Professeur Euloge OGOUWALE au sujet des méfaits climatiques : « Les gros risques au Bénin, ce sont les inondations et les vents forts »

Patrice SOKEGBE 17 octobre 2023

Le monde a connu cette année un regain de catastrophes naturelles un peu partout. De la canicule en Europe à la tempête Daniel en Lybie en passant par les tremblements de terre en Turquie et plus récemment au Maroc, la terre aura été bien secouée par ces tragédies de source naturelle. Le Bénin est épargné par ces catastrophes mais il est toujours en proie aux affres des inondations et depuis quelques années des vents forts et pluies. Face à ces risques préoccupants, le professeur Euloge OGOUWALE donne des éclaircissements et propose des pistes de solutions. Il est géographe et environnementaliste, spécialiste des questions liées au changement climatique et enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi.

Qu’entend-on par risques et catastrophes ?

Le risque est la probabilité qu’un phénomène connu ou non survienne en un temps donné dans un espace connu ou non au cours du temps et qui peut engendrer des problèmes à l’environnement ou aux composantes humaines y compris les activités que ces composantes développent. Quand on dit risque, c’est qu’on connait l’existence du phénomène mais on ne sait pas quand, où et comment cela va arriver. Et comme on sait que ça va arriver, on réfléchit à trouver le mécanisme qui va permettre de réduire la vulnérabilité des gens. Il y a des efforts qui se font actuellement dans notre pays pour éviter ces risques. Je vous donne l’exemple du Japon. C’est un pays hautement sismique, c’est-à-dire que le niveau de sismicité est très élevé et les japonais au cours des 50 dernières années ont travaillé pour mettre en place des dispositifs qui permettent de prévenir ou de gérer les effets du séisme. Par exemple les grandes infrastructures, les écoles et autres sont battis sur des ressorts. Quand ça arrive, les maisons dandinent mais reviennent à l’équilibre une fois le séisme passé. Il y a plus de séisme dans le pacifique, surtout au Japon plus qu’ailleurs dans le monde mais difficilement vous allez entendre qu’il y a eu beaucoup de morts ou de blessés. Ils ont étudié les risques jusqu’à les maitriser et ils ont prévu des dispositifs, des mécanismes pour anticiper et mettre en place des choses qui peuvent réduire significativement la vulnérabilité des espèces humaines, des systèmes socio-économiques. On parle de catastrophes, lorsque ce qui est vu comme risque devient une réalité. On peut avoir éboulement, décrochage de mottes de terre, de fragment de granites… Lorsqu’on passe de l’hypothèse qu’on appelle risque à la réalité c’est-à-dire quand la chose s’est réalisée, c’est cela qu’on appelle catastrophe. On peut dire que les risques sismiques ne sont pas trop élevés en Afrique surtout au Bénin.
La planète a enregistré plusieurs catastrophes en 2023 à savoir la canicule, les séismes, les tempêtes, etc. Quels sont les risques et catastrophes auxquels le Bénin est exposé ?
Principalement, notre pays le Bénin, si je me réfère aux records historiques sur le plan climatologique, c’est bien entendu les inondations. C’est le gros risque climatique au Bénin. En dehors de cela, il y a de plus en plus, la question de vents forts. Vous avez vu que durant les 5 dernières années il y a beaucoup de maisons ainsi que des écoles qui ont été décoiffées surtout dans l’Atacora mais aussi un peu partout. Le phénomène s’amplifie.

Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?

Pour les inondations, c’est l’impréparation, la négligence et la non application des dispositions législatives et institutionnelles. L’ANPC est là avec des outils très performants de prévention et de gestion mais pour des raisons de lourdeurs administratives, on est encore à ce niveau. On parle d’inondation lorsque la quantité moyenne d’eau qui est humainement acceptable pour les nécessités de la vie dépasse le seuil et que le sol n’arrive pas à consommer, le surplus s’éparpille un peu partout et commence à déranger les populations, à détruire les activités. La première cause est le changement climatique. C’est le jour où le monde va commencer à se discipliner qu’on va contrôler le phénomène des changements climatiques. Mais personne n’est prêt à arrêter le développement. En dehors des changements climatiques, il y a les comportements humains qui amplifient les conséquences des changements climatiques ou l’amplitude des phénomènes d’inondations. Il s’agit de l’occupation des zones non autorisées. Si vous prenez la zone du pont Djonou à Abomey-Calavi, personne ne devrait occuper les alentours de part et d’autre mais les gens y sont. Même la SIRAT de l’autre côté du pont a installé un système pour pomper l’eau mais en le faisant, elle pose des problèmes aux populations qui sont peut-être loin jusqu’au quartier Maria Gléta car ce sont des trucs qui sont interconnectés. En conséquence, les populations de Maria Gléta souffrent des inondations à cause de l’occupation anarchique au niveau du pont de Djonou. En dehors de ça, vous connaissez la zone de Nokoué vers le collège, des gens ont acheté des terres dans le bas-fond et y ont construit. Ce sont des choses qui compliquent la situation. L’inondation ne devrait pas être aussi désastreuse mais à cause des mauvais comportements qu’on observe, ce sera difficile de résoudre le problème. L’autre chose, ce sont les caniveaux qui ont été fabriqués à coûts de millions mais qui sont devenus des dépotoirs où on jette de tout. Cela empêche l’eau de circuler et quand l’eau ne circule pas, elle chasse les humains. Il y a aussi la circulation générale au niveau de l’atmosphère. On ne peut pas dire que le Bénin est isolé, parce que le monde est interconnecté. On peut dire que le Bénin reçoit aussi les influences des circulations océaniques. C’est pour cela que quand on va au bord de la mer, on entend le bruit des vagues. Le Bénin ne peut pas maitriser ça parce que le centre qui détermine ces choses n’est pas le Bénin, c’est un système mondial. On essaie aussi de contrôler un peu l’érosion. Si vous êtes Président et vous ne faites pas ça, on va dire que vous avez fait perdre 2% du territoire par jour. En dehors de ça, on a la déforestation car les arbres sont de nature à bloquer les couloirs de vent de nature forte. Et comme on est en train de détruire l’environnement à une vitesse élevée, il n’y a plus assez d’arbres pour garantir le déplacement de ces vents. Si vous avez des arbres devant votre maison, vous êtes selon des données scientifiques, à l’abri de décoiffement. Il faut planter assez d’arbres pour pouvoir lutter un temps soit peu contre les vents forts. Il faut s’attendre à de graves conséquences avec le dérèglement climatique, surtout que nous sommes dans un pays essentiellement agricole. On sait déjà que la baisse des rendements est déjà en cours et en moyenne entre 15 et 20%. Déjà qu’avec les analyses, l’igname seule va connaitre une augmentation de 1% au cours des 50 prochaines années si le rythme actuel du changement climatique est maintenu. Cependant les dégâts qu’on a déjà créés dans l’atmosphère, pendant les 100 prochaines années, vont continuer d’avoir des conséquences même si à partir de demain on décide de ne plus produire de gaz à effet de serre. Donc, il y aura des mutations génétiques pas forcément de laboratoire, mais en raison des transformations au niveau des nutriments, des parachutes, des espèces végétales. On peut évidemment arriver à l’extension de certaines espèces végétales. Les américains ont déjà commencé à réfléchir sur les céréales pluriannuelles. C’est avancé et adapté aux changements climatiques et cela évite la destruction du sol. L’augmentation de température est liée au développement des microbes. Avec la hausse des températures qu’on estime à 2, 3 degrés, suivant les scénarios, c’est beaucoup de crises qui s’annoncent. Il faut que l’humanité se prenne au sérieux davantage. Il y a bien évidemment la capacité d’adaptation et d’analyse …

Quelles sont les régions qui seront inondées, pendant les 10 prochaines années, avec les fortes précipitations ?

Déjà les régions de plaines comme Cotonou, Malanville. Les zones où généralement la plaine n’est pas forte, ces zones-là sont très exposées à l’inondation. C’est également vrai que les eaux dépendent, de nos occupations des terres et des comportements des êtres humains peuvent aussi rendre vulnérables les terres qui ne sont pas dans les zones de plaine. En effet, on a 13 milliards de m³ d’eau qui descendent sur le Bénin par an et au moins 60% de tout cette eau coule vers le Sud, à travers le Mono, l’Ouémé. Donc si rien n’est fait compte tenu de la position géographique de Cotonou, on ne cessera jamais de parler d’inondation. On peut déjà commencer par valoriser, à travers des retenues d’eau, des barrages le long de l’Ouémé depuis Savè jusqu’ici. Ainsi, ces eaux au lieu de créer des problèmes, seront utilisées pour les cultures. Même le Burkina Faso qui a une situation climatique assez difficile par rapport au Bénin, a pu s’organiser jusqu’à être un approvisionneur du Bénin en tomate. De même chaque fois qu’il y a un projet de construction de routes là-bas, obligatoirement il y a barrages, des retenues et promotions de l’activité des jeunes autour de ces barrages.

Le Bénin est-il à l’abri des catastrophes, les tempêtes, les tremblements, les canicules enregistrés cette année ?

Les inondations, les canicules si on peut dire ça comme ça ; on n’est pas à l’abri. Je vous ai dit tantôt que le Bénin est aussi dans un système mondial et il n’y a pas de frontières sur ces questions atmosphériques. Maintenant, c’est l’ampleur qui va différer d’un pays ou d’une zone à une autre et aussi la fréquence. C’est tout ce qu’on peut dire. On ne peut pas dire qu’on est à l’abri des crises climatiques ou catastrophes climatiques. L’Afrique en général et surtout l’Afrique de l’Ouest s’est stabilisée depuis le secondaire. La terre, ce n’est pas un corps dur c’est un corps spongieux, c’est comme l’éponge et on pense que c’est bien quand on marche dedans. Les séismes sont les formes aggravées sinon les secousses sismiques ont lieu chaque seconde pour qu’il y ait l’équilibre. Maintenant, on n’aperçoit pas les secousses sismiques, car on ne le sent pas à la surface de la terre et selon les données historiques, l’Afrique a déjà vécu ces phénomènes-là. Ça fait une dizaine d’années qu’on a enregistré de secousses sismiques de Cotonou jusqu’au Ghana mais cela a duré à peine 5 secondes.

Quelle est la capacité de résilience du Bénin face à ces catastrophes naturelles ?

La résilience dépend de tout ce qu’on a prévu, tout ce qu’on a mis en place, les informations, les dispositions institutionnelles, les textes, la capacité de réaction, de réactivité ou de préparation des communautés, de tous ceux qui interviennent dans ces affaires. Mais je pense que depuis les dix dernières années, le Bénin a beaucoup appris des crises climatiques, les catastrophes et je peux dire qu’il y a beaucoup de choses qui ont évolué sur le plan de la communication. Il y a eu un groupe de journalistes pour l’orientation autour du changement climatique, j’avais participé à leur formation. Il y a eu la formation des pairs éducateurs au niveau de 21 communes du Bénin, on a sélectionné les enseignants et ils ont été formés sur les dispositions à prendre pendant et après les inondations. Il y a eu d’autres catégories toujours professionnelles qui ont aussi été formés. Il faut maintenant réactiver ces genres de services, de dispositifs. Il y a aussi des textes qui ont été revisités (l’ANPC) et revus, les plans de contingences. Il reste la corrélation entre les différentes structures. Il faut qu’on apprenne à anticiper, à prévoir les choses que nous vivons déjà depuis des décennies, qu’on développe de nouvelles stratégies qui vont permettre d’anticiper sur leur arrivée, sur le contrôle de leurs conséquences et sur la réduction de la vulnérabilité des communautés y compris les activités qu’elles développent.

Comment les autorités peuvent-elles anticiper ces catastrophe-là ?

En nettoyant d’abord nos textes en les rendant facile à appliquer. Il y a trop de chaînes de décisions. La tour de la bureaucratie assure des choses qui sont opérationnelles. Finalement il faut un renforcement de toutes les capacités y compris universitaires pour qu’on puisse prendre des décisions très rapidement sur les phénomènes que nous ne contrôlons pas nous-mêmes. Il faut au-delà des structures qui sont déjà créées, former des équipes de jeunes qui seront dédiées à la lutte et la gestion des crises climatiques dans notre pays. Commencer par les préparer depuis le lycée à travers des filières mécaniques, etc. Il faut intégrer davantage les communautés dans le système de veille, d’anticipation, leur faire connaître leurs territoires. Les accompagner à travers un mécanisme de communication soft pour qu’ils prennent leurs dispositions, renforcer leur résilience à surmonter le choc. Il faut qu’ils sachent la survenance, l’arrivée des inondations.

Quel est le rôle que doit jouer la population pour prévenir ces éventuelles catastrophes pour éviter cette tragédie ?

Les populations sont les premières composantes à renforcer en termes de capacités, à sensibiliser pour qu’elles puissent savoir ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire, quand, où et en quelle période de l’année au regard des risques, des catastrophes climatiques que nous reconnaissons dans la zone considérée. Il faut les amener elles-mêmes à prendre des dispositions pour produire leur propre vulnérabilité sinon c’est de l’émotion qu’on finit par faire. Pour éviter cette tragédie-là, il faut tenir compte du travail en vrai. Il faut alors les équiper en termes de leadership, les renforcer en termes d’équipements, de prise en charge, les amener également à identifier par elles-mêmes les actions claires, donc des questions de risques et de catastrophes. Les sensibilisations de deux jours ou deux heures ne sont pas suffisantes. Il faut des classes, je ne sais pas si c’est pendant deux jours ou deux semaines qu’on peut bien former les maires et les différents responsables des structures qui sont dans le système sur comment on prend en charge les questions d’inondations et comment on anticipe. Je vous donne un exemple : vous avez vu depuis que le président Talon est arrivé, il y a quelque chose qui se passe mais ça n’a l’air de rien. Vous allez voir qu’à partir des mois d’avril et mai on commence par enlever le sable qui empêchent la circulation de l’eau dans les caniveaux or ça ne se faisait pas régulièrement avant. Je suis convaincu que ça règle au moins à 20% les problèmes d’inondations. Ce sont des petits trucs comme ça qu’il faut apprendre à faire.

Réalisation : Ange M’poli M’TOAMA



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