A bâtons rompus avec Brice Sinsin : « Forestier, je me suis très vite intéressé aux questions d’écologie appliquée »

Fulbert ADJIMEHOSSOU 29 mars 2018

A quoi s’occupe désormais Brice Sinsin après son départ du rectorat de l’Uac ? Fraternité vous amène à la rencontre du Professeur Augustin Brice Sinsin qui se concentre depuis peu sur ses premières amours au Laboratoire d’Ecologie Appliquée. Auteur de plus de 300 publications, il revient sur ses trois décennies d’engagement pour la conservation des ressources naturelles et analyse la gestion de la faune et de la flore au Bénin.

Professeur Sinsin, vous avez reçu, il y a quelques mois, le prix de meilleur scientifique de l’Afrique pour le compte de l’année 2017. Parlez-nous de cette distinction ?
C‘est un prix qui récompense en réalité les autorités académiques très chargées et qui en même temps poursuivent leurs activités d’encadrement et de recherche dans leur université. C‘est le croisement de ces deux variables qui a permis d’attribuer ce prix spécial décerné au niveau continental. Etre très chargé, ça veut dire qu’il faut être recteur ou vice-recteur. C’est à ce niveau que les charges académiques sont élevées. Dans le même temps, il faut avoir une bonne masse de publications et de formations de la relève. C’est après avoir croisé ces deux variables qu’on a dégagé parmi 66 Recteurs, le 3e qui est une présidente d’université en Ethiopie, le second qui est un recteur d’une université sud-africaine et moi-même le premier.

Désormais, vous retrouvez vos premières amours d’écologiste, conservateur des ressources naturelles. Pourquoi cette option ?
Je suis ingénieur agronome forestier de formation. A la base, j’étais impressionné par le message que j’ai reçu au cours de ma formation en conservation des ressources naturelles. En qualité d’ingénieur envoyé sur le terrain, je m’occupais de l’aménagement des plantations de teck à Tchatchou dans la commune de Tchaourou, et de nombreux aires protégées comme les forêts classées de Toui et de Kilibo. Je le faisais bien évidement avec une brigade forestière. Ainsi, forestier, j’étais très vite passionné par les questions d’écologie appliquée et les problèmes environnementaux.

Est-ce à dire que le Professeur Brice Sinsin a servi le drapeau national en tant que forestier ?
Si, je suis forestier assermenté, disposant de tout ce que vous pouvez imaginer comme outils et moyens humains d’accompagnement dans le cadre de la mission.

Comment s’est opéré alors le passage de votre statut de forestier à celui de chercheur ?
Après deux années passées sur le terrain, on nous a fait appel pour déposer nos dossiers afin d’assurer la relève au niveau de la faculté des sciences agronomiques en 1985. C’est donc avec le doyen Professeur Mama Adamou N’Diaye (1980-1991) que la relève a commencé à être mise en place à travers une politique de formation. C‘est grâce à lui que je me retrouve enseignant de l’Uac aujourd’hui.

Enseignant-chercheur, vous avez combien de productions à votre actif ?
J’ai plus de 300 publications. C ‘est le fruit de la passion. J’aime tout simplement partager mes connaissances. J’ai tout simplement constitué mon équipe avec des gens à qui j’ai donné la passion de la production scientifique. Chaque année, nous avons toujours un rapport qui fait le point de nos productions de l’année.

Combien de descendants peut-on compter aujourd’hui sur l’arbre généalogique du chercheur Sinsin ?
Il y a une quarantaine de docteurs formés à travers le monde. J’ai formé des Américains, des Belges, des Tchadiens, Maliens, Camerounais et des Béninois dont j’ai dirigé la thèse.

Quelles sont les thématiques sur lesquelles vous avez beaucoup plus travaillé ?
L’agronome, à la différence du médecin, touche à tout. Nous avons travaillé entre autres sur les questions de pâturage. Il y a le pourquoi les éleveurs conduisent les animaux pendant trois, quatre mois à travers la nature, hors de leurs communes d’habitation jusqu’ à ce que les pluies reviennent pour qu’ils retournent dans leur campement. Il faut aussi une compréhension scientifique de cette situation à partir des données biophysiques. En tant que forestier, il y a aussi les problèmes de la conservation des ressources naturelles, notamment dans les aires protégées. Nous avons travaillé également sur l’agroforesterie, puis après le contenu et le contenant de ces forêts classées, les animaux et les plantes. On continue de travailler sur beaucoup d’espèces dans les grands groupes, pour comprendre leur niveau de comportement en rapport avec les populations. Il y a également qu’on a cherché à voir comment conserver les mégas herbivores tout en préservant les biens qu’ils peuvent venir détruire dans les terroirs. Il y a une sous-espèce de primate endémique du Bénin et au sud-est du Togo, le singe à ventre rouge, le Zinkaka qui a fait l’objet de plusieurs années de recherche sur son aire d’occurrence, la maitrise de sa population et de son écologie. Le Dr Georges Nombimè est un pur produit de cette aventure scientifique. On a produit aussi la liste rouge des espèces menacées. Aujourd’hui, la relève est très spécialisée dans toutes les questions ethnobotanistes. Quand on parle de baobab, il y a le professeur Achille Assogbadjo. En ce qui concerne le tamarinier, il y a le professeur Fandohan, etc. Par rapport aux plantes médicinales, c‘est le professeur Julien Djeigo. Aujourd’hui, on produit même le thé. On ne devrait plus voir sur la table de quelqu’un des thés ‘’Lipton’’.

Quelles sont les priorités du chercheur que vous êtes de retour au laboratoire d’écologie appliquée (Lea.
C‘est de continuer à former la relève et résoudre les questions scientifiques qui se posaient à moi à divers niveaux par rapport aux communautés végétales qu’on retrouve sur les parcours naturels, par rapport à l’utilisation que l’on fait de certaines plantes fruitières et médicinales qui sont en voie de disparition. Il s’agit de voir comment favoriser l’utilisation et conserver la ressource de façon durable. Ce sont autant de questions sur lesquelles, il faut toujours continuer à trouver des solutions. Il y a des espèces qui, de temps en temps s’isolent et qui migrent. Une fois que l’individu se détache de son groupe, quel est son devenir dans son nouveau site d’implantation, et quand il commence à se développer, se développe-t-il en s’éloignant du groupe ou en se rapprochant, les arbres aussi ont une certaine physiologie qu’on essaie de creuser.

Comment se fait-il que les problèmes de mauvaise gestion des ressources naturelles s’intensifient malgré l’engagement des scientifiques ?
Il faut distinguer la politique des universitaires pour fournir des outils d’aide à la décision à nos décideurs politiques. Le chercheur essaie d’apporter des solutions à des questions bien posées, mises sous forme d’hypothèses de travail. C’est ce qu’on appelle le paquet technologique universitaire et de la recherche. Il y a un grand pont entre ce qui est découvert dans nos laboratoires et ce que les gouvernants mettent en place comme politique de conservation des ressources naturelles. Cette situation que nous observons est une réponse de la politique actuelle par rapport à la conservation des ressources naturelles. Si un gouvernement fait de la conservation des ressources naturelles sa priorité, ça veut dire qu’il veut le bien-être des populations. Il fait en sorte que les populations puissent bien vivre dans nos terroirs, dans nos milieux ruraux pour pouvoir respecter la protection de certaines espèces. Donc, comme vous le constatez, on assiste aux conséquences de la politique d’utilisation des ressources naturelles au niveau national et son impact sur la qualité de vie des populations. Ces dernières, surtout en milieux ruraux n’ont pas accès aux pharmacies, ni aux grands supermarchés, et doivent vivre de ces ressources naturelles. Ainsi, lorsque la pauvreté est très accentuée et qu’il n’y a pas une politique d’accompagnement ces populations sont obligées de détruire et de vivre avec ce qu’elles ont à portée de main. Cela constitue à la destruction des espèces.

Est-ce qu’en plus de vos activités de recherche, il n’est pas nécessaire de s’engager sur le terrain pour faire bouger les lignes ?
Chercheurs que nous sommes, nous sommes amplement impliqués. Je suis en science appliquée. Tout ce que je fais ici est directement appliqué sur le terrain. Par exemple, depuis cinq ans, le cours sur la gestion des aires protégées se déroule dans une aire protégée après la théorie. Ce cours se fait in vitro. Sur le terrain, les apprenants mesurent les variables et peuvent voir ce qu’on appelle aménagement dans la réalité. Ils assistent aussi des professionnels qui sont dans leur milieu. Nous rêvons d’un monde où la nature est bien protégée, bien conservée pour nous aujourd’hui et pour les générations futures.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU



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