous êtes dans la posture de combattant, votre objectif n’est pas de savoir ce qui ne va pas entre ceux qui sont des supplétifs et les autres.

Pourquoi avoir fait le choix de Sébastien Ajavon alors que votre parti politique a opté pour Patrice Talon ?
En m’engageant en politique, je n’ai jamais été un adepte de la politique politicienne. C’est-à-dire mélanger les pédales, tirer à boulets rouge sur l’autres quelque soit ce qu’il fait de bien ou de mauvais, ça n’a jamais été mon problème. C’est pourquoi, je disais que mon combat a changé de forme mais le fond demeure le même. A partir de ce moment là, j’estime que lorsqu’on veut faire un choix et qu’on a tout les paramètres sur la table, il faut réfléchir pour décortiquer. Il faut prendre une décision en toute objectivité. Il est vrai qu’en me lançant en politique, je me suis engagé pour Alternative citoyenne qui est un parti qu’ensemble avec d’autres acteurs de la société civile, nous avons décidé de mettre en place parce que nous estimions que la politique telle que elle se faisait n’était pas ce que nous aurions souhaité.
Lorsque il a été question de choisir qui allait être le porte-étendard de notre groupe à la présidentielle de 2016, nous avions retenu unanimement après consultation de nos bases, le Professeur Joseph Djogbénou, Président d’honneur du parti. Malheureusement, au lendemain des élections communales, lorsque cette décision a été notifiée à Me Djogbénou, il a écrit au parti quelques jours après pour faire part de sa décision de renoncer à sa candidature et nous demande de nous porter vers le candidat Patrice Talon. Toute suite, j’ai trouvé que cette démarche ne collait pas aux textes. Ces textes disent la manière dont nous devons désigner le candidat, qu’il soit à l’interne ou à l’externe. J’ai donc laissé au parti la latitude au parti de voir à nouveau qui pouvait porter les couleurs. Ensuite, on demande au bureau exécutif dont je fais partie de se réunir pour voir si on est d’accord ou pas. J’ai trouvé que ce n’était pas conforme à nos textes et je me suis mis à l’écart. J’ai décidé pour ce qui me concerne, non seulement en ma qualité de chargé des questions électorales du parti mais aussi en ma qualité de coordonnateur Ouémé Plateau, de prendre le recul et de discuter avec les éléments qui étaient sous ma responsabilité dans l’Ouémé Plateau. J’avoue personnellement que ce choix là, ne me convainquait pas réellement non pas parce que j’ai quelque chose contre Patrice Talon. Mais au vu de l’actualité de ces dernières années, j’ai estimé que ce n’étais peut être pas la solution idéale pour nous et pour notre pays. J’étais plutôt septique. J’ai préféré discuté avec les miens. Après discutions, nous avons décidé d’observer les autres candidats pour voir si éventuellement il avait la possibilité d’avoir mieux. La candidature de Sébastien Ajavon a commencé à germer. Nous avons après avoir échangé et au vu de ce que nous connaissons de l’homme, nous estimons qu’il a de loin tout ce que nous souhaitons pour notre pays par rapport aux autres candidats.

Dans ce cas êtes-vous toujours membre de Alternative citoyenne ?
Effectivement lorsque le débat sur qui pouvait représenter le parti se posait, j’ai estimé que la démarche était biaisée. Ce que je devrais faire normalement, c’étais de me retirer de façon formelle. Mais ce qui me lie à Alternative citoyenne, ce n’est pas un individu mais les textes que nous sommes donnés, ce sont les idéaux. Ce qui me lie au parti, ce n’est ni Talon, ni Ajavon. Aucun d’eux, n’est membre de Alternative citoyenne. Nous allons à une élection présidentielle, nous avons choisi un candidat à l’interne. Si c’était resté comme cela, je crois qu’il n’y aura pas de problème. Et si le choix à l’externe ne s’est pas passé comme l’on devrait le faire, je crois que, au vue de ces considérations, je devrais me retirer calmement. Mais d’autant que la ‘’majorité’’ avait tant de libertés par rapport à nos textes, n’ayant pas partagé cette manière de faire, j’ai respecté la discipline de groupe. S’ils estiment que j’ai violé ces textes là, j’attends qu’ils prennent leurs décisions.

Donc vous n’avez plus de liens avec le parti ?
Depuis que le président du parti à annoncer publiquement que le choix du parti est Patrice Talon, je me suis mis à l’écart. Je ne sais plus ce qui s’y passe. Ce qui aujourd’hui peut paraître commune un différent, c’est le choix du candidat du parti. On attend de voir, si le parti finira par se reconstituer ou si chacun finira par prendre son chemin.

Au-delà de Alternative Citoyenne, même les plus grandes formations politiques du Bénin ont du mal à se décider. Pourquoi le choix des candidats constitue une épée de division des acteurs ?
C’est parce que nous n’avons rien fait pour corriger les tares de notre système partisan qui est devenu défaillant. Lorsqu’on parle d’une élection présidentielle, ou quelque soit la nature de l’élection, c’est beaucoup de moyes qu’il faut engager. Et lorsque vous n’avez pas encore régler la question du financement des partis politiques, ou la question de la démocratie interne au sein des partis, il n’y a pas de raisons que à l’approche des élections, les choses ne se compliquent pas. Nous le savons depuis toujours que si les partis arrivent à tenir le coup, c’est parce que il a des gens derrières qui les finançaient. Et donc quand ces personnes là décident elles mêmes d’aller au charbon, comprenez que ces partis sont toutes suites déstabilisés.
Tout ce que nous appelons partis politiques aujourd’hui au Bénin a ce problème là. Le Prd, la Rb n’ont pas pu avoir un candidat à l’interne. L’Union fait la Nation s’est disloqué. Et même au sein des Fcbe où ils ont soit disant désigné un candidat, en réalité, quand vous faites le point, avec toutes les réactions qu’on a des ténors de ce regroupement, vous vous rendez compte qu’on le leur a imposé. Ce qui se passe aujourd’hui, ne me surprend pas. Il fallait s’y attendre. Nous sommes face à la réalité et nous devons en tirer les conséquences.
Entretien réalisé par Arnaud DOUMANHOUN et Fulbert ADJIMEHOSSOU



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