Marius Jidé Dakpogan : Une vie vouée à l'art

14 mars 2023

Acteur de la planche, ethno-museologue, conservateur, metteur en scène et autres. Babajide de son vrai nom Marius Jidé Dakpogan n’est plus à présenter. Son talent a résonné partout dans le monde. une vie marquée par des créations artistiques, des tournées mais surtout des rencontres les unes plus enrichissantes que les autres. le Mercredi 8 mars dernier à l’espace culturel ‘’Le Centre’’ de Lobozounkpa où il a travaillé pendant des années, à la faveur d’une rencontre, il a reçu les hommages de toute l’équipe de ce centre qu’il a servi avec dévouement depuis sa création en 2015 et profité pour partagé avec les jeunes artistes ses expériences et le secret de sa réussite.

Né le 23 juin 1954 à Porto-Novo d’un père goun et d’une mère aguda, Babajidé a passé une enfance peu glorieuse. De la séparation de ses parents, à la prise en main de sa vie en tant que garçon aîné d’une fratrie de 2 enfants, l’aventure n’a pas été facile. « J’ai reçu l’éducation de maman et de mémé. Une éducation strictement catholique et j’ai pu fréquenter comme les enfants de mon âge. J’ai commencé à prendre ma vie en main car papa n’etait pas là », a-t-il laissé entendre dans ses premiers propos. Une séparation qui l’a amené à repenser ce qu’il fera de sa vie en tant que garçon aîné. Dans cette quête, à l’école déjà il était reconnu pour ses talents de dessinateur et de calligraphe » Je me servais des croquis que je réalisais pour pouvoir avoir du pâté ou du pain chez mes enseignants ». Tout doucement sa vie scolaire a commencé à prendre de l’envol. À l’âge de 12-13 ans, voulant son espace à lui, il est devenu rebelle. Une nuit il se rend chez son père et y passa la première nuit de sa vie avec lui sur son lit avec deux autres de ses femmes. Le fait de savoir que son père était devenu polygame l’a choqué et il a décidé de redoubler d’ardeur. Il a décidé d’associer le travail de la forge vu que sa famille en est dépositaire au même titre que les Hountondji d’Abomey. Ainsi il réalisait des gourmettes qu’il revendait à ses amis et même à des touristes.

L’aventure artistique

Babajidé « est un artiste prêt à tout faire, un artiste vivant, homme de terrain, polyvalent ». Sa carrière artistique a démarré véritablement alors qu’il était encore au collège avec la troupe « Les cerveaux noirs » du Lycée Béhanzin. L’établissement le retient après un test comme comédien. Avec cette troupe, il a effectué plusieurs voyages sur le Nigéria et dans une partie de l’Afrique occidentale. Marius jidé Dakpogan fut aussi membre actif de plusieurs ‘’Ensembles artistiques’’ nationaux dont l’Atelier Nomade en 1997 et « Zama-Hara » où il rencontre le comédien béninois Alougbine Dine, aujourd’hui directeur de l’École internationale de théâtre du Bénin (Eitb). « Zama Hara était un courant artistique. Il y avait un investissement intellectuel de haut niveau », avouait celui-ci lors d’une rencontre-discussion au Centre en janvier 2021. A l’issue d’une audition, son talent séduit le metteur en scène français Gilles Zaepffel. Il l’intègre dans sa compagnie « Théâtre Écarlate » et lui permet de participer au Festival d’Avignon. Différents voyages à travers le monde ont couronné le parcours brillant de Marius jidé Dakpogan, en plus de lui permettre de rencontrer de grands artistes auprès de qui, il va beaucoup apprendre. « Le bon Dieu m’a donné beaucoup de techniques. J’ai appris ; j’ai beaucoup appris auprès de mes ainés et à force d’apprendre, j’ai répété et à force de répéter, je suis devenu ce que je suis, comédien par profession et par excellence conservateur qui n’était pas mon domaine. C’est un autre qui a découvert ce talent en moi et m’a nommé à cause de l’art vivant », se résume-t-il.

Zinkpè ou le coup du destin

En se rendant au siège du Fitheb un jour pour recevoir son cachet, Babajide fait la rencontre d’un homme qui changera le coût de l’histoire (l’élément modificateur) Dominique Zinkpè, Artiste plasticien. Toutes les occasions n’étaient pas bonnes à cause des tournées." Lui il faisait des tournées en arts plastiques et moi en arts vivants, raison pour laquelle nous n’avons pas pu nous rencontrer à temps". Coup du destin un jour, étant au seuil de la porte de l’Eitb après une discussion vive, il fit à nouveau face à Zinkpè qui venait juste en visite là. Avec lui, ils se rendent à son atelier à Fidjrossè où il fut séduit par ses œuvres réalisées avec des ’’ibédji"(Statuettes en bois taillés en représentation des jumeaux réincarnés Ndlr). C’est de là qu’il demande en quoi il peut servir et il lui a demandé de réaliser les statues en laiton vu que c’était son domaine de prédilection. Chaque jour,il le consacrait à la réalisation de ses statues qu’il étaient heureux de retrouver après. " Le jour où j’ai vu la réalisation de Zinkpè avec les statues que j’ai réalisées à Rosny sous Bois, j’étais juste émerveillé ». Son aide à Zinkpè lui a permis en retour de beaucoup apprendre. De l’atelier de Fidjrossè au centre Lieu Unik de création contemporaine, l’aventure a été merveilleuse mais ne s’est pas arrêtée là. "Un matin, j’étais là et Zinkpè est venu au lieu unik à Abomey et m’a demandé de le suivre. C’est de là que nous sommes venus à Lobozounkpa et j’ai découvert le centre Arts et Culture de Lobozounkpa un tout nouveau projet de Zinkpè et de ses mécènes". En 2015, à l’ouverture de l’espace culturel ‘’Le Centre’’, Marius jidé Dakpogan fut appelé comme conservateur du Petit Musée de la Récade suite à une étude de son dossier par Robert Vallois. Il y restera jusqu’en 2021 où il prend sa retraite après plusieurs années dévouées à l’art. Il en garde de très bons souvenirs et se réjouit d’avoir contribué au rayonnement de ce centre à travers son art. Babajidé a également participé à la semaine culturelle de l’Exposition « Art du Bénin, d’hier et d’aujourd’hui : de la restitution à la révélation » en qualité de conservateur. « La proposition est tombée de là-haut. J’ai rempli les formalités à la semaine culturelle, j’étais invité. J’ai assisté à toutes les activités. J’ai découvert l’histoire du Danxomè, ce que j’ai appris sur les bancs. C’était fabuleux. C’était une fierté pour moi », s’est-il réjoui
Regrets...

Père de 7 enfants dont un garçon, il n’a pu « malheureusement » transmis son talent artistique à aucun d’entre eux. « Mes fils, ma progéniture, c’est vous. Ce sont les enfants du Centre ; les petits enfants du Centre de Lobozounkpa », a-t-il déclaré. Son plus profond regret est la mort de l’une de ses filles alors qu’il était encore conservateur, cette douleur qu’il essaie aujourd’hui de dissimuler par l’amour qu’il a reçu de toute l’équipe du Centre et de ses sympathisants
L’hommage du Centre de Lobozounkpa
Aux âmes bien nés, la valeur n’attend point le nombre des années. C’est à ce juste titre que l’équipe du centre a voulu honorer Babajidé en intitiant cette rencontre -discussion afin de permettre aux plus jeunes de pouvoir tresser leurs cordes au bout de l’ancienne. De nombreux jeunes artistes ayant côtoyé Marius jidé Dakpogan ont répondu à la rencontre-discussion. Parmi ceux qu’il avait encadrés, certains sont aujourd’hui des universitaires, ils ont rendu un hommage vibrant à cet homme qui a contribué à ce qu’ils sont devenus. Aux jeunes artistes qui ambitionnent d’émerger dans le secteur, Marius jidé Dakpogan recommande « le courage et le travail bien fait ». « Ce n’est pas facile, moi-même je le sais. Mais pas de repos, se documenter, lire. Vous avez les appareils, allez faire des recherches, ne copiez pas. Faites des résumés et faites-en votre propriété en matière de théâtre. Si tu ne peux pas créer, il y a des romans », a-t-il conseillé. Il a ajouté que l’humilité et la ponctualité doivent être leurs clés de voûte pour la vie.Toutefois précise l’artiste « n’importe qui ne devient pas artiste ». Aujourd’hui Babajide est heureux d’avoir réalisé ou contribuer à réaliser de grandes œuvres qui sont palpables au Bénin à l’exemple du temple Kpacliyao de Porto Novo et beaucoup d’autres et souhaite s’ouvrir aux artistes contemporains." L’artiste ne prend pas de retraite, je suis ouvert et prêt à encore travailler si Dieu me le permet".

Marina HOUNNOU (Coll.)



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