Lilly Houngnihin, directrice exécutive Laboratorio Arts Contemporains : « Chaque peuple a besoin de revenir sur les fondamentaux qui définissent son identité »

Moïse DOSSOUMOU 3 août 2022

Il existe déjà plusieurs initiatives qui visent à mettre en valeur le Vodun. Quelle sera la particularité de cette Biennale ?
La particularité de la Biennale Ouidah 2022 est de faire du site qui accueille ce projet un espace fondamental de dialogue.
Il y a un premier niveau de dialogue entre une communauté universitaire qui fait des recherches sur le Vodun sans forcément exclure les détenteurs, ceux qui se battent au quotidien pour transmettre ce patrimoine comme référent, les archives orales ne sont pas légitimées et reconnues en tant que tel. Donc il y a comme une espèce de distorsion entre la façon dont le patrimoine Vodun est vécu par les détenteurs, ceux qui s’en occupent depuis des siècles et qui le perpétuent jusqu’à nous et ceux qui en parlent à l’international, ceux qui écrivent sur le Vodun, ceux qui diffusent le Vodun. Un des objectifs essentiels pour nous est de faire ce croisé des deux mondes pour amoindrir les distorsions sur la façon dont ce patrimoine est présenté.
Le deuxième niveau de dialogue, c’est entre nous Béninois qui avons, d’une certaine façon, survécu aux traumatismes de l’histoire de l’esclavage sans avoir été déportés et nos frères de l’autre côté de l’Atlantique qui sont partis avec une séquence de ce patrimoine et qui ont tout de même été arrachés au territoire qui nous porte aujourd’hui. Pour nous, il s’agit essentiellement d’inscrire le dialogue dans un espace où tout doit se dire, que ce soit les récriminations de nos frères génériquement appelés afro descendants, entre eux et nous, on a besoin de se parler, de dialoguer pour sortir de ce traumatisme.
Le troisième niveau de dialogue, c’est que le Vodun porte en lui-même un niveau de créativité et d’esthétique qui a besoin d’être sublimé. Et les Béninois ont le droit de voir ce qu’est devenu ce patrimoine qui finalement a une portée universelle puisque le Vodun a pu se disséminer partout dans le monde en partant de l’histoire de l’esclavage.

Ouidah n’est pas le seul temple Vodun au Bénin qui ait joué un rôle dans l’esclavage. Est-ce qu’un clin d’œil sera également fait en direction des autres villes qui ont aussi marqué l’histoire ?
Nous avons unilatéralement choisi Ouidah parce que c’est un territoire qui nous parle. Ça fait plus de 10 ans qu’on intervient sur plusieurs projets sur le territoire de Ouidah. Sur place, nous avons trouvé des partenaires de très bonne qualité. La première raison, c’est de pouvoir identifier sur un territoire des partenaires qui peuvent collaborer, dialoguer sur un projet et lui donner toute l’amplitude nécessaire. Heureusement, à Ouidah, les projets et les propositions que nous avons apportés sur le territoire ont reçu un très bon écho et on a réussi à inscrire avec les communautés Vodun de Ouidah un partenariat durable.
Ouidah porte également sur son territoire la plus grande représentativité du panthéon Vodun au Bénin. Quand vous faites des recherches sur le Vodun sur le territoire de Ouidah, vous avez toutes les obédiences des divinités présentes dans le panthéon Vodun. Pour nous, c’est un territoire fédérateur.
La troisième raison, c’est que le chef suprême du Vodun qui est l’autorité religieuse associée à ce projet est très fédérateur. Il est prévu que des délégations arrivent des 12 départements du Bénin, s’installent sur ce territoire de Ouidah et vivent avec nous cet espace de la Biennale Ouidah 2022.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du public ?
Laboratorio fait des projets essentiellement pédagogiques. Nous sommes un peu dans un acte de sensibilisation. On vit depuis quelques années avec la crise sanitaire une période où l’histoire s’accélère à une vitesse extraordinaire. Chaque peuple a absolument besoin de revenir sur les fondamentaux qui définissent son identité. Ce que nous attendons des populations du Bénin en général, c’est qu’elles viennent participer à cet acte de dialogue, parce que c’est seulement à partir de là que nous pourrons réfléchir à un modèle de développement. Notre attente, c’est que les communautés, les populations puissent par elles-mêmes définir quelles sont leurs priorités dans leur processus de développement et qu’on arrête de parachuter des modèles qui viennent d’ailleurs en essayant de tordre le cou au contexte afin qu’il s’adapte à ces modèles parachutés. C’est du dialogue que peut naître ce projet que nous voulons fondamentalement partagé et concerté pour un modèle de valorisation des arts et culture Vodun qui pourra tous nous conduire au développement. Le dialogue est au cœur du travail que nous faisons. Ce que nous attendons des populations, c’est qu’elles se déplacent massivement. Ça va être une expérience en immersion qui nous permettra de nous parler dans la vérité.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



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