Plume libre : "Nous voulons des cours"

Isac A. YAÏ 4 mars 2014

L’ancien quartier latin de l’Afrique jeté dans la crise sociale s’offre en spectacle et dévoile ses facettes les plus insolites. Le spectre de l’année blanche fait bondir les étudiants et les élèves. Sur leur plate-forme revendicative, trône un point peu ordinaire : « Nous voulons des cours ». Privés de leur droit à l’éducation, les jeunes entrent légitimement en scène. Agacés par le jeu de ping-pong entre Yayi et les syndicalistes, les demandeurs de cours de l’ère cauri ont décidé de ne pas être les complices passifs de leur propre ruine. Une vraie révolte qui promet aux prédateurs, toutes catégories confondues, le procès de l’Histoire.
Le monde scolaire refroidi par le débrayage fleuve des éducateurs vit à l’heure de la levée de boucliers des apprenants, principales victimes du bras de fer entre les camps jusqu’au-boutistes. Les enseignants grévistes boudent l’enseignement. Le gouvernement souffle le chaud et le froid sans absorber l’impasse. Le message sur la crise délivré le jour symbolique du 28 février s’est révélé finalement inapte à dissiper le brouillard et à provoquer le dégel. Dans la balance, les revendications initiales des syndicalistes pèsent plus que l’annonce de la rétrocession des défalcations. Yayi tarde à livrer la tête du Préfet du Littoral- Atlantique et celle de son complice liberticide, à la masse syndicale réprimée le 27 décembre. Conséquence : la grève continue…
Face à la contagion de cette allergie à la vertu et ce bras de fer chaotique, étudiants et élèves mettent la pression sur les camps antagonistes. L’école grippée, délaissée et croulante marche sur la tête. Les manifestations des élèves font bouger la nation avec une forme de réplique appropriée et pédagogique à l’éternelle grève qui célèbre le deuil de l’école. Le sursaut des apprenants est l’expression du refus à l’abâtardissement. « Nous voulons des cours ». Ce slogan a valeur de cri de détresse et de ras -le-bol des victimes du débrayage.
Le secteur de l’éducation, depuis quelques jours, devient l’épicentre de la colère. D’abord, celle du chef de l’Etat. Les insinuations et des accusations dans le discours ne sont pas de nature à soigner et à calmer les nerfs syndicaux. Les faux-fuyants accentuent la crise de confiance. Ensuite, la colère des syndicalistes. Elle existait déjà. L’irritation présidentielle et la rhétorique du bondissement l’ont simplement enflammée. Et puis, la combinaison de la colère et de la colère éloigne le dégel. Le durcissement des mouvements de grève se fait sur des évocations éparses et nous voilà obligés de fondre dans des appels à un dialogue fuyant et hypothétique. L’école ébranlée, témoin de la ruine intellectuelle, se retrouve sous les décombres de ses valeurs et ressasse sa frustration.
Enfin, la colère des élèves qui ont trouvé une réponse plutôt inédite au débrayage de leurs profs. A la grève répond la colère dans le style "on guérit le mal par le mal". Aiguisés par la peur du lendemain, la réaction des élèves revêt l’aspect d’une remise en cause de cette malsaine querelle gouvernement-syndicats. Les espaces infinis des contestations des enseignants et l’autisme des gouvernants laissent profiler à l’horizon un avenir incertain pour ces étudiants et élèves soumis aux affres des grèves et contraints de subir des jets de cours ou d’en être sevrés.
" Nous voulons des cours" : Cette doléance symptomatique du mal qui ronge l’école est émouvante. Au théâtre de la République anormale, et sous la menace d’un crétinisme ambiant, les jeunes gémissent au point d’en arriver à quémander des cours avec la sébile de manifestation anti débrayage. L’école est malade, malade de toutes les drôleries qui la touchent. Elle est sérieusement atteinte par les vices qui la plongent dans l’abîme. Avec la revendication glaçante d’élèves enfouis dans le chaud sous-sol du désespoir, l’école en souffrance montre d’évidents signes d’agonie. Le drame psychologique de la jeunesse devient inquiétant, amplifié par l’étoffe gréviste cousue dans les ateliers enseignants.
Le mouvement de protestation d’étudiants et d’élèves en quête de cours, initiative pas banale, est censé faire réfléchir le gouvernement et les enseignants grévistes. La proclamation de cette soif prend l’allure d’une invite à la sagesse : "Nous voulons des cours ». L’Etat et les syndicalistes interpellés par les lamentations de la jeunesse devraient hisser leur sens de responsabilité. C’est une urgence.



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