Interview avec Fréjus Agbognihoué, alias ‘’Rali star’’ :« …Avec 400 000 Fcfa, je réalise déjà une voiture… »

Patrice SOKEGBE 7 mai 2014

Fréjus Agbognihoué alias ‘’Rali star’’ pour ses amis. Si vous habitez à Cotonou ou environs, vous entendrez parler de lui ou vous le verrez circuler à bord de ses voitures made in Bénin. La trentaine environ, Fréjus est soudeur de formation, mais il développe également des talents de scientifique. A partir des ferrailles et des pièces motrices de motos, il arrive à fabriquer des voitures.

Frejus, un génie bien doué

Quel est votre niveau d’étude ?
A vrai dire, je n’ai jamais mis pieds à l’école. Je ne peux accuser personne, mais cela me fait de la peine et je me dis, si mes parents l’avaient su. Toutefois, je ne me plains pas parce que tout est grâce.

D’où vous est venue l’idée de créer une voiture ?
Depuis que j’étais tout petit, lorsque je voyais passer les engins et les voitures, je me posais la question de savoir comment le Blanc en est arrivé là, et pourquoi pas nous les Africains. Cette question m’a amené à faire des calculs et je suis parvenu à créer ma première moto. Je suis donc parti de là pour fabriquer plus tard une voiture. Et, aujourd’hui, je suis à quatre véhicules.

Comment êtes-vous parvenu à fabriquer une voiture ? Fabriquez-vous aussi le moteur ou c’est un assemblage de pièces préexistantes ?
C’est un assemblage de pièces. En Afrique, on ne fabrique pas encore les moteurs. Donc, j’utilise les moteurs de motos. Pour le reste, j’achète des fers et des tuyaux pour réaliser la carrosserie, étant donné que je suis moi-même soudeur et j’intègre les pièces motrices après.

Comment parvenez-vous à financer ce projet ?
Je fais d’abord mes plans en dessin et j’essaie de faire un devis par rapport aux matériels. Et lorsque j’en ai une idée, je commence à cotiser des sous à partir de mon commerce pour pouvoir assurer les dépenses.

Est-ce que vous vendez vos voitures ?
Pour le moment, je n’ai pas encore vendu de voiture. Sinon, la moto que j’avais fabriquée a été achetée par un Blanc sur la plage de Jacquot. Les voitures, je les conduis simplement. Mais, il y a un monsieur qui m’avait commandé une bâchée, que je lui ai réalisée.

Avez-vous déjà participé à une formation supplémentaire à l’étranger avec l’aide d’une autorité publique ?
Non, je n’ai encore vu personne venir m’apporter une telle nouvelle.

Est-ce que vous avez eu l’occasion d’exposer vos œuvres, lors d’une foire par exemple ?
Après la réalisation de ma première voiture, j’ai été invité par le Centre de promotion de l’artisanat (Cpa) à une foire à Bohicon, à Allada et à Grand-Popo. J’ai décidé de ne plus aller à ces foires parce qu’il n’y avait rien de concret. Je garais et les gens venaient juste voir.

Des gens, notamment des scientifiques ou autorités du Bénin sont-ils déjà venus vous voir pour vous demander vos secrets ?
Personne n’est jamais venu me voir à part la chaîne de télévision Canal 3. Aucun intellectuel n’est venu me demander quoi que ce soit.

Avec cette exceptionnelle expérience, pensez vous que la fabrication d’une voiture peut être à la portée du génie béninois ?
Bien sûr. Je trouve cela très facile parce qu’il suffit de bien réfléchir. Le Blanc qui avait réalisé cela l’avait fait avec ses mains. Mais aujourd’hui, il a mûri ses réflexions et fait intervenir des robots et autres machines. C’est donc très facile. Je trouve aussi que certains, s’ils avaient foi en eux-mêmes, pourraient réaliser quelque chose de plus potable que moi.

Dites-nous ce que cela vous rapporte, puisqu’il s’agit d’un investissement.
C’est la passion. C’est comme une maladie pour moi. S’il passe du temps sans que je n’innove, je ne me retrouve pas bien dans ma peau. Sinon, cela ne me rapporte rien si ce n’est que je m’en sers moi-même pour mes déplacements et la sécurité que cela me garantit, ainsi que la fierté et la popularité.

Ne comptez-vous pas en arriver à fabriquer un jour une voiture de mêmes normes que celle du Blanc ?
Bien sûr ! Je suis en train de faire le projet parce que cela demande énormément de ressources. Je vais d’abord ouvrir un grand atelier et ensuite, je vais commencer par concevoir de belles œuvres comparables à celles du Blanc qu’on pourrait commercialiser. J’ai déjà conçu les plans de ces véhicules et il ne reste qu’à les réaliser.

Quel appel avez-vous à lancer aux citoyens béninois ?
Je demande au peuple béninois de croire en lui-même. Parce que nous voyons ce que font les autres chez eux et ils sont aussi des êtres humains comme nous. Que les Béninois soient fiers de ce que font leurs compatriotes et qu’ils arrêtent de s’en moquer. Par exemple, avec 400 000 Francs Cfa, moi je réalise déjà une voiture. Or, pour l’avoir en mode européenne, il faudrait économiser des millions, et toute cette somme leur sera retournée. Nous travaillons pour développer leurs pays. Mais si on consommait local, l’argent resterait dans notre pays et le développerait.
Propos recueillis par Patrice SOKEGBE



Dans la même rubrique