La dictature du développement : un mot qui mérite une attention particulière

Isac A. YAÏ 5 février 2014

Emilie TIBOUTE SAMA

Nous avons choisi nous intéresser à ce groupe de mots qui, à notre sens devrait être d’actualité au regard de la morosité économique.
Selon Larousse, la dictature est un régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes (junte) qui l’exercent sans contrôle, de façon autoritaire. Et le développement « économique » est : l’amélioration qualitative et durable d’une économie et de son fonctionnement.
La dictature n’étant pas péjorative, nous pouvons donc considérer la dictature de développement économique comme une imposition par la force des choix économiques qui permettent une amélioration qualitative et durable de l’économie avec un impact sur le bien-être des populations.
Dans l’un de ses discours, lorsque le Président de la République l’a prononcé, ce fut un scandale, un tôlé général. Il disait ceci : « Je vais faire leur bonheur contre leur gré…. ». Il arrive des moments où l’on est obligé de prendre des mesures coercitives pour amener des citoyens à respecter certaines normes, certaines règles. Prenons l’exemple du respect du code de la route. Le Cnsr et la police ont été obligés à un moment donné de prendre leurs responsabilités en obligeant les motocyclistes à rouler sur la piste cyclable pour préserver leur vie. Il en est de même pour la campagne sur le port du casque, permettant ainsi de réduire les cas d’accidents mortels et les traumatismes crâniens. Il n’y a de richesses que d’homme ! Préserver donc la vie mais investir surtout sur l’homme pour en faire une ressource de qualité à même de participer au développement de son pays est un devoir.

La dictature de développement sous l’angle des choix de développement
Le Président des Chambres des Métiers de l’Artisanat burkinabé disait : « Nos autorités politiques ont compris que l’artisanat peut contribuer autant que l’agriculture à la croissance économique et c’est pourquoi, nous voulons faire de l’artisanat un secteur émergent ». Ainsi donc, pour avoir une économie émergente, eh bien, il faut des secteurs émergents. Imaginons que l’attention mise sur l’agriculture notamment sur le coton et le Port Autonome de Cotonou, le soit aussi dans le secteur de l’artisanat, des mines, des TIC et des services. A coup sûr, la crise observée aujourd’hui n’aurait pas cette ampleur. Le Ministre Valentin Djènontin, alors Ministre de la Culture et de l’Artisanat l’avait affirmé à la télé dans l’un de ses discours : l’artisanat peut contribuer autant que le Port à l’économie nationale.
Cela nous amène à poser la question de la hiérarchisation des priorités de développement et de la pertinence des stratégies mises en place. Si les pays francophones en général sont doués en théorie, il nous semble important qu’il faille être plus pragmatique : d’où l’intérêt de la « dictature de développement. Une dictature qui impose par exemple aux Ministres dans leur budget pour l’habillement et leur installation, que 25% au moins soit dédié au made in Bénin permettant ainsi à un certain nombre de micro-entreprises artisanales d’être boostées et de se transformer progressivement en petites et moyennes entreprises. Faites un tour dans les tours administratives, en dehors de quelques rares tableaux made in Bénin, tout l’ameublement est importé et pourtant ces tours abritent le Ministère de l’Enseignement Secondaire et Technique, de la Reconversion professionnelle et le Ministère de la Microfinance, de l’Emploi des Jeunes et des Femmes, ministères par excellence qui sont supposés faire la promotion de l’emploi. Pour ces centaines de bureaux, imaginez que des jeunes menuisiers sortis de nos lycées techniques pourtant pétris de talents mis en coopératives aient gagné le marché de l’immobilier. Ils seraient à l’abri du besoin et lanceraient définitivement leurs entreprises créant ainsi non seulement de l’emploi pour les autres, mais aussi de la richesse. La richesse doit être maintenue et non envoyée à chaque fois à l’extérieur. L’on ne peut plus accepter de recevoir de la main gauche pour que tout soit repris non plus de la main droite, mais des deux mains.
En voyant la célébration de la fête de « Whéméxé », fête éponyme et initiative très louable qui mérite non seulement d’être encouragée, mais aussi d’être dupliquée ailleurs et permettre le développement de nos différentes régions, nous avons eu un « haut le cœur » car, l’uniforme choisie a été commandée en Chine et au Togo. Nous avons pensé tout de suite à la Sitex qui aurait pu fabriquer tous ces tissus, ce faisant, les ressources resteront à l’intérieur du pays. Ce qui suppose la restauration de cette usine qui permettrait de résorber le chômage. Le 08 Mars prochain, des milliers de femmes porteront un pagne marquant la célébration de la journée internationale de la Femme, pagne qui sera choisi par le ministère de la famille qui par excellence s’occupe de tout ce qui est social. Et là, il nous parait important d’attirer l’attention sur la nécessité de passer des soutiens purement humanitaires voire polititiques qui ont tout leur sens en temps de sinistre au social productif : c’est-à-dire soutenir des groupements de femmes ou de plus vulnérables en les rendant résilients mais surtout en les accompagnant dans la production et la consommation des biens produits. C’est cela la dictature du développement. Des achats raisonnés, la consommation patriotique qui crée de la richesse et sort de la paupérisation ambiante. On ne saurait parler de développement sans création de la richesse or, cette création de richesses impose des préalables, des conditions idoines. L’atteinte des OMD (Objectif du Millénaire pour le Développement) passe par là : emplois productifs et décents. Ce sont les micro-entreprises artisanales qui ont fait de la Chine ce qu’elle est aujourd’hui avec une politique patriotique et nationaliste bien conduite.

Se focaliser sur le renforcement de l’existant
Plusieurs jeunes ont été « incubés » dans le cadre des projets songhaï. Ils seront certainement accompagnés pour leur installation, c’est notre souhait. Mais est-ce que toute la chaîne de valeurs a été mise en place ? Prenons par exemple des jeunes qui veulent faire de l’élevage de la volaille, y –a-t-il d’autres jeunes qui ont été formés pour la production de nourriture pour volaille ? Y-a-t-il eu des jeunes qui ont été formés pour fabriquer des grillages, y-a-t-il un marché de consommation ? Au risque d’avoir le même résultat que la production de tomates à Kpomassè ! Dans les mêmes conditions, les mêmes effets produisent les mêmes résultats. C’est pour cela que la dictature du développement devrait à notre avis se focaliser sur le renforcement de l’existant. Que les usines ou les sociétés comme Coteb, Sonafel etc. soient réhabilités, que par exemple, les jeunes qui ont déjà une micro-entreprise soient mieux encadrés, renforcés pour recruter ceux qui sont formés car, tout le monde ne peut pas être entrepreneur. Ainsi, le chômage serait fortement réduit. Si 50 jeunes installent leurs fermes et que chacun emploie 05 autres jeunes, si 50 menuisiers s’installent en employant chacun 05 autres jeunes, si 50 couturiers s’installent et emploient 05 autres jeunes etc. Ces exemples démultipliés dans d’autres secteurs auront pour impact positif une baisse constante du taux de chômage et un minimum social prôné par le Professeur Tévoèdjrè depuis plusieurs années. S’il est important de se focaliser sur une forte croissance économique, il est néanmoins important de faire la part des choses entre croissance économique et transformation économique. Le cas de la Tunisie nous rappelle bien que parfois la croissance économique est comme l’arbre qui cache la forêt.
En prônant le label Bénin, notre aîné Mr Bruno Gnidéhoué attire depuis environ deux décennies l’attention de nos Gouvernants sur la nécessaire équation de produire ce que nous consommons et de consommer ce que nous produisons sans pour autant se renfermer sur soi. Les échanges mondiaux nous imposent de nous ouvrir aux autres mais de façon intelligente en ne nous laissant pas immerger dans cette globalisation. C’est pourquoi il est important d’encourager nos opérateurs économiques dans l’attribution des marchés, d’alléger la fiscalité afin que la richesse reste au pays. Notre économie ne peut être basée uniquement sur la fiscalité, laquelle subit les chocs exogènes.
Dans la même lancée que notre aîné, nous organisons depuis 3 ans la promotion du label du pagne tissé béninois comme une valeur ajoutée du coton béninois. Ainsi, au cours de la 3ème édition de la « Nuit du pagne Tissé » qui valorise le pagne tissé béninois et dont l’objectif est non seulement de reconnaître le génie de nos tisserands en général et de nos tisserandes en particulier tout en créant un marché local de consommation pouvant leur assurer une autonomisation, nous avons désigné des ambassadeurs du pagne tissé parmi l’élite béninoise afin qu’elle s’approprie ce concept du « consommons béninois ». Nous avons alors eu l’agréable surprise d’entendre une de nos ambassadrices notamment la fille du Président de la République, Rachelle YAYI promettre de porter le pagne tissé tous les mercredis de la semaine. Voilà un exemple de comportement de la dictature du développement qui devient alors une philosophie de vie, un choix raisonné de consommation. Vivement que le Conseil des Ministres suive son exemple.
Si les Présidents Good Luck du Nigéria, Ibrahim Boubacar Keïta du Mali, Jerry Rawlings et notre Madiba International ont pu imposer leur look vestimentaire au reste de l’Afrique, notre souhait est que les autres Présidents leur emboîtent le pas. L’ancien Président Olunsegun Obansajo a su imposer à tout son cabinet quand il était Président, la stricte consommation du made in Nigéria. C’est à ce prix que la dictature du développement aura un contenu acceptable de tous. C’est cela aussi la véritable refondation, puiser dans nos valeurs pour obtenir un changement réel. En somme, une conscience nouvelle pour un homme nouveau. Imposons des labels économiques au reste du monde pour réfuter l’argument selon lequel les Africains ne sont pas suffisamment entrés dans l’histoire. C’est un devoir de tous.
Emilie T. Sama



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