Régis Hounkpè : "Au défi des enjeux internationaux, Patrice Talon prend date "

7 mars 2023

Aucun pays au monde ne peut se penser hors d’atteinte des grandes dynamiques à l’œuvre. Les pays africains ne sont pas épargnés par le tourbillon incessant des mauvaises nouvelles politiques, sociales, économiques et géopolitiques. Plus que jamais, le désarroi, sans être certes mortifère et chaotique, frappe de plein fouet les populations et citoyens du monde. L’Afrique, dans sa globalité et ses spécificités, y prend toute sa part.
Les perspectives économiques qui oscillent entre catastrophique inflation toujours plus accentuée avec le coût de la vie étouffant et la perte drastique du pouvoir d’achat des ménages ne font pas de cadeaux aux Africaines et Africains, toujours soucieux de s’insérer dans une mondialisation qui n’a plus rien d’harmonieux, en dépit de la doxa de la prospérité partagée.
La guerre d’invasion russe en Ukraine depuis le 24 février 2022 s’est imposée comme un accélérateur de la perte de sens dans un monde sans boussole et quêtant sans y croire véritablement le bout du tunnel. La pandémie de la COVID est presque devenue un lointain souvenir, tant la fulgurance des chocs politico- sécuritaires en Afrique avec la propagation des groupes armés terroristes ou la déstabilisation des pouvoirs dans le Sahel et les alertes dans le Golfe de Guinée marque des temps incertains pour l’Afrique et la communauté dite internationale.

Invité de LCI, le président béninois Patrice Talon a été sollicité pour partager son appréhension et sa vision des enjeux internationaux. L’exercice médiatique, unique en son genre, permettait d’avoir sur une chaine française d’information en continu du groupe TF1, une voix forte et habilitée africaine pour évoquer les bouillonnements géopolitiques qui martyrisent la stabilité dans le monde. A travers le président du Bénin, l’objectif visé était de croiser les différentes voire divergentes options de résolution des crises dans le monde avec celles, communément prépondérantes et hégémoniques venues du Nord, d’Europe, des Etats-Unis, d’Occident.

Darius Rochebin, journaliste aguerri aux joutes sur l’état clinique du monde, ayant reçu sur ses plateaux tous les « Grands » de ce monde, a eu le privilège pendant vingt minutes de soumettre son interlocuteur de choix aux turpitudes du monde présent et celui qui se prépare. Dans la fièvre du destin ukrainien et de son précepteur la Russie, de la remise en question des équilibres géopolitiques, de la contestation du concept de la puissance, de la réputation sulfureuse – c’est selon - ou sanglante de Wagner, de la place et des intérêts des pays africains, que pense et veut un dirigeant africain pour son pays et son continent ?

A l’épreuve du réalisme géopolitique et du droit international
A l’heure des rivalités stratégiques qui transforment l’Afrique en terrain de jeu, les puissances en quête de soutien ou de réaffirmation de leur statut démontrent quantité de sollicitudes envers les pays africains. Le cynisme pousse certaines puissances à faire croire à la belle fraternité des peuples ou à la résistance des liens historiques entre les nations. Soyons lucides, la géopolitique n’est que rapport de forces, démonstration d’attributs de puissances et renforcement de soumission par adhésion, suggestion ou coercition. Clairement, les pays africains doivent être conscients de cette donne souvent oubliée par naïveté ou amateurisme.
La Russie, la France, les Etats-Unis, la Chine ne recherchent pas en Afrique des alliés et des partenaires, ils travaillent à disposer du plus grand nombre, plus que la concurrence, d’obligés et de pays soumis. Le président Talon évoque, à raison, les liens d’amitié entre Vladimir Poutine et lui, mais il est suffisamment conscient que même les Etats n’ont pas d’amis. Et par-delà, sa condamnation de l’agression russe est claire et nette.
Au nom du droit international, du droit des pays à disposer d’eux-mêmes, le respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale est sacré. Cette reconnaissance diplomatique du Bénin à travers son premier magistrat est un excellent signe du respect du droit international qui n’étonne pas, au vu des successives positions du Bénin à l’ONU, concernant cette grave crise.

Sur Wagner, le soufre et le sang en débat
L’admission de Wagner dans le continuum de solutions en cas de crises sécuritaires est un échec patent, un déni de souveraineté et une atteinte aux droits fondamentaux des peuples. Cette société paramilitaire qui s’est établie en Afrique, du Soudan à la Libye, passant par la Centrafrique est un grand danger pour la stabilité présente et future de nos pays. Les « deals wagnériens » constituent des entraves au développement économique et social des pays qui en ont été victimes.

Considérer cette société paramilitaire, comme toutes les autres qu’elles soient américaine, turque ou française comme un « prestataire privé armé » me semble minorer le rôle nocif de ces entités sulfureuses aux parcours sanglants dont l’histoire même au Bénin avec le 16 janvier 1977 est pleinement évocateur. Le Groupe Wagner dans les pays qu’il traverse et laisse en ruines « se paie sur la bête » en faisant main basse sur les richesses minières et naturelles.

L’argument qui consiste à dire que toutes les puissances ont ainsi procédé par le passé n’est pas suffisant pour exonérer ce qui se passe par exemple en Centrafrique. Dans un monde équilibré, les pays africains qui n’arrivent pas à prendre en charge les priorités de sécurité et de défense face au péril terroriste ou aux attaques de rebellions devraient faire appel aux organisations régionales ou à l’Union africaine.
Mais, en politique continentale ou internationale, l’idéal relève de l’illusion et le pragmatisme devrait nous pousser à mettre en musique dans chaque Etat les conditions optimales de paix, de sécurité et de stabilité socio-économique pour ne pas avoir le choix entre la kalachnikov ensanglantée des soudards de Wagner et une hypothétique force régionale ou continentale.

Et le Bénin, quelle est la place de notre pays ?
Je ne cache pas que mon souhait aurait été de voir le président Talon sur un plateau béninois avec des journalistes béninois, africains ou internationaux présentant à une heure de grande écoute une émission sur les enjeux internationaux et diplomatiques du Bénin et de l’Afrique.

Si le Bénin, dans la compétition rageuse des puissances qui se livrent bataille en Afrique et déstabilisent par la même occasion les économies et l’avenir de nos pays, doit avoir un mot, une vision stratégique, le lieu symbolique de son expression prend sens si c’est depuis Porto-Novo ou Cotonou que la vision du président est partagée.

Je formule le vœu que les pouvoirs publics, la classe politique, les députés, les ministres s’intéressent davantage aux questions stratégiques, diplomatiques, aux sujets de défense et de sécurité car ils déterminent notre présent et préparent notre avenir. La communauté universitaire, les chercheurs, les think thank, les experts doivent être sollicités pour répondre aux urgences posées par toutes les formes d’insécurité. La presse béninoise doit se spécialiser sur ces sujets et doit pouvoir non les traiter à la marge des autres mais tels des thèmes déterminants de notre époque. Nos forces de sécurité et de défense doivent entrer dans cet âge trouble et instable où les espaces de conflictualité mutent constamment et où les dimensions d’intervention sont perpétuellement bousculées et contestées en fonction des menaces qui rivalisent d’imagination et d’innovation.
Toutes les nations qui ont compris cela ont un avantage certain car elles anticipent les menaces environnantes, s’arment contre les dangers imminents et rassurent leurs peuples.
Le président Talon tient, avec cette émission mais surtout avec cet élan sur la souveraineté et le désir de placer encore plus le Bénin sur la carte du monde, une occasion de fixer un rendez-vous stratégique avec l’histoire de notre pays.

Régis Hounkpè, Enseignant et analyste en géopolitique et directeur exécutif d’InterGlobe Conseils un cabinet-conseil international spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique. Il conseille les personnalités politiques, les États, les ambassades et consulats, les multinationales. Il intervient en géopolitique de l’Afrique en Master 1 à l’université de Reims Champagne-Ardennes, au Centre de Valorisation Professionnelle de Tunis et à l’Ecole nationale supérieure des armées de Porto Novo au Bénin.



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