Interview avec Boni Sinatoko, Écrivain : « Le Bénin est un pays qui peut se faire envier, si nous avons su écrire nos cultures sur les belles pages »

30 mars 2023

Boni Sinatoko de son vrai nom Bani Sinatoko est un amoureux des belles lettres et écrivain par passion. Né le 05 novembre 1996 à Banikoara d’un père cultivateur et d’une mère ménagère, son amour pour sa culture n’est plus à démontrer. La preuve, il le manifeste chaque jour à travers ses écrits. A travers cette interview, il parle de sa passion pour la littérature et nous dévoile sa pièce de théâtre "Allons voir Bio Guèra"

Vous venez de lancer une pièce théâtrale . Parlez nous de ce nouvel opus qui vous révèle plus ?

J’ai récemment publié un ouvrage intitulé ‹‹ Allons voir Bio Guèra ››. Il s’agit d’une pièce théâtrale de 61 pages éditée par Naguézé Éditions à Abomey, l’une des plus grandes villes touristiques du Bénin. Elle a été préfacée par le professeur titulaire Léon Bani Bio Bigou. Sur la première de couverture, vous avez l’image de la nouvelle statue de Bio Guèra récemment érigée à Cotonou. À la quatrième de couverture, vous avez un extrait de la pièce. Mais cette pièce n’est pas ma première publication. En 2020, j’avais publié un roman de 156 pages intitulé ‹‹ P-kouara bordel, la prostituée ›› dans la même maison d’éditions. Avec la nouvelle pièce théâtrale, j’ai donc deux livres à mon actif : un roman et une pièce théâtrale. J’ai débuté ma carrière d’écrivain par un roman. Mais j’ai commencé à me sentir mieux dans l’écriture théâtrale à travers des chroniques que j’ai l’habitude de partager souvent sur ma page Facebook Boni Sinatoko. Ce sont de courts dialogues entre mon Cousin imaginaire et moi. Peut-être qu’un jour je reviendrai avec un autre roman ou un autre genre littéraire. Pour le moment, nous sommes au théâtre, mon lectorat et moi.‹‹ Dans ma pièce, il s’agit de deux jeunes, Boni et son Cousin qui décident d’aller suivre une représentation théâtrale à l’esplanade de Deema Radio. Ladite représentation porte sur l’histoire de la résistance de Bio Guèra, l’un des résistants contre l’invasion coloniale au Nord-Bénin. Selon l’histoire représentée par les acteurs du jour, Bio Guèra a été trahi par un proche qui avait accepté de collaborer avec les Blancs à l’insu de tous. À la fin, Bio Guèra a été décapité. Les acteurs sur scène ont annoncé la fin de la représentation. Mais à travers leurs mots de la fin, les spectateurs ont compris que la résistance de Bio Guèra contre le colonialisme s’apparente aujourd’hui à la résistance contre le terrorisme dans nos pays africains et qu’il faut alors être vigilant pour ne pas tomber dans le même piège que Bio Guèra. ››

Vous revelez à travers l’œuvre une autre forme d’expression théâtrale

Oui, il faut notifier que c’est une pièce théâtrale dans laquelle les spectateurs sont en même temps des personnages actant. Moi-même en tant qu’auteur je fais d’ailleurs partie de ces personnages. C’est donc une pièce théâtrale qui s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler ’’les nouvelles formes théâtrales’’. Il est très rare de voir une pièce théâtrale dans laquelle l’auteur fait partie des personnages comme si c’était dans un roman autobiographique. C’est peut-être ce que je vais appeler le théâtre autobiographique.

Quelles sont les thématiques que vous abordez dans l’œuvre ?

Comme on peut déjà le constater à travers ce résumé, les thématiques abordées sont : la trahison, le courage, la lutte contre le terrorisme qui nécessite discrétion et méfiance, l’hommage rendu à Bio Guèra, l’amour de la révolution africaine, la guerre des cultures, etc.

Qu’est ce qui vous a motivé à écrire cette pièce ?

L’idée d’écrire cette pièce m’est venue un jour quand j’étais dans un bus sur l’axe Cotonou-Parakou. Ma première intention était de rendre ce vibrant hommage à Bio Guèra qui est une figure emblématique de la résistance contre l’invasion coloniale au Nord-Bénin. L’intention, pour moi, n’est nullement de m’impliquer dans cette guerre d’histoire qui a toujours opposé plusieurs têtes autour de l’histoire de la résistance de Bio Guèra. Je ne suis pas venu avec cette pièce comme quelqu’un qui connait la vraie version des faits. Je veux juste utiliser cette histoire pour faire passer un message. Et c’est d’ailleurs ça mon objectif principal. Vous savez, il y a peut-être un fait qui échappe à plus d’un. Mais moi, je crois qu’on ne doit pas perdre cet aspect de vue. Bio Guèra, Gbéhanzin, Kaba et bien d’autres ont fait la guerre contre l’invasion coloniale entre le 19è et le 20è siècles. Aujourd’hui, il y a une autre invasion qui n’est pas très loin de l’invasion coloniale : c’est l’invasion terroriste. Les deux invasions sont différentes mais se ressemblent au fond. Le Colon est venu bouleverser les habitudes des nôtres, ce que nos héros ont trouvé inadmissible. Le terrorisme est venu également bouleverser nos habitudes de vie en ce sens qu’il fait des déplacés internes et anime un vent de peur au sein des populations concernées. Bio Guèra a fait la guerre contre les colons. Mais contre toute attente, il a échoué. Aujourd’hui, c’est notre armée qui fait face à l’invasion terroriste. Je pense qu’il y a de quoi aller voir Bio Guèra. ’’Allons voir Bio Guèra ’’ est une façon de demander à tous ceux qui s’engagent dans la lutte contre ces attaques terroristes aujourd’hui d’aller voir, d’aller lire l’histoire de Bio Guèra et pouvoir s’en servir pour éviter de tomber dans le même piège qui a fait échouer Bio Guèra et Cie. Si nous lisons l’histoire de nos héros, nous verrons qu’ils ont presque tous été trahis par un proche. Il y a toujours en leur sein quelqu’un qui a collaboré avec l’ennemi. C’est pourquoi ils ont tous échoué. Aujourd’hui, nos soldats qui font la guerre contre le terrorisme doivent être plus vigilants que Bio Guèra parce que c’est toujours parmi nous qu’il peut y avoir des traîtres.

Est ce que cette œuvre vient une fois encore comme les autres nous conter l’histoire autour de la résistance de Bio Guèra ?

Cette pièce ne vient pas se déclarer détentrice de la vraie version des faits sur la résistance de Bio Guèra. Loin de me contenter de l’histoire vraie, j’ai plutôt voulu mettre un accent particulier sur la trahison dont a été victime Bio Guèra pour enfin créer ce parallélisme entre la lutte contre le colonialisme que Bio Guèra a menée et la lutte contre le terrorisme que nos soldats mènent aujourd’hui. L’autre chose également, c’est qu’à travers cette pièce, le Bénin tout entier par ma voix réclame pour une énième fois le retour de la tête de Bio Guèra au bercail. Vous verrez qu’à la quatrième de couverture, la tête coupée de Bio Guèra continuait à parler. Nous les littéraires, nous aimons trop les choses fantastiques, parce qu’elles relèvent toujours de l’esthétique. C’est une scène fantastique que j’ai créée pour dire que même étant en France, la tête de Bio Guèra continue à parler ici. Elle doit revenir auprès des siens. Je salue au passage, l’initiative qui a abouti à la rétrocession des 26 oeuvres d’art du royaume d’Abomey. Mais je crois qu’on peut toujours aller au-delà. La tête de Bio Guèra nous parle depuis la France. Et nous devons la ramener près de son corps. Ce sera une belle page pour notre tourisme, puisque je sais que je ne serai pas le seul à vouloir regarder en face la tête de notre héros dans un musée.

Quel regard portez-vous sur la promotion de la culture au Bénin ?

Moi je pense que la culture a toujours sauvé l’humanité. Nous devons toujours valoriser ce qui nous est cher, parce que tant que nous-mêmes ne valorisons pas notre avoir, personne ne viendra le faire à notre place. En dehors des aspects sus-évoqués, j’ai voulu écrire cette pièce pour valoriser les valeurs morales de notre société ancienne telles que la bravoure, le courage et par dessus tout, notre identité. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai essayé de convoquer tous les éléments nécessaires pour la cause. Les noms des personnages dans cette pièce sont puisés du vocabulaire baatonnu. C’est la preuve que nos cultures et nos langues possèdent une puissance incommensurable qu’on peut utiliser pour écrire de très belles pages. Aussi, j’ai voulu mettre en valeur les plaisanteries qui existent souvent entre un individu X et son Cousin Y à travers deux personnages que j’ai créés dans le prologue et l’épilogue de la pièce. Il s’agit de Boni et son Cousin, deux jeunes qui n’arrêtent de se taquiner amicalement. En milieu baatonnu, le cousinage est un héritage. C’est d’ailleurs pourquoi la plaisanterie continue d’exister entre les Baatombu et les Nagot. À vrai dire, le Bénin en général, est un pays qui peut se faire envier, si nous avons su écrire nos cultures sur les belles pages. Notre histoire est riche. Elle est riche de courage. Elle est riche de bravoure. Elle est riche de bonne moralité. Elle est riche d’un savoir faire. Elle est riche d’histoires merveilleuses. Elle est riche de pleines de choses. Et je crois qu’on a encore de la matière à vendre dans le domaine culturel.

La statue de Bio Guèra à Cotonou, Quelle appréciation ?

Quand vous allez aujourd’hui dans les alentours de l’aéroport et vous voyez ce Bio Guèra, cabré sur son cheval avec une posture de combattant, vous ne pouvez qu’être fier. Je pense que l’endroit a été bien choisi. C’est le lieu idéal pour faire la promotion de ce héros national, parce que tous les étrangers qui viennent au Bénin prennent par là. Et l’Amazone qui couvre tout Cotonou avec son élégance ?... Quand on regarde tout ça, on ne peut qu’encourager les initiateurs, parce que c’est la seule façon de rendre hommage à nos vaillants combattants et en même temps les immortaliser. Quand nos enfants grandiront et verront ces statues, ils pourront poser la question pour chercher à comprendre davantage sur le vécu de ces personnages emblématiques.

Votre mot de la fin ?

Mon mot de la fin ne sera que de vous remercier pour l’occasion que vous m’accordez de me faire entendre. En réalité, il y a plusieurs voix qui ont de belles choses à dire, mais elles ne sont malheureusement pas audibles, parce qu’elles manquent d’un micro qui pourrait relayer ce qu’elles disent. Personnellement, je tiens à vous remercier de l’intérêt que vous m’accordez. La littérature béninoise vit bien et très bien. Elle respire, d’ailleurs comme un être humain et grandit avec de nouvelles créations littéraires au sein de la jeunesse. Cependant, nous devons l’utiliser pour faire la promotion de notre histoire, notre culture et au final notre identité. Je profite de l’occasion pour demander à nos personnalités politiques de toujours soutenir les jeunes auteurs qui ont la volonté de faire la promotion de notre culture à travers leurs œuvres. Puisse Dieu faciliter nos différents projets.

Propos recueillis par : Marina HOUNNOU (Coll.)



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