Traque des conducteurs de taxi-motos dormant à la belle étoile : Les sans domicile fixe entre panique et indignation

La rédaction 23 janvier 2017

Décidée le jeudi dernier par le Préfet du département du Littoral, Modeste Toboula, la traque des conducteurs de taxi-moto sans domicile fixe de la ville de Cotonou entre en vigueur ce jour. Une mesure dure à accepter pour les « Zémidjan » errants, dont la survie dépend de la clientèle nocturne.

Allongés sur leurs engins posés sur les béquilles, certains ayant comme coussins de petits colis comportant de vêtements, la plupart des conducteurs de taxi-motos peinent à trouver le sommeil. Cette nuit du samedi 20 janvier 2017 est pleine d’incertitudes et de mélancolie pour la quarantaine, présents sur l’esplanade du Stade Mathieu Kérékou à Cotonou. Contrairement à ses habitudes, Justin, la trentaine révolue, papote autour de 1h20 mn avec quelques compagnons pour chasser le sommeil. Les nouvelles venant de la ville ne sont gaies. « Nous sommes sur le qui-vive. Nous ne pouvons pas dormir. On vient de nous informer que la police a délogé nos frères Zémidjan tout à l’heure à St Michel », relate-t-il avec amertume. A peine a-t-il terminé ses propos que deux autres conducteurs viennent confirmer l’information avec la précision que les policiers, disent-ils, munis de deux véhicules de patrouilles sont à l’Etoile Rouge. « Réveillez ceux qui dorment autour de vous ! Sinon ils vont vous ramasser avec vos motos et vous tabassez », alerte un autre qui gare sur précipitamment sa moto.

Perturbation d’une mœurs
Telle une trainée de poudre, la nouvelle se repend sur les sites de regroupements à Cotonou et à Godomey. La décision du Préfet de déloger ceux qui dorment à la belle étoile est commentée dans tous les sens. « L’Etat ne fait rien. Nous nous débrouillons pour survivre et maintenant on nous interdit de travailler la nuit. Toboula en fait trop », commente Landry rencontré peu avant Etoile Rouge. Pour lui, plus des 2/3 des conducteurs de taxi-motos sont obligés de travailler la nuit, puisque les recettes sont maigres en journée. « Avec la morosité économique et les crises financières engendrées par la rupture, nous sommes obligés de prolonger la nuit. Nous ne gagnons pas grand-chose avant de nous reposer pour quelques heures. Mais pour notre propre sécurité nous ne pouvons pas rentrer puisque nous quittons loin », ajoute-t-il. En provenance de Ouidah, Abomey-calavi, Sèmè-Kpodji voire de Porto-Novo, ces hommes en maillot jaune craignent donc pour leur propre sécurité et séjournent sur les lieux publics. Selon des témoignages recueillis, certains passent même 5 jours sur 7 dans la rue loin de leur famille. « C’est difficile, mais pour faire face aux besoins de notre famille il le faut. Nous n’avons pas les moyens de louer à Cotonou. On paye 100 francs pour se laver les matins, on mange aux abords des rues, on change de vêtements chez des amis puis la vie reprend », témoigne Léonard, habitué à dormir à la belle étoile depuis trois ans.

Exposés à tous les risques
Somnolant dans des positions exécrables, ces conducteurs de taxi-moto se plaignent le plus souvent de courbatus et autres problèmes de santé. Ils sont aussi exposés à des risques d’insécurité, parfois de ceux que Justin appelle les brebis galeux de la corporation. « Parfois, à notre réveil on se rend compte que notre casque a disparu, ou les sous que nous avons réussi à trouver la nuit sont volés. C’est pourquoi nous préférons rester aux endroits où il y a du monde pour être plus en sécurité », souligne Justin qui prend le soin de montrer les cicatrices d’une agression dont il a été victime après avoir déposé un client, en octobre dernier à Calavi. Néanmoins, pour ce dernier comme la plupart des Zémidjan rencontrés, l’interdiction de dormir à la belle étoile n’est pas la solution. « L’Etat devrait simplement s’assurer si nous avons nos pièces d’identités et de motos sur nous. Sinon, ce sera la place aux rançonnements », fulmine Landry avant de rendre responsable la mairie de Cotonou des déconvenues de cette traque contre les conducteurs de taxi-motos. « Nous payons des droits taxi mais la marie ne fait rien pour nous. Elle doit par exemple nous construire des logements où nous pouvons nous reposer après quelques heures de travail, le jour comme la nuit. Ainsi, le préfet ne serait obligé de nous déloger », a-t-il ajouté. Dans tous les cas, les hommes en maillots jaunes ne peuvent plus dormir sous leurs lauriers. Aux conditions précaires de couchage, s’ajoutent la crainte des patrouilles de police qui entrent en scène dès ce soir.
Fulbert ADJIMEHOSSOU



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