Bénin/ Menace sur les mangroves : Anatomie d’un désastre écologique inquiétant

Fulbert ADJIMEHOSSOU 31 mai 2018

En deux décennies, les mangroves ont perdu près du tiers de leur superficie au sud du Bénin. Si le recours aux palétuviers pour les activités de pêche et la saliculture en sont les facteurs principaux, d’autres menaces nécessitent des actions urgentes. Enquête. (épisode1/3)

Les chiffres sont d’ailleurs vertigineux : 75.000 ha, soit 1,07 millions de terrains de football, ou 24 fois le domaine du futur aéroport international de Glo-Djigbé. C’est la superficie de forêts détruites chaque année au Bénin. Malgré leur fragilité, les écosystèmes de mangroves n’échappent pas à cette tendance. « C’est un écosystème très prisé pour l’écotourisme. Cependant, les menaces sont persistantes et de toutes sortes, en dépit des sensibilisations auprès des populations. Il faut aujourd’hui des actions urgentes pour arrêter la saignée », confie Gauthier Amoussou, Président de l’Ong Eco Bénin. Les mangroves constituent, au Sud du Bénin, un réservoir naturel, riche de biodiversité. Engagé depuis 2009 pour la valorisation de cet écosystème, c’est avec enthousiasme que Gauthier Amoussou vante les atouts infinis de ces forêts côtières nichées sur les sites Ramsar. Cependant, quand il s’agit de parler des menaces qui pèsent sur ce poumon vert, son enthousiasme prend un coup sec.

Des factures salées à Ouidah
Ainsi, les mangroves saignent à blanc. Les dégâts de déboisements constatés dans les communes d’Abomey-Calavi, Ouidah, Grand-Popo, Kpomassè, Bopa et Comè confirment cette réalité. Et les indicateurs révélés par la Fao en début d’année 2018, dans son rapport d’inventaire des écosystèmes de mangroves et des zones humides côtières du Bénin (http://www.fao.org/3/i8402fr/I8402FR.pdf) le certifient encore plus. A Ouidah, l’espace que couvrait la mangrove a régressé de 491,53 ha en 2005 à 430,12 ha en 2015, soit une perte de 12%. Une facture salée mise, par bon nombre d’acteurs rencontrés, sous le coup de la saliculture. En effet, c’est des entrailles de cette capitale mondiale du Vodoun, à Djègbadji (bas-fond de sel, en fon, ndlr) que provient une part importante du sel utilisé dans les cuisines au Bénin. Mais, cette usine artisanale à ciel ouvert de transformation du sable en chlorure de sodium est en réalité tributaire d’un besoin important de bois de chauffage. « Quand on parle de saliculture, c’est avant tout une cuisson constante de la boue salée recueillie. Il faut donc beaucoup de bois. Malheureusement, comme vous pouvez le constater, c’est ce qui manque le plus ici. Depuis toujours, nous avons souvent eu recours aux palétuviers. Ce sont des espèces qui brûlent bien. Il suffit qu’elles soient un peu séchées. On en avait surtout à portée de main », confie dame Bernadette, productrice de sel à Djègbadji. Elle faisait ainsi allusion à la décision du Conseil des Ministres du 26 octobre 2016 qui interdit les coupes de palétuviers et de cocotiers dans les zones humides. « Aujourd’hui, avec cette interdiction, nous déboursons assez pour payer des bois. Ce n’est pas sans conséquence sur nos revenus », se plaint-elle.
Et même si par le biais de projets, certaines coopératives de femmes ont été appuyées en foyers améliorés, les coupes continuent, et les traces de dégradation se font encore remarquer aisément. « Malgré les sensibilisations menées sur le caractère sensible de cette végétation, les coupes anarchiques et sauvages continuent. Nous sommes en train de perdre ce bijou », déplore Bruno Adjovi Zodjrakpo, 1er Adjoint au maire de Ouidah, rencontré au cours d’une séance de sensibilisation en novembre 2017.

Les champions de la dégradation

Ailleurs, le désastre écologique est encore plus dramatique. A Comè, l’espace que couvrait l’écosystème a régressé de 836 ha en 2005 à 173 ha en 2015, soit un recul de 79%. Un peu plus loin dans la commune de Bopa, presque 100 hectares se sont effacés sur la même période. La superficie abîmée à Kpomassè fait 7 fois celle perdue à Bopa. Dans cette ville, le couvert est passé de 1006 ha en 1995 à 292 ha en 2015, soit près de 71% déboisés. Enseignant-Chercheur à l’Université d’Agriculture de Kétou, Elie Padonou explique : « Nous sommes dans une zone où les besoins augmentent forcément avec la croissance démographique. Mais, si nous prenons le cas de Kpomassè, il y a un phénomène naturel qui affecte la reproduction des mangroves. Ce serait intéressant qu’une étude soit menée dans ce sens. Déjà, ce qui est évident est qu’à Couffonou, il y a une entreprise de production de poissons dont les activités affectent le courant de l’eau. Lorsque le courant de l’eau varie, ça affecte les mouvements de propagules et leur germination », souligne-t-il. La situation est telle que même la tentative de restauration entreprise par la Fao n’a pas prospéré. Alors, la salinisation des zones de mangroves et l’érosion côtière sont aussi à prendre au sérieux. « Ce qui est aussi problématique, c’est la salinité de l’eau. Les vraies menaces selon moi viennent de l’érosion côtière. Si les embouchures ne se ferment plus, l’eau à intérieur de la lagune deviendra plus salée. Ce qui peut tuer les mangroves. Il y a de la matière à effectuer plus de recherches. Les mangroves sont assez sensibles », alerte Udo Lange, forestier et chargé de projet à la Coopération Technique Allemande (GIZ).

Entre le marteau et l’enclume
Mais, en attendant les études pour mieux comprendre cette menace, il y a de raisons de se préoccuper de la pression démographique couplée à l’occupation anarchique du littoral qui enlèvent à la mangrove sa capacité d’expansion. Le long du littoral, les transactions se multiplient. A Abomey-Calavi comme à Sèmè-Podji, les plaques d’identification de parcelles pullulent dans les zones humides. Les mangroves reculent pour laisser place à des habitats et autres infrastructures qui jouxtent les rives. « L’exploitation forestière n’est pas la toute première menace. C’est plutôt l’urbanisation. Malgré l’arrêté communal de Sèmè-Podji qui interdit l’occupation des berges du Lac Nokoué qui sont des zones de mangroves, dans certains villages d’Ekpè, la berge est occupée en violation de la loi. Quand nous y avions fait une descente, grande a été notre surprise de voir des plaques même dans la zone inondable. C’est une véritable menace », dénonce Arnaud Wilfried Adikpéto, chargé de programme de l’Ong Benin Environment and Education Society (BEES) dont l’une des missions est de réhabiliter et d’améliorer qualitativement l’état des ressources.
Pourtant, le code foncier interdit les occupations humaines à moins de 25 mètres des zones inondables. Très remonté contre ces pratiques, le Professeur Michel Boko, Prix Nobel de la paix en tant qu’expert du groupe Giec propose : « Il faut que l’Etat balise les domaines de zones humides, notamment les sites Ramsar 1017 et 1018 afin de mieux protéger les ressources. Cela ne se comprend pas que des gens fassent des transactions foncières dans ces zones dont l’occupation est interdite par la loi ». Curieusement ; cette mesure que propose le Professeur Michel Boko est déjà contenue dans l’article 327 du code foncier au Bénin : « Les limites des cours d’eau qui sont des dépendances du domaine public sont matérialisées, en cas de besoin, soit par des balises, soit par les arbres, ou par tout autre moyen approprié. Elles sont fixées par arrêté conjoint des Ministres chargés des domaines, de l’eau, les forêts et de la pêche ». D’où, une fois encore, l’épineuse question de respect des textes au Bénin.

Encadré : « Les pratiques d’acadjas sont très dévastateurs »

Si les acteurs tendent à justifier la dégradation des mangroves par les besoins en bois de chauffage et l’urbanisation incontrôlée, les pratiques de pêche sur la lagune côtière ou sur le lac sont encore plus menaçantes. En effet, la pratique du acadja, une technique artisanale consiste à planter des branchages dans les cours d’eau, une sorte de récif artificiel fait d’amas de fagots de branchages capables de produire de 4 à 20 tonnes de poissons par hectare et par an. Pour répondre au besoin excessif des fagots de branchages, les pêcheurs coupent dans les mangroves des bois au mépris de la loi cadre 2014-19 du 7 août 2014 relative à la pêche et à l’aquaculture, dont les décrets d’application sont toujours attendus. « Les pratiques d’acadjas sont très dévastateurs. Si vous circulez sur le lac Ahémé, à Kpomassè, Bopa et environs, vous allez vous rendre compte de combien les mangroves sont défrichées pour la fabrication des acadjas. Ainsi, non seulement la mangrove et sa biodiversité sont détruites, mais le cours d’eau est comblé et la navigation est rendue impossible », analyse Dr Elie Padonou. Certains élus locaux disent faire de cette lutte leur cheval de bataille. Mais, le mal demeure.

« A cette allure, nous allons tout perdre »
En somme, le pire est à craindre. Refuges de nombreuses espèces en voie de disparition, les mangroves perdent considérablement leur riche biodiversité. Déjà, les Rhinocéros n’y existent plus. Il n’y a que des indices de l’existence possible de quelques pythons et de lamantins que l’on retrouve désormais. La biodiversité est menacée avec le risque de porter atteinte à d’autres maillons de la chaine alimentaire. Biogéographe, Enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi, le Professeur Brice Tente avertit : « La pression est si forte que le maintien en équilibre de l’écosystème pose de sérieux problèmes. Il faut donc mener des actions pour préserver cette formation qui est entrain de régresser constamment. A cette allure, nous allons tout perdre, c’est-à-dire les espèces conservées par cette formation. Pire, on aura une pénurie des espèces de poissons qu’abritent les mangroves. De même, les plans d’eau, une fois débarrassés des mangroves, constituent un danger. On aura tout un mélange de phénomènes insupportables ».
En dépit de tout, les signaux sont au vert dans certaines localités. Le rapport de la Fao indique que dans la commune d’Abomey-Calavi, l’espace que couvrait la mangrove a augmenté de 22,15 ha en 2005 à 159,3 ha en 2015. A Grand-Popo, la superficie est passée de 5.808 ha en 2005 pour 7.882 ha en 2015. Cependant, ces indicateurs ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Des actions s’imposent. L’Etat et les ONG, avec l’appui de certaines institutions ont pris le problème à bras le corps. Mais, pour l’heure, les solutions sont peu efficaces. Comment lutter contre la dégradation des mangroves ? Quelles sont les limites de la répression contre les coupes illicites de palétuviers ? Les réponses dans l’épisode 2 de notre enquête. Enquête réalisée dans le cadre du Dialogue Citoyen



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