Professeur Mahougnon Kakpo membre du comité des rites Vodun : « Nous sommes dans la réinscription de nos cultures, dans la rationalité scientifique et dans l’espace culturel mondial »

8 janvier 2024

Comment pouvoir préserver le côté sacré du Vodun avec ces couvents qui seront réhabilités ?
Vous êtes bien dans notre problématique. C’est justement pourquoi le chef de l’Etat a pris un décret pour nommer un comité des rites Vodun. Ce comité est comme le bras technique dans ce projet qu’on vient de vous présenter. Le Vodun est une religion et il faut le comprendre comme cela. Vous savez les éléments fondamentaux d’une religion et tous ces éléments sont présents dans le Vodun. En tant que tel, le Vodun nous inscrit dans le sacré et lorsque l’on a l’intention de bâtir autour du sacré une entreprise touristique, il faut faire très attention, c’est pour cela que le comité est composé de personnes qui connaissent et qui pratiquent le Vodun dans toutes ses déclinaisons et qui peuvent dire au gouvernement ce qu’il ne faut pas montrer dans tel aspect ou dans tel autre aspect. Voilà le caractère technique et l’une des missions essentielles du comité des rites Vodun. Ce comité a également pour mission de labéliser les éléments qui doivent être montrés car on ne peut pas montrer n’importe quoi et on ne peut pas montrer le Vodun dans toute sa quintessence. Cela ne signifie pas que le Vodun que vous allez voir est un Vodun artificiel. C’est le Vodun que vous voyez mais il faut qu’on puisse étudier comment vous allez voir le Vodun. Le comité des rites Vodun a également pour mission de déconstruire les éléments de langage qui avaient été portés sur le Vodun et qui décrédibilisaient. Des éléments qui étaient d’une connotation négative, péjorative sur le Vodun. C’est pour cela que je ne souhaite pas que dans vos différents papiers, vous utilisiez l’une des expressions comme ‘‘les adeptes du Vodun’’. C’est proscrit parce que cela est péjoratif car on ne dit jamais nulle part adeptes du christianisme ou de l’islam. On dit les fidèles de l’islam ou du christianisme. De la même façon, on dit les fidèles du Vodun ou Vodunsi. Je souhaiterais que vous regardiez bien l’orthographe qui est utilisée pour écrire le mot Vodun. Ce que nous labellisons, c’est l’écriture V-O-D-U-N parce que cela a un sens pour nous et ce sens s’origine du fâ qui d’une façon ou d’une autre est considéré comme le système divinatoire mais qui en réalité est l’une des humanités classiques de chez nous qui porte la gnose de notre contrée. C’est à ce fâ qu’est adossé le Vodun. Tous les Vodun sont adossés au fâ et c’est le fâ qui a donné le terme Vodun. Nous avons un abécédaire du Vodun qu’il faut consulter pour ne pas commettre certaines erreurs commises par ceux-là qui avaient l’intention et l’objectif de déconstruire la pratique initiale religieuse des peuples Adja Tado dont l’espace couvre de Lagos à Accra en passant par Cotonou et Lomé. Ces peuples sont initialement des peuples qui pratiquaient le Vodun. Donc pour pouvoir déconstruire ce en quoi ils croyaient, il faut un discours qui annihile ces pratiques dans leurs mentalités. Nous sommes actuellement dans la réinscription de nos cultures dans la rationalité scientifique mais également dans l’espace culturel mondial pour que ceux-là qui ne connaissaient pas le Vodun mais qui en avaient entendu d’une manière ou d’une autre puissent venir voir le Vodun et s’honorer du Vodun. Le Vodun est la totalité de l’art comme les arts de la représentation, les arts de la scène, les arts plastiques, les arts de la rue, la musique d’intervention, la musique de la rue, la mode, la chorégraphie, la littérature, la poésie avec les panégyriques qui s’originent de la poésie. Tout cela est dans le Vodun. Il faut surtout voir le Vodun Egungun et vous allez comprendre ce dont je suis en train de parler en matière de mode, d’habillement, de chorégraphie, d’expression artistique totale. Lorsque vous allez voir le Vodun zangbéto qui est en réalité le gardien de la nuit, vous serez introduit avec les démonstrations qui seront faites, dans une expression de la science. Je parle de la science parce que ceux qui ne comprennent pas la façon dont cela se manifeste rapidement renvoient cela à la magie. Il ne s’agit pas de magie avec le zangbéto, il s’agit de formulations avec des démarches scientifiques pour produire un résultat qui est sous vos yeux.

Pourquoi les Vodun des autres régions dont notamment le Nord du pays ne sont pas inclus dans les Vodun Days ?
A l’extérieur, c’est le mot Vodun qui est le plus connu. Pour la première édition, on a voulu partir d’abord de ce qui est le plus connu, le plus usité pour que les prochaines éditions nous permettent d’aller vers les autres Vodun. Même au Sud, ce ne sont pas tous les Vodun qui sont pris en compte dans la première édition des Vodun Days. Vous n’allez pas voir le Vodun Gou qui est l’énergie de l’inspiration, de la technologie, de la transformation, l’énergie qui régente la manipulation des métaux. Le Vodun qui régente l’art de la chasse n’y est pas inscrit, le Guèlèdè non plus. Ce ne sont donc pas tous les Vodun qui sont dans le panthéon Vodun que vous allez voir au cours de cette première édition. De la même façon, nous n’avons pas encore intégré les Vodun qui sont pratiqués dans le septentrion mais je vous dis que ce sont les mêmes réalités et ce sont les appellations qui diffèrent selon le continuum dialectal dans lequel on se situe. Par conséquent, pour les prochaines éditions, les Vodun qui ont été révélés ne seront plus montrés, mais on va introduire les Bounou c’est-à-dire les Vodun des autres contrées.

Qu’est-ce qui est fait pour que les célébrations qui sont faites du Vodun soient pérennisées pour qu’un autre régime ne vienne pas tout remettre en cause ?
Votre question est d’autant plus intéressante qu’elle nous inscrit dans le domaine légal, législatif. Les dispositions sont en train d’être prises. Par exemple pour ces célébrations-ci, on a dit c’est le 09 et le 10 janvier mais constitutionnellement la loi reconnait la date du 10 pour la fête. En principe, on aurait pu chômer le 09 puisqu’on a fêté les 09 et 10 janvier mais cela n’a pas été le cas parce qu’on a respecté la loi qui n’a pas encore déclaré officiellement que la fête a lieu les 09 et 10. Il y a donc à ce niveau un travail constitutionnel qui doit être fait pour inscrire cela dans nos coutumes législatives. Vous allez voir que les autres fêtes religieuses, on chôme le lundi pour la fête qui a eu lieu le dimanche. C’est certainement parce que cela a été inscrit ainsi. A partir du moment où nous faisons l’expérience des 09 et 10, le 10 étant déjà institutionnalisé, nous allons revenir sur le 09 et peut-être voir si après le 10, le jour qui va suivre, s’il n’était pas nécessaire de mettre les gens au repos. On est en train de réfléchir pour savoir comment constitutionnaliser cela. La fête du Vodun, c’était d’abord Ouidah 92 mais à partir de 1997, cela a été constitutionnalisé avec le 10 janvier. C’est vrai que cette fête selon le président de la République qui est là connait des fortunes différentes. Nous avons vu pendant 10 ans, à la veille de chaque fête, le président fuit le pays parce que les vecteurs de l’auto-aliénation continuent de régner, parce qu’on a dit que le Vodun est méchant, on ne veut pas être dedans. C’est l’hypocrisie ambiante dans le pays parce qu’au Bénin, nous sommes dans un espace du Vodun, qu’on le veuille ou non, consciemment ou inconsciemment, on est dans cet espace. Nous consommons ‘’le Vodun’’ tous les jours sans nous en rendre compte, alors pourquoi fuir ? Le Vodun est d’abord une mentalité, une philosophie avant d’être une religion. Nous sommes dans cet espace et par conséquent, si vous fuyez, cela va vous rattraper. L’hypocrisie va encore plus loin en ce sens où on se montre soit à la mosquée ou à l’église mais lorsqu’on fait un petit cauchemar, on court chez le prêtre du fâ pour lui demander de consulter. C’est comme cela que nous fonctionnons avec l’hypocrisie. Au lieu de pratiquer sa religion avec une foi sereine et une conviction, la religion étant une affaire individuelle et personnelle, je pense que chacun de nous à partir du moment où on a pris possession de nous-même, nous devons aller vers la religion de notre choix. Les Vodun Days, ce n’est pas pour que tout le monde devienne fidèle mais c’est pour que tout le monde puisse comprendre davantage ce qu’est le Vodun et que le pays puisse bénéficier des avantages touristiques du Vodun qui est un trésor sur lequel nous sommes assis et que nous ignorons. Il y a certains pays qui bâtissent leur développement autour du tourisme. Il s’agit des pays où on fait du pèlerinage. Lorsque vous prenez le budget de ces pays, le tourisme constitue la deuxième source de financement après le pétrole. Le pétrole étant un produit périssable, lorsqu’il sera fini et qu’il n’y aurait pas un autre produit pour lui être substitué, le pèlerinage va devenir la première source car le pèlerinage ne finira jamais. Pourquoi ne pas s’inspirer des exemples de ce genre ? Lorsque nous sommes aux Vodun Days, nous avons des étrangers qui viennent, le tourisme sera davantage effectif, il y aura une industrie qui sera bâtie autour des objets de piété, il y aura un autre développement autour de l’hôtellerie et de la restauration et les transports urbains seront davantage développés. Ainsi nous sommes lancés dans les retombées positives du tourisme religieux autour du Vodun. Voilà la vision qui porte les Vodun Days.



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