Proposition de loi visant la grève des Magistrats au Bénin : Le député Valentin Houdé dénonce une ‘’loi assassine pour la justice’’

Karim O. ANONRIN 31 juillet 2014

Le député Valentin Aditi Houdé, 2ème Questeur de l’Assemblée nationale et non inscrit vient de donner sa position sur la proposition de loi portant modification de l’article 18 de la loi n°2001-35 du 21 février 2003 relative au statut de la magistrature. C’était mardi dernier au cours du débat général sur le rapport de la Commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme lors de l’examen en plénière du dossier. Dans une présentation historique du pouvoir judiciaire, le député Valentin Aditi Houdé, a traité la proposition de loi en question de ‘’loi assassine pour la justice’’ au vu de l’importance du pouvoir judiciaire dans toute société humaine aspirant à une évolution. « …Les luttes pour le progrès humain ont pour pierre d’angle la recherche de la liberté, grâce au triomphe de la justice pour tous, qui ruine les pratiques arbitraires au sein de la société… », a dit le député Valentin Aditi Houdé. Aussi, a-t-il invité ses collègues à s’abstenir de voter cette loi qui, selon lui, constitue une source de tensions inutiles entre les institutions de la République.
(Lire ci-dessous l’intégralité de l’intervention du député Valentin Aditi Houdé)

Intervention du Député Valentin Aditi Houdé sur la Proposition de loi portant modification de l’article 18 de la loi n° 2001-35 du 21 Février 2003 relative au statut de la magistrature.
La proposition de loi en étude pose le problème de l’étendue des compétences législatives par rapport au statut des droits et libertés reconnus et consacrés par la Constitution et les traités.
Il s’agit d’un texte qui interdit aux magistrats le droit d’être électeur qui est corollaire au droit d’être éligible, la liberté d’expression et d’opinion, la liberté d’association, la liberté syndicale, le droit de grève, en somme le droit d’être citoyen.

Monsieur le Président,
Universellement reconnu comme troisième pouvoir au sein de la société après l’Exécutif et le Législatif, la Justice ne peut être juste que si elle jouit de la plénitude de ses prorogatives au nombre desquelles la liberté comme un des constituants fondamentaux des attributs de l’Homme.
Longtemps au service de l’arbitraire dans les monarchies, la Justice est devenue indépendante vis-à-vis des deux premiers pouvoirs avec l’avènement des Etats républicains nés du combat des intellectuels humanistes et des luttes populaires. Et c’est une avancée, une victoire, un acquis qu’il serait hasardeux voire suicidaire, au Bénin comme ailleurs, de tenter de remettre d’une manière ou d’une autre en cause.
Les luttes pour le progrès humain ont pour pierre d’angle la recherche de la liberté, grâce au triomphe de la justice pour tous, qui ruine les pratiques arbitraires au sein de la société. Le combat des intellectuels, qu’ils soient organiques (acteurs politiques), humanistes (penseurs du social allant dans le sens de la promotion des attributs humains), ou purement théoriques, a imprimé à la marche du monde un rythme soutenu, renforcé et conforté ici et là par des luttes populaires pour plus de justice et de liberté.
L’évocation de noms de quelques figures emblématiques mondiales de ce combat et de ces luttes permet de nous rafraîchir, s’il en était encore besoin, la mémoire.
Ainsi, :
- Membre du Congrès puis élu deux fois de suite Président des Etats Unis, Abraham Lincoln s’est battu farouchement non seulement pour la sauvegarde de l’Union, mais également pour l’abolition de l’esclavage dans la Fédération en faisant voter des lois anti-esclavagistes.
Cela s’appelle défendre et promouvoir les attributs humains de liberté et de dignité sans lesquels pas de progrès humain.
Son audace dans une Amérique de la seconde moitié du 19è siècle lui vaudra d’être assassiné en 1865. Mais l’humanité entière en est sortie grandie.
- Le Mahatma Gandhi, dans son Inde encore colonie britanique ;
- Le Pasteur noir Martin Luther King aux Etats-Unis d’Amérique ;
- Le Héros du régime abject de l’apartheid, l’Immortel Nelson Mandela, tous les trois, entre autres, ont mené à leur corps défendant et victorieusement le même combat : la mort de l’arbitraire qui tue les droits humains dont la privation fait de l’être humain une chose.
Et comme l’histoire le montre, malheur à celui par la faute de qui l’homme au singulier ou au collectif se voit privé de ses droits les plus élémentaires mais les plus chers, parce que inaliénables : l’intégrité du libre arbitre (la conscience !) et la liberté.
Plus que d’ordre juridique et social, la proposition de loi présentement en débat pose une problématique d’ordre sociétal en ce sens qu’elle vise à frapper et atteindre en plein cœur la société béninoise.
A l’allure où vont les choses, il est à craindre, par la faute de la Représentation Nationale, faisant marche arrière par rapport au progrès humain que connaît continuellement le monde et par rapport aux acquis réalisés par le peuple béninois, il est donc à craindre que la République se laisse tenter par les sirènes de l’arbitraire.
Une aventure douloureuse dans laquelle la République pourrait aller jusqu’à se donner le droit de vie ou de mort sur les citoyennes et les citoyens parce qu’elle aurait confondu citoyens et sujets.
La Justice, parce qu’elle est une potion difficile à avaler, interpelle chacun de nous, membres de l’Assemblée Nationale du Bénin, 6ème Législature. Elle lui demande, en son âme et conscience de se montrer juste en ne votant pas pour une loi assassine pour la Justice de son pays et au-delà de celle-ci, une loi assassine pour la démocratie et les libertés chèrement conquises par le peuple.
A la justice de notre pays, que nous voulons opérante, opérationnelle, efficace, efficiente, nous nous devons de rendre justice.
Grâce à une grande capacité d’écoute et de discernement, l’Assemblée Nationale a le devoir de voter des propositions de loi qui améliorent les conditions de travail et de vie des magistrats.
De la sorte, la Justice gagnera en diligence et en excellence.
Monsieur le Président,
Si la présente loi venait à être votée, déclarée conforme à la Constitution et promulguée, elle n’aurait pas résolu les problèmes pour lesquels les magistrats vont en grève. Elle aurait seulement tenté de supprimer les symptômes d’une maladie au lieu de guérir la maladie elle-même.
Cette loi court fortement le risque de ne pas être respectée par les magistrats qui ne cesseront pas d’aller en grève.
Dans une pareille situation, c’est toute une bonne partie du système institutionnel national à savoir Assemblée Nationale, Cour Constitutionnelle, et Présidence de la République qui serait fragilisée.
Au regard de tout ce qui précède, il importe que les Honorables Députés s’abstiennent de voter pour cette proposition de loi, qui au fond outrepasse les compétences législatives ordinaires de l’Assemblée Nationale et constitue une source de tensions inutiles entre les institutions constitutionnelles.

Je vous remercie.



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