Mise en œuvre du bail à usage d’habitation au Bénin : Entêtement des propriétaires face à la caution exigée

Bergedor HADJIHOU 18 août 2020

En 2018, le législateur béninois a doté le pays d’une loi sur le bail à usage d’habitation. L’objectif principal visé par le parlement est de mettre fin à certains abus des propriétaires de maison vis-à-vis des locataires. Deux ans après le vote de la loi, la diminution ou le cadrage en ce qui concerne le nombre de mois de caution que doivent percevoir les propriétaires est remis en cause.

Plongé dans son smartphone, Vital GBEHOU, responsable Gestion Vente et Achat à la centrale du Domaine et du Foncier recherche désespérément dans un groupe WhatsApp réservé aux opérations immobilières, une offre pour sa cliente. « Je cherche un propriétaire qui propose trois mois de caution. C’est la prétention de ma cliente », déclare l’agent immobilier. Mais cet après-midi, il s’en sortira bredouille. Les propriétaires ont assorti toutes les offres en ligne ce jour-là d’une caution qui dépasse les trois mois réglementairement requis. En effet, l’article 59 de la loi n° 2018-12 du 02 Juillet 2018 portant régime juridique du bail à usage d’habitation domestique en République du Bénin dispose que « le cautionnement à titre de garantie ne peut excéder une somme correspondant à trois (03) mois de loyer ». Ce qui signifie qu’aucun propriétaire ne peut réclamer au preneur plus de trois mois de caution sur loyer. Mais la réalité sur le terrain est toute autre. Certains bailleurs exigent encore six (06) mois de cautionnement ainsi que d’autres sommes. Ceci peut s’expliquer par le fait que les dispositions des articles 86 et suivants de la même loi sont contraignantes à l’égard du bailleur. En effet, ce dernier, s’il souhaite exercer son droit de reprise des locaux loués, devra donner un préavis de six (06) mois au locataire contre trois (03) mois au moment où le secteur n’était pas réglementé. « Les bailleurs en se référant à ces dispositions, estiment, qu’il faut, pour la sauvegarde de leurs intérêts, obtenir des locataires, six (06) mois de cautionnement pour couvrir les loyers de cette période. Il est courant que le locataire refuse de payer les loyers pendant la période de préavis. C’est donc une situation que le législateur n’a pas pris en compte au moment du vote de cette loi », analyse Elie Adjogou, Juriste spécialiste des questions de l’immobilier.

Trucs et astuces pour contourner la loi
« Si tu veux louer chez moi, je dois te prendre au moins deux prépayés en plus des trois mois de caution ; et ça, c’est après d’âpres négociations », confie Madame Houssou, propriétaire d’une maison sise à Cotonou. Les prépayés constituent des loyers que le locataire est contraint de verser mensuellement à l’avance. Pour les bailleurs, il s’agit de prévenir un défaut de paiement chez le nouveau locataire en lui permettant de se refaire une santé financière quand on sait les énormes dépenses qu’engendre un déménagement. Les locataires ne perçoivent pas les choses ainsi. « Est-ce que la loi a prévu des prépayés. Les démarcheurs ont ce sale langage de dire, si tu peux t’endetter, il faut le faire ; dans tous les cas, tu ne paies plus le loyer pendant trois mois. Quand je vais m’endetter, ce n’est pas moi qui rembourse, ça change quoi. Où est l’avantage ? », s’interroge Elvire Gbénou, dans une cour commune.
En mettant la caution à trois mois, il était question pour le législateur de fixer une fourchette qui tient compte du niveau de vie des populations. Précédemment, les sommes exigées dépendaient du bon vouloir des propriétaires. « Par le vote de cette loi, le législateur a pensé rendre accessibles les logements. Malheureusement, le calvaire des preneurs se poursuit. Certains propriétaires refusent de l’appliquer purement et simplement. D’autres, plus avertis, exploitent les failles de cette loi », fait remarquer Ernest Gbaguidi, président de l’ONG « Bénin Santé et Survie du consommateur ». Au Bénin, la terre est un facteur d’identification du groupe social et de l’individu. En milieu rural, elle est le premier facteur de production. En milieu urbain, l’immobilier est un baromètre de réussite sociale qui procure à son détenteur, une économie morale, une sécurité économique contre les vieux jours. Les propriétaires sont donc hostiles à toute tentative de réguler la jouissance de leurs biens. « C’est comme laisser guider sa vie par un pouvoir public qui dans sa politique, n’offre aucune garantie de sécurité sociale pour la famille et surtout pour les vieux jours », affirme Laurent Adjahouhoué, docteur en socio-anthropologie de développement et spécialiste des questions foncières. Pour ce dernier, ces paramètres peuvent expliquer l’obstination des propriétaires à contourner la nouvelle réglementation. Respirer parce que la loi de 2018 les a soulagés d’un fardeau, celui de payer des avances sur loyer exorbitantes : c’est le vœu des locataires. Quant aux bailleurs, ils aspirent à continuer à jouir de leurs biens comme à l’accoutumée.



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