Fernand Nouwligbèto, Enseignant-Chercheur à l’Uac : « Le théâtre est un moyen de libération intérieure et un ferment de révolution »

Patrice SOKEGBE 17 août 2018

Enseignant-chercheur au Département des Lettres Modernes, Fernand Nouwligbèto a mené avec ses étudiants une expérience originale de création collective. Le fruit qui en est issu est un spectacle théâtral, intitulé Roi Lmd International et un livre du même nom actuellement en diffusion dans les grandes villes du Bénin.

Quel processus avez-vous suivi dans la rédaction de ce livre ?
Ce livre est le résultat de la transcription du spectacle théâtral Roi LMD International. C’est une création collective, commencée en avril 2017 dans le cadre du cours « Mise en scène », dispensé aux étudiants du sixième semestre des Lettres Modernes de l’Université d’Abomey-Calavi. Le processus suivi s’est étalé sur deux phases. La première étape a été celle de la conception du spectacle : avec les étudiants, nous avons choisi le sujet de la création, identifié les différents groupes à impliquer (les acteurs, les scénaristes-rédacteurs, les scénographes, les animateurs-musiciens, etc.), lancé la première scène, suivie progressivement des autres. A la deuxième étape, nous avons fait la direction d’acteur : cela consiste à travailler sur chaque comédien, afin de fignoler le jeu. Parallèlement, nous avons revu la scénographie, la chorégraphie et nous nous sommes entendus sur les lumières et les sons à utiliser.

Est-ce à dire que le livre a été publié après la création du spectacle ?
Oui. Nous avons travaillé sans un texte de base. Il ne s’agissait pas de mettre en scène une pièce déjà publiée, mais de partir du génie créateur de chaque étudiant. Au début, c’était donc des improvisations. Celles-ci ont débouché sur le scénario. Les dialogues ont été travaillés, formalisés plus ou moins, tout en laissant toujours une marge de liberté et d’improvisation au comédien. C’est tout cela que nous avons transcrit après, corrigé puis publié sous forme de livre. Actuellement, le spectacle est en diffusion. Nous avons déjà joué au FESTHEC et à Mayton, dans la commune d’Abomey-Calavi. Bientôt, nous jouerons à Porto-Novo. Le 29 septembre, Roi LMD International sera présenté à l’Institut Français du Bénin (IFB), ex-CCF, de Cotonou.

Apparemment, vos étudiants ont été enthousiasmés par cette expérience !
C’est vrai. C’est une toute première expérience pour eux. Ils ne sont, pour la plupart, jamais monté sur une scène pour jouer. A ma connaissance –je peux me tromper –c’est la première fois qu’un cours du genre a été proposé par les enseignants du département des Lettres Modernes. Que les collègues et les autorités décanales et rectorales me permettent de les remercier. Les étudiants –en tout cas, ceux qui ont pu suivre le processus de création jusqu’à son terme –ont découvert ce qu’on appelle théâtre. Ils ont pu en apprécier l’importance. Le théâtre, en effet, joue un rôle majeur dans la formation de la personnalité de tout homme. A la fois source de divertissement et d’instruction, il est aussi un moyen de libération intérieure et d’épanouissement individuel. Au cours de la création du spectacle, les étudiants ont su apprécier la richesse de leurs cultures car nous avons puisé dans le patrimoine culturel pour tisser la trame de la pièce. Chants, danses, proverbes, devinettes en langues nationales, etc. ont été utilisés. Le théâtre est, également, un ferment de révolution. Par exemple, Roi LMD International est une satire sociopolitique féroce de la mauvaise gouvernance qui règne dans les systèmes éducatifs des pays africains. Nous en appelons à une prise de conscience collective de tous car on ne peut développer un pays sans un système éducatif viable et performant.

Doit-on s’attendre à une pièce de théâtre par année académique ?
C’est cela l’idéal. Le cours « Mise en scène » se voulant plus pratique que théorique, on doit concrètement initier les étudiants à la création théâtrale. Mais j’avoue que c’est une entreprise extrêmement complexe et difficile, surtout lorsqu’on travaille dans un milieu universitaire où les infrastructures sont insuffisantes et où les perturbations de l’année académique sont fréquentes. Non seulement la masse horaire allouée -10 heures de cours présentiel –est insignifiante, mais en plus elle est rognée par les grèves des enseignants ou des étudiants.

Est-ce donc en moins de 10 heures que vous et vos étudiants avez créé ce spectacle ?
Pas du tout ! En dix heures, c’était impossible. A la fin de la masse horaire prévue, nous avions à peine fini la première scène. C’est vous dire que rien n’avait été fait. C’est bien après, pendant les vacances de l’année académique 2016-2017, que nous avions repris le travail avec un groupe très restreint d’étudiants. Nous avons travaillé d’août à décembre 2017, avant de déboucher sur le spectacle. M. Jean-Louis Kédagni, le directeur du FESTHEC, sis derrière le Complexe scolaire Camara Laye à Abomey-Calavi, a généreusement mis son espace à notre disposition pour qu’on y fasse les répétitions. Le chorégraphe Clément Kakpo nous a fait bénéficier, gratuitement, de son expérience dans ce domaine. Les étudiants et moi-même avons dû mettre la main à la poche pour assurer nos propres déplacements et faire face à certaines dépenses incontournables. Pour l’édition de la pièce, nous avons dû emprunter de l’argent pour payer l’imprimeur. Nous espérons vendre les exemplaires de la pièce pour pouvoir le rembourser. Nous ne pouvons guère compter sur les recettes des représentations théâtrales qui restent plutôt maigres et insignifiantes d’autant plus que nous n’avons aucune subvention, aucun appui.

Peut-on alors espérer que, sous votre coordination, la promotion actuelle des étudiants du Semestre 6 créé aussi un spectacle ?
Notre souhait est qu’on accouche aussi d’une création collective. Après les trois à quatre mois de grève de cette année académique, nous avons eu juste le temps de passer en revue les notions théoriques sur la mise en scène. C’est après cela que nous avons, avec les étudiants, esquissé le contenu de la première scène d’un spectacle sur un sujet qu’ils ont eux-mêmes choisi. Mais, comme je l’ai dit, l’entreprise est pénible, surtout en l’absence d’appuis ou de subventions. Il m’est donc difficile de répondre par l’affirmative à votre question.
Propos recueillis par Patrice SOKEGBE



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