Editorial : La rupture à l’épreuve de la fracture

Moïse DOSSOUMOU 7 novembre 2016

Les Béninois ne sont pas prêts d’oublier la semaine écoulée. Sébastien Ajavon, encore moins. Pendant huit jours consécutifs, le roi de la volaille suspecté dans une affaire de drogue a passé les plus longs jours de sa vie dans l’enceinte de la compagnie de gendarmerie de Cotonou. Acquitté au bénéfice du doute le vendredi dernier au terme d’un procès historique, l’opérateur économique jouit à nouveau de la liberté d’aller et de venir. Cette affaire a priori banale ne sera pas sans conséquence sur la vie politique nationale, déjà que l’intéressé lui-même, quelques minutes avant son interpellation, indiquait de manière claire et précise à l’opinion, « la main invisible » qui voulait lui causer du tort. Maintenant qu’il a réussi à s’extirper des mailles de la justice, agira-t-il vraiment comme quelqu’un qui a « pardonné » selon ses dires à l’Eglise Saint Michel de Cotonou vendredi dernier ?
Acteur clé de la coalition de la rupture, née à la veille de la présidentielle de mars 2016, Sébastien Ajavon peut se targuer d’avoir ouvert les portes du palais de la Marina à Patrice Talon. Ce dernier proclamait à l’époque qu’il se comporterait comme un frère vis-à-vis de son allié. Mais les événements de la semaine écoulée tendent à rompre cette harmonie naissante entre ces deux hommes. D’aucuns, aidés en cela par les premières déclarations de Sébastien Ajavon lorsqu’a éclaté l’affaire, se sont déjà rangés en ordre de bataille contre « l’ennemi commun ». En réalité, tant que la lumière ne sera pas faite sur les produits prohibés découverts au port, il serait franchement risqué d’indexer untel comme étant à l’origine de la mésaventure de l’administrateur de Comon S.A.
Mais l’émotion guidant les cœurs bien plus que la raison, il appartient à Patrice Talon de recoller les morceaux de la coalition de la rupture. C’est encore possible d’éviter la fracture. Les deux acteurs clés de ce regroupement ont encore l’occasion de se parler pour tirer les choses au clair. Si en majorité les Béninois ont adhéré à leur vision, c’est pour qu’ils la réalisent ensemble dans l’intérêt supérieur de la nation. Les guerres de leadership, si elles sont inévitables en politique, ne peuvent pas remettre en cause la satisfaction de l’intérêt général. Avec tact et minutie, le chef de l’Etat est capable de restaurer la confiance, sinon la cohésion entre les membres de la coalition qui l’a porté au pouvoir. Mais il faudra qu’il s’élève au-dessus de certaines considérations avant d’amener ses alliés à en faire autant.
Si elle est bien gérée, cette épreuve qui vient secouer les fondements de ce bloc, pourrait contribuer, plus que par le passé, au renforcement des liens entre les membres qui le composent. Après cette semaine folle, les Béninois continuent de compter sur cette alliance pour sortir le pays de l’ornière. Car si les quatre prochaines années sont consacrées au combat des gladiateurs, c’est le Bénin qui demeurera à la traîne. La magie qui a opéré au soir du 20 mars dernier ne peut pas être enterrée de sitôt. C’est beaucoup trop tôt pour que cette coalition vole en éclats. Plus que quiconque, Patrice Talon est appelé à jouer à la conciliation, car au-delà de tout, il est le seul qui a un bilan à défendre. Henry Ford disait à propos des regroupements nés pour une cause. « Se réunir est un début. Rester ensemble est un progrès. Travailler ensemble est la réussite ».



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