Son geste était purement désintéressé. Dès qu’elle a entendu les appels à l’aide, elle s’est jetée à l’eau. Elle n’a pas réfléchi. Ce qui lui importait à ce moment précis était de porter assistance aux personnes en détresse. Ce n’est pas évident qu’elle les connaissait. Au péril de sa vie, elle a réussi l’exploit de sauver cinq concitoyens du naufrage. Les six autres n’ont pas eu cette chance. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Malgré sa bonne volonté et sa détermination, elle ne pouvait faire plus, encore que sur ce coup, elle est allée au-delà de ses limites. Ce 3 août 2020, Sakinatou Harouna était loin d’imaginer que ce jour resterait à jamais gravé dans sa mémoire. La pauvre ménagère occupée à ses tâches quotidiennes, est devenue une héroïne dont la bravoure est reconnue et célébrée au sommet de l’Etat. Dans ses rêves les plus fous, elle ne pouvait imaginer qu’elle serait reçue en audience au palais de la Marina par le chef de l’Etat en personne.
Mais, Patrice Talon lui a réservé cet honneur ce mercredi au terme du Conseil des ministres. En se jetant dans les eaux du fleuve Okpara, elle était loin de se douter que son existence en serait à jamais bouleversée. La jeune femme de 25 ans, mère au foyer, d’apparence frêle a paradoxalement accompli un miracle. Sans attendre de secours, elle a pu sauver à la nage cinq personnes sur les onze en détresse. Les renforts arrivés plus tard n’ont sorti que des corps du fleuve. Il a fallu la présence de cette âme généreuse aux abords du lieu du drame pour que des vies soient préservées. Par cet acte, elle a droit aux remerciements et aux honneurs de la République. C’est donc à juste titre qu’elle a été élevée au grade de chevalier de l’ordre du mérite. L’héroïne de Woria, du nom de ce village reculé de la commune de Tchaourou entre ainsi dans l’histoire. C’est tout mérité.
Ce ne serait pas superflu de s’attarder sur la condition de la jeune femme. Tout porte à croire qu’elle provient d’une classe sociale inférieure à la moyenne. Son aspect physique et son attitude le prouvent aisément. Pendant que d’autres qui paieraient une fortune pour se retrouver dans la luxueuse salle d’audience du palais de la Marina se mettraient sur leur 31, Sakinatou Harouna n’avait pour vêtement qu’une longue tunique surplombée par le voile, et tenez-vous bien, avec des sandalettes aux pieds. C’est dans cet accoutrement qu’elle a été reçue par le président de la République. Dans cette bâtisse cossue, elle s’est présentée dans toute sa simplicité, ses accompagnateurs aussi. Ce faste auquel elle n’est pas habituée l’a intimidée à un degré tel qu’elle avait du mal à fixer Patrice Talon ou à répondre à ses questions. Ces personnes démunies, sorties de l’anonymat du jour au lendemain, sont sous les feux de la rampe.
Outre le préfet du Borgou qui s’est déplacé en personne au domicile de l’héroïne pour la congratuler, d’autres creusets et personnes de bonne volonté lui ont emboîté le pas. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait que le gouvernement entre également en scène. Hormis la ministre de la famille et des affaires sociales qui très tôt s’est intéressée à l’héroïne, le chef de l’Etat est venu la mettre sur un piédestal. Au-delà de la reconnaissance de la nation, le geste de Sakinatou Harouna tranche avec l’individualisme et le matérialisme qui mettent à mal la solidarité africaine. D’autres à sa place se seraient abstenus de prêter main forte aux naufragés. D’autres encore plus sadiques auraient sorti leur téléphone portable pour immortaliser l’instant macabre. Mais elle, poussée par la fibre maternelle, a mis sa vie en jeu pour sauver d’autres. Cette attitude n’a pas de prix.
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