Liberté de ton : L'industrie de la parole !

Moïse DOSSOUMOU 15 mai 2013

Elle est produite à profusion sous nos cieux. A temps et à contretemps, sous le soleil et la pluie, rien n’arrête l’ardeur des producteurs de la parole. Disons-le sans détour. Les promoteurs de cette industrie, qui ne cesse de recruter de nouveaux membres dans leur rang, ont le cœur à l’ouvrage. Des mots, encore des mots et rien que des mots sont prononcés à foison. Cette expertise dans la production à outrance de la parole est un art dont les Béninois connaissent le secret. Et, de jour comme de nuit, ils ne se privent pas d’exceller dans cet art qui ne produit que du vent. Des discours soporifiques, pompeux et creux car dénués de toute substance, sont déversés avec acharnement dans les oreilles de la population, qui bien que repues depuis des lustres, continuent d’être servies. C’est comme si le contenu du cahier de charges des animateurs de la vie publique était réduit à des déclarations tapageuses. Cette manière peu cavalière d’amuser la galerie vise à distraire le peuple et à le détourner de ses véritables préoccupations.

Les séminaires, les ateliers, les tables-rondes, les conférences, les symposiums et autres rencontres internationales tiennent la dragée haute dans le calendrier de ceux qui nous dirigent et des sommités scientifiques. A tout bout de champ, au moindre prétexte, des fora de discussions inutiles sont initiées. Comme on peut le voir, les organisateurs de ces événements rivalisent d’imagination. Toute une armada d’experts et d’autorités sont sollicités pour rehausser l’éclat des assises. Mine de rien, ce sont des sommes colossales qui sont mobilisées puisqu’il faut prendre en charge les billets d’avion, les frais d’hôtel, la restauration, les perdiems et les notes diverses. Mais après toute cette débauche d’énergie et de gaspillage de sous, plus rien ne subsiste de ces instants où la parole superflue est à l’honneur. Les recommandations restent au stade de projets et seulement quelques unes d’entre elles sont mises en œuvre. Il ne peut d’ailleurs en être autrement, puisque cette industrie particulière ne peut brasser que du vent. " Si tu n’as pas des mots plus forts que le silence, alors tais toi ", prévient une sagesse populaire.

Certes, prononcer un bon discours, tenir en haleine un public est un art dont il convient de maîtriser les rouages. C’est toujours agréable, en effet, de se retrouver en face d’un interlocuteur éloquent qui sait entretenir sur des sujets sérieux et utiles. Mais embrigader tout un peuple dans les futilités et les sempiternels refrains pourrait conduire à une rébellion aux effets dévastateurs.

Dans un pays où tout reste à faire, où l’urgent et l’important sont au coude-à-coude, quels gains peut-on tirer de l’industrie de la parole ? Il n’est un secret pour personne que tout va mal. Les infrastructures routières et sociocommunautaires manquent à l’appel, le taux de chômage va galopant, les perspectives d’épanouissement de la jeunesse se rétrécissent de jour en jour comme une peau de chagrin, le système sanitaire est dans un piteux état, l’éducation est mise en berne, l’agriculture peine à sortir des sentiers battus, le sport de compétition est encore du domaine du rêve, la recherche scientifique est quasi inexistante, l’autonomie énergétique reste un leurre et pour couronner le tout, l’improvisation dicte sa loi dans tous les secteurs d’activités.

A défaut de produire de bons fruits, un arbre doit pouvoir offrir de l’ombrage à quiconque désire se prémunir contre les rayons du soleil. Or, les bavardages intempestifs et improductifs ont montré leurs limites. Il est temps de passer à l’action et de prendre en toute responsabilité le taureau par les cornes. Le dilatoire n’a jamais construit un pays. Il faut pouvoir passer à l’essentiel afin de laisser à la postérité un héritage conséquent, pour que dans une chaîne ininterrompue, la nouvelle corde se tisse au bout de l’ancienne.



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