L’architecte Narcisse Justin SOGLO à propos des effondrements au Bénin : « Les dispositions sont prévues par les textes mais ne sont pas appliquées dans les faits. Alors, la faute est à nous tous »

28 avril 2022

Bien que des textes régissent la construction des bâtiments au Bénin, plusieurs cas d’effondrements de bâtiments ont été enregistrés au Bénin surtout ces derniers mois. Plusieurs facteurs concourent à ce que surviennent ces drames. Dans cet entretien, l’architecte Narcisse Justin SOGLO, directeur du cabinet d’architecture TRIUMPHUS et expert agréé près les Cours d’appel et les Tribunaux du Bénin, explique les causes du phénomène, situe les responsabilités et parle de prévention.

Qu’est ce qui peut expliquer les effondrements de bâtiments ?
Il y a plusieurs causes. Le dossier peut ne pas être autorisé. Dans ce cas, la réalisation de l’ouvrage ne se fait pas dans les normes requises et les risques d’effondrement sont très élevés. Dans le cas où le dossier est autorisé, une explication peut être la non-conformité de l’exécution avec les plans et documents dudit dossier, faute de suivi et de contrôle professionnel. L’autre explication peut être un écroulement accidentel de dalle, événement très rare à survenir quand il y a un suivi d’architecte.

Quelles sont les responsabilités engagées ?
Les dommages causés par les effondrements peuvent aller des dégâts matériels aux pertes en vies humaines. En raison de leur gravité, l’attention doit être permanente sur le chantier. Même si l’architecte est couvert par une assurance, une vie humaine perdue ne se compense pas. En sa qualité de chef d’orchestre, l’architecte porte une responsabilité globale quand il est associé à la phase de réalisation de l’ouvrage. Par la suite, les responsabilités secondaires sont déterminées par les enquêtes diligentées quand surviennent ces drames. Même le maitre d’ouvrage et la mairie peuvent être impliqués dans le cas où les textes ne sont pas respectés. S’il peut être reproché au premier de ne pas associer à son projet les compétences adaptées et de ne pas respecter les procédures en vigueur, on peut reprocher à la mairie d’avoir manqué de rigueur dans l’étude des dossiers et dans l’octroi du permis de construire. Sans le certificat de conformité et d’habitabilité (Cch) délivré par la mairie, aujourd’hui, il ne devrait plus être possible de raccorder une maison aux réseaux de la Sbee ou de la Soneb. Le problème est que ladite brigade n’est pas encore opérationnelle à ce jour. Les dispositions sont prévues par les textes mais ne sont pas appliquées dans les faits. Alors, la faute est à nous tous. A commencer par nous les professionnels qui devons maîtriser les textes qui régissent notre secteur. Ils ne sont pas faits pour être rangés dans les tiroirs. Le maitre d’ouvrage doit obtenir le permis de construire, envoyer la lettre d’ouverture de chantier et afficher le panneau de chantier avec tous les renseignements nécessaires sur le projet. Dans la pratique, beaucoup de chantiers ne respectent pas ces exigences. Dans ce sens, la brigade mobile de la mairie ne fait pas bien son travail parce que ces chantiers devraient être arrêtés et des banderoles posées. Aucune autorité ne devrait faire pression pour les lever si tout n’est pas rentré dans l’ordre.
S’il y a effondrement, tous les acteurs de la chaine de construction doivent être frappés par la loi, s’ils sont reconnus coupables.

Qu’est ce qui doit être fait quand survient un effondrement ?
Le citoyen lambda qui assiste au drame doit se mettre à l’abri puis alerter la police et les sapeurs-pompiers. Ensuite, les sapeurs-pompiers viennent secourir les blessés et ceux qui sont retenus dans les décombres. Ensuite, la police vient faire le constat. Mais il revient au ministre de l’intérieur et de la sécurité publique d’ouvrir une enquête après un effondrement. C’est lui l’autorité compétente qui est chargé de la sécurité de la population.

Que faut-il faire pour prévenir les effondrements ?
Le voisin doit connaitre la nature du projet à réaliser. Pour cela, le projet doit être affiché sur le panneau de chantier. C’est une exigence légale. Pour un projet implanté à moins de 3 m et qui n’a pas recouru pour cela à l’autorisation des voisins immédiats appelée accord de mitoyenneté, le voisinage immédiat peut même porter plainte contre la mairie qui a autorisé ce projet. Pour ce qui concerne le maitre d’ouvrage, il doit prendre une assurance et mettre en place des dispositions sécuritaires pour assurer son chantier et protéger les voisins des chutes éventuelles de gravats. Même avec le permis de construire obtenu, il doit déclarer la date de démarrage des travaux à la mairie. Cette dernière doit venir réceptionner l’implantation du bâtiment pour vérifier s’il est conforme aux plans présentés lors de l’obtention du permis de construire. Toujours pour contrôler la conformité des travaux pendant l’exécution, le décret 056 du 05 février 2020 prévoit en ses articles 61 et 62, la mise en place d’une commission-brigade d’inspection par arrêté interministériel. A la fin des travaux, elle devra délivrer un procès-verbal sur la base duquel la mairie doit vous délivrer un certificat de conformité et d’habitabilité (CCH). Pour se faire aider, les mairies pourraient davantage impliquer les chefs quartiers. En leur qualité de chefs de terre, ils devraient pouvoir vérifier si les chantiers ouverts dans leurs zones sont autorisés et dénoncer ceux qui ne le sont pas. Ce serait participer à donner un visage attrayant à leurs localités. A la longue, cela va attirer des investissements favorables au développement de ces zones. Il y a véritablement matière à ce que chacun joue son rôle.
Propos recueillis par Fredhy-Armel BOCOVO (Stag)



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