Editorial : Les peines du Ravip

Moïse DOSSOUMOU 19 mars 2018

Elles n’ont jamais été autant à la merci des férus de la cupidité. Au nom du Recensement administratif à vocation d’identification de la population (Ravip), elles vivent la galère. La galère des réveils à l’aube, des inscriptions longues et fastidieuses, des rangs interminables, des humeurs des agents d’enrôlement, des desiderata des chefs de village et de quartiers de ville. Elles, ce sont les populations. Ne pouvant rester en marge de ce processus dit de développement, elles y participent avec l’espoir d’en tirer des avantages. Les arguments n’ont d’ailleurs pas manqué pour briser leurs résistances. Qu’il s’agisse des experts, des cadres, des membres du gouvernement, des députés ou encore des leaders et chefs de partis politiques, chacun y est allé de ses inspirations pour inciter les citoyens à se faire enrôler. En leur faisant miroiter monts et merveilles, les avocats du Ravip ont réussi leur mission. Mais sur le terrain, les populations souffrent le martyr.
Autant dans les villes que dans les villages, les Béninois et les non nationaux sont à la merci des agents chargés de leur enrôlement. Ceux-ci en complicité avec les élus locaux, ont installé à des fins mercantiles, une mafia digne du nom. Pour se faire enrôler, il faut s’armer de patience et de courage. Pour un exercice qui ne dure que quelques minutes, certains passent des heures sur les lieux prévus à cet effet avant d’obtenir le fameux sésame. Pour maximiser ses chances, il faut se lever très tôt à l’aube déjà à 4h ou 5h du matin selon le cas pour se garantir une place. Comme si cela ne suffisait pas, il faut ensuite faire le guet jusqu’à l’apparition des agents enrôleurs qui se mettent à accomplir leur devoir comme bon leur semble. C’est ainsi que des « privilégiés » qui ont pris le soin de faire le nécessaire peuvent apparaître dans un centre d’enrôlement et bénéficier illico presto de toutes les faveurs pendant que ceux qui se sont levés de bonne heure poireautent.
Résignées, désabusées, amères, les populations les moins nanties subissent ce diktat en rongeant leur frein. En effet, certains élus locaux ont trouvé en ce recensement qui a démarré le 1er novembre dernier, une opportunité pour arrondir leurs fins du mois. Une stratégie est donc mise en place par leurs soins pour se faire payer ce service entièrement gratuit. Pour recueillir simplement l’identité, la photo et l’empreinte digitale, on n’a pas besoin de souffrir autant. Pour un outil censé servir au pilotage des politiques de développement et à la modernisation de la gestion administrative, sa conception ne saurait souffrir de ces actes aux antipodes de la rigueur, de l’intégrité et de la transparence recherchées. Les autorités en charge de la mise en œuvre du Ravip sont interpellées. A elles de mener toutes les diligences requises pour faciliter la tâche aux populations en ces temps où l’affluence sera encore plus considérable dans les centres d’enrôlement compte tenu de l’échéance qui approche à grands pas.
Dans quelques semaines, soit le 30 avril, les six mois prévus pour cette opération seront à leur terme. Cela explique la bousculade observée au niveau des centres d’enrôlement. Puisqu’il a été dit à plusieurs reprises par les voies les plus autorisées que le Ravip permettra à chaque citoyen d’avoir un numéro personnel d’identification avec la possibilité de disposer d’une carte d’identité biométrique, personne ne veut rester en marge de ce processus. Le gouvernement devra taper du poing sur la table pour décourager les actes incriminés sur le terrain. Multiplier ou rapprocher les centres vers les zones fortement habitées réduirait sensiblement les peines des populations. Ce n’est pas très agréable de s’arracher à son lit dès l’aube et poireauter encore des heures avant d’être servi. Procéder à ces réglages serait salutaire pour les citoyens qui donnent le bon exemple en se faisant enrôler sans forcément savoir de quoi retourne effectivement le Ravip.



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