Effondrements de bâtiments au Bénin : Le danger des constructions non autorisées et d’une exécution sans suivi adéquat

FLAT 28 avril 2022

Ces derniers mois, plusieurs effondrements ont été enregistrés dans la sous-région ouest-africaine. Le Bénin n’a pas fait exception à ce constat qui n’a pas manqué de faire des dégâts regrettables. Si cet état de choses vient mettre l’accent sur certaines réalités du secteur de la construction au Bénin, il soulève aussi un besoin manifeste de la connaissance des textes, des procédures en vigueur en la matière, leur non-respect et la nécessité du recours aux professionnels.

3 cas en l’espace de 50 jours ! Dans l’ordre chronologique, ils se sont produits à Godomey, Hêvié et Sèmè-Kpodji. Le bâtiment éffondré à Godomey n’avait pas cessé d’alimenter les discussions que Hèvié a attiré tristement les attentions avec le deuxième cas, au milieu du mois de mars. Puisqu’il est dit que quand il y en a pour deux, il y en a pour trois, Sèmè-Kpodji est venu se faire une place sur la liste des effondrements de bâtiments, au début du mois d’avril. Ce troisième cas, survenu le 04 avril 2022, se démarque des 2 autres, en raison de la montée des eaux maritimes qui en est la cause. Si ce cas est celui d’un bâtiment déjà construit, les deux premiers sont des ouvrages encore en chantier. Le premier cas enregistré en 2022, remonte au premier trimestre de l’année, au petit matin du dimanche 13 février. Un sourd vacarme avait mobilisé rapidement un attroupement sur le lieu du drame, non loin du carrefour des feux tricolores de Dèkoungbé. Le jour était naissant lorsque la nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre le long de la route nationale inter-Etats passant devant le Ceg Godomey et le cimetière Pk14. La place des fêtes, un bâtiment R+2 dont les travaux étaient censés s’achever très bientôt, venait de s’écrouler ! Selon les constats, un pan du bâtiment s’est littéralement détaché de l’ensemble avant de s’effondrer au sol. A travers une foule agitée par les commentaires, les sapeurs-pompiers s’étaient frayé un chemin pour secourir les blessés. Le vendredi 18 mars 2022, leur service sera encore sollicité pour une situation similaire. Cette fois, c’était une maison en construction qui venait de s’effondrer au coucher du soleil sur plusieurs personnes à Hêvié. Plusieurs victimes ont été dénombrées et le propriétaire de ce chantier est resté introuvable. Face à de tels faits répétés, des questions se posent et des causes demandent à être identifiées. A en croire certains témoignages, le temps écoulé entre la construction du rez-de-chaussée et le premier niveau aurait été insuffisant pour permettre la solidification du bâtiment écroulé à Hêvié. « Les ouvriers n’ont pas bien fait le travail. Ils auraient dû recruter des maçons de Porto-Novo », a opiné Alicia, jeune cadre, lorsque les faits lui ont été rapportés. Son avis semble intéressant à deux égards. Il indexe à la fois le mode d’exécution des travaux et la responsabilité portée par le propriétaire du chantier, appelé maitre d’ouvrage qui a choisi le mode d’exécution des travaux faits. Il faut dire que pour exécuter des travaux de construction, deux options sont possibles au maitre d’ouvrage : solliciter des tâcherons ou une entreprise d’exécution de travaux. Cela dit, le mode d’exécution par tâcherons est très répandu au Bénin bien qu’il n’offre que peu de garantie et une préférence non dissimulée va à l’endroit des tâcherons porto-noviens. Toujours est-il que cette observation met sur la piste d’explications éventuelles aux effondrements qu’a connus le Bénin.

Cupidité, ignorance ou laisser aller ?
« Il y en a des maitres d’ouvrage qui refusent de faire l’étude de sols et d’aller au permis de construire », déclare Amos, technicien supérieur en Génie civil, aussi sollicité comme chef chantier. Par la même occasion, ils refusent de solliciter les services d’un architecte, le professionnel dont le service coûterait cher. Cela met en évidence une réalité des chantiers au Bénin : certains ne sont pas autorisés. Dans ces conditions, il va sans dire que ces travaux ne sont pas réalisés dans les règles de l’art. Le risque qu’ils s’effondrent existe et alors, est très élevé. Pourtant, dans son communiqué en date du 03 novembre 2021, le Ministre du Cadre de vie et du Développement durable, a rappelé la nécessité du permis de construire, document dont l’obtention est indispensable avant toute ouverture de chantier en République du Bénin. Ledit communiqué a pourtant été très clair. « Au Bénin, le permis de construire est un document primordial dont il faut disposer avant d’engager des travaux de construction surtout en zone urbaine. Il est rappelé à toute la population béninoise, particulièrement aux habitants des agglomérations urbaines que, conformément aux dispositions de l’article 8 du décret no2020-056 du 05 février 2020, portant réglementation de la délivrance du permis de construire et du permis de démolir en République du Bénin, que toute personne qui désire entreprendre, modifier, régulariser une construction à usage d’habitation ou non, même ne comportant pas de fondations, doit obtenir un permis de construire ». Là encore, « il y en a qui construisent sans permis de construire et font un permis de régularisation après », selon Amos. La parade ainsi trouvée est justifiée par ces adeptes de plusieurs manières. Urgence des travaux, manque de moyens pour les frais de dossier de permis de construire sont entre autres les raisons données. Il en ressort qu’il arrive aussi que les textes et procédures en vigueur soient connus mais délibérément ignorés. D’autre part, bien que certains acceptent d’aller au permis de construire, ils ne rechignent pas devant quelques astuces pour faire quelques économies, en réalité, nuisibles à toute la construction. « C’est malheureux de le dire mais nos ouvriers n’ont pas pris conscience de la nécessité de respecter les documents contractuels qui orientent sur la manière d’exécuter les travaux de construction. C’est là la réalité », laisse entendre avec désolation l’architecte Narcisse Justin SOGLO, ex-président du Conseil national de l’ordre des architectes et urbanistes du Bénin. Il faut, dans ce cas précis, rappeler que le maitre d’ouvrage a suivi la procédure indiquée et a obtenu un permis de construire. Amos, le technicien supérieur en Génie civil explique : « Les entrepreneurs qui exécutent les travaux paient des matériaux de qualité douteuse, parfois même avec l’accord des maitres d’ouvrage, rien que pour faire des économies ». Il se pose dès lors un problème de conformité entre le dossier autorisé par la mairie et l’ouvrage construit. « Il y en a plusieurs qui demandent des permis de construire pour R+1 par exemple et qui construisent finalement un R+2 ou un R+3 », explique Romarick ATOKE, architecte et directeur du cabinet d’architecture Global ArchiConsult. Il continue : « Dans la mesure où les municipalités peinent à surveiller tous les chantiers comme il se doit, leur responsabilité aussi est engagée ». Cet ensemble de facteurs sont de nature à occasionner des effondrements de bâtiments. Dans de rares cas, les dégâts créés sont juste matériels. Quoi que l’effondrement du 28 août 2021 survenu à Ste Rita l’illustre bien, il est aussi la preuve que ce drame peut causer des dommages importants au voisinage, faute de précautions sécuritaires. L’effondrement de Godomey s’inscrit aussi dans cette lignée quand on fait uniquement référence aux gravats qui ont failli blesser des enfants paisiblement endormis dans une maison voisine. Toutefois, tout ce qui précède peut être considéré comme des dommages mineurs, comparé aux pertes en vies humaines comme ce fut le cas pour l’effondrement de Hêvié qui a occasionné la mort de 04 personnes. Les dégâts matériels, les investissements à reprendre, les poursuites judiciaires et les sanctions juridiques pouvant aller jusqu’à la privation de liberté sont autant de corollaires à ne pas ignorer.

Chacun dans son rôle
Malgré toutes les dispositions légales, les autorités ont observé une « recrudescence effrénée des chantiers de construction qui sont ouverts, en violation des dispositions réglementaires, et dans le mépris du besoin d’attractivité des villes », selon les termes du communiqué en date du 03 novembre 2021 du ministre du cadre de vie, Didier José Tonato. Il a invité les collectivités territoriales à veiller à la stricte application des dispositions réglementaires en la matière. Dans cet ordre d’idées, l’architecte Narcisse Justin Soglo martèle que des enquêtes devraient être rigoureusement menées pour situer les responsabilités et punir les coupables. Il suggère aux mairies d’impliquer davantage les chefs quartiers. Selon lui, « ils devraient pouvoir vérifier si les chantiers ouverts dans leurs zones sont autorisés et dénoncer ceux qui ne le sont pas ». Il poursuit « Ce serait participer à donner un visage attrayant à leurs localités ». Il ne manque pas de rappeler que le métier d’architecte est d’utilité publique. Il signifie ainsi que la mission de ce dernier est d’accompagner le projet de construction du maitre d’ouvrage, quelle que soit sa bourse. Il convie la population à toujours collaborer avec les professionnels car dit-il « Dans l’exploitation de l’ouvrage, le travail de l’architecte permet d’optimiser le confort naturel et d’économiser en consommation d’énergie électrique ». Il précise que pour avoir signé contrat avec l’architecte, le maitre d’ouvrage est protégé si un sinistre devrait survenir. Pour sa part, l’architecte Romarick Atoke préconise la sensibilisation, la surveillance et l’application des lois en vigueur par l’Etat.
Fredhy-Armel BOCOVO (Stag)



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