Inconnu, méconnu ou encore confondu à d’autres professions, le métier d’architecte existe et est pratiqué au Bénin. Sujet à préjugés, le praticien de ce métier est devenu pourtant incontournable aujourd’hui pour quiconque envisage de construire. Dans cet entretien, Narcisse Justin SOGLO, architecte, directeur du cabinet d’architecture TRIUMPHUS, immediat past Président du Conseil National de l’Ordre des Architectes et des Urbanistes du Bénin, présente la vocation d’architecte, sa perception par les Béninois et son utilité pour eux.
Qui appelle-t-on architecte ?
C’est ce professionnel qui a reçu une formation en architecture durant 5 années d’études continues dans une école professionnelle d’architecture reconnue après l’obtention du baccalauréat. Le détenteur du master en architecture est diplômé mais ne porte pas encore le titre d’architecte. Pour le porter, il faut avoir fait deux années de stage après le master et ensuite prêter serment. A ce moment, le professionnel peut se dire architecte et exercer le métier d’architecte. Dans le cadre de la construction d’un ouvrage, l’architecte est appelé maître d’œuvre. S’il souhaite faire des recherches approfondies sur des aspects de l’architecture, il peut alors faire une thèse de doctorat. Il faut quand même dire que les docteurs en architecture ne courent pas les rues.
Dans le processus de construction d’un ouvrage, quel rôle joue l’architecte ?
L’architecte est le concepteur de l’œuvre. C’est lui qui réfléchit avec le client, le propriétaire de l’ouvrage à construire, celui que nous appelons le maître d’ouvrage. Il réfléchit avec lui pour l’établissement du programme de construction dès le départ. Il exprime ses besoins, ses préférences. Par exemple, j’aime ceci, ma femme aime cela, j’ai quatre (04) enfants. Ensemble, ils font la programmation détaillée de ce qu’il faut concevoir. L’architecte va jusqu’à conseiller le maître d’ouvrage dans le choix de sa parcelle s’il n’en avait pas acheté. Il vérifie si le terrain est constructible. Orienté par le type de projet à réaliser, il aide le maître d’ouvrage à identifier l’endroit idéal. Pour faire un commerce, par exemple, il ne convient pas de s’installer dans une zone résidentielle. Le constat fait est que dans la réalité, tout est mélangé. S’il y avait dès le début un plan d’urbanisation correcte, il y aurait un plan de zonage de chaque ville, délimitant pour chaque fonction un espace déterminé. On aurait une zone administrative, une zone industrielle, une zone commerciale, une zone d’habitation, etc. Malheureusement, nous aimons occuper l’espace avant de penser à l’urbanisation. Cela crée d’énormes difficultés aujourd’hui.
Après l’dentification du bon site pour le projet et la programmation détaillée, l’architecte passe à l’opérationnel c’est-à-dire commencer par faire la conception de l’ouvrage qui se fait en plusieurs étapes. La première est l’esquisse. Il organise au crayon les besoins exprimés par le client en occupant au mieux le terrain et en tenant compte de l’ensoleillement ou l’éclairage naturel, de la ventilation naturelle et d’autres paramètres. Il présente cette esquisse au client. Après étude avec le client et les éventuelles modifications, on passe à la phase d’Avant-Projet Sommaire appelée APS. A cette étape, le projet est plus muri et les perspectives sont mises en évidence pour donner une idée imagée de ce à quoi va ressembler le projet, une fois réalisée. Lorsque cette étape est validée par le client, l’architecte passe à l’avant-projet détaillé. A cette étape, il faut faire intervenir tous les ingénieurs. Les études géotechniques se font pour que la résistance du sol qui va accueillir l’ouvrage à construire, soit connue. Alors, les ingénieurs génie-civil peuvent faire les calculs de structure. Ingénieurs en électricité, ingénieurs en climatisation, ingénieurs en VRD (voirie et réseaux divers) et tellement d’autres spécialistes en ingénierie interviennent. Après tout ce travail, le dossier final est constitué pour être introduit à la municipalité de la commune où sera implanté le bâtiment, afin d’obtenir l’autorisation de construire. Cette opération spéciale est appelée permis de construire et est l’aboutissement théorique du travail de l’architecte.
L’architecte intervient -il pendant la réalisation de l’ouvrage ?
Obligatoirement ! C’est ce qui est recommandé. Si l’architecte qui a conçu l’ouvrage n’est pas présent ou représenté sur le chantier, vous imaginez les dérives qu’il peut y avoir. Il devrait même y être jusqu’à la remise des clés. Ceci car le projet ne se fait pas que de l’extérieur. Peinture, vitrerie, carrelage, luminaires… toute la décoration intérieure devrait être confiée à l’architecte. C’est lui qui a rêvé le projet. Avant cette étape, il s’est fait entourer des compétences de plusieurs ingénieurs spécialistes de différents domaines liés à l’ouvrage spécifique à construire. Tous les documents techniques nécessaires à sa réalisation ont ainsi pu être produits. L’architecte ou plus généralement son représentant permanent sur le chantier, doit être présent pour s’assurer que le travail est fait, conformément aux différents plans d’exécution. C’est malheureux de le dire mais nos ouvriers n’ont pas pris conscience de la nécessité de respecter les documents contractuels qui orientent sur la manière d’exécuter les travaux de construction. C’est là la réalité. Les propriétés du sol majoritairement, les portées et autres déterminent toutes les indications de l’ingénieur de calcul des structures. Or, ces paramètres varient d’un terrain à un autre, d’un ouvrage à un autre. Malheureusement, les ouvriers ne prennent pas en compte ces aspects et n’en font qu’à leur guise. Si l’ingénieur de calcul a indiqué par exemple qu’il faut des fers de 12 mm pour la résistance des poteaux, le maçon peut estimer que ces fers sont chers. « Non ! moi, j’ai construit 3 étages pour Aladji à Porto Novo. On n’a même pas mis de fers de 12. Avec seulement des fers de 10 mm, ça va marcher. » Cela sans comprendre pourquoi l’ingénieur l’a indiqué ainsi. Le maître d’ouvrage aussi voulant faire des économies, accepte sans mesurer les dangers. Cela explique aussi les effondrements.
Qui peut recourir au service d’un architecte ?
Tout le monde peut recourir au service d’un architecte. Beaucoup pensent que l’architecte est cher. Pour cette raison, ils ne veulent pas solliciter ses services. Plus tard, ils se rendent compte qu’ils auraient économisé en recourant à lui. Ils oublient que dans l’exploitation de l’ouvrage, le travail de l’architecte permet d’optimiser le confort naturel et d’économiser en consommation d’énergie électrique. En réalité, la profession d’architecte est d’utilité publique comme la profession de médecin. De ce fait et au nom de l’éthique, il a l’obligation d’assister la population quelle que soit sa bourse. Collaborer avec un architecte pour construire, c’est choisir la sécurité et la garantie du respect des normes de construction pour éviter les catastrophes.
Comment sont tarifées les prestations de l’architecte ?
Le décret 83- 388 du 1er Novembre 1983 définit clairement les différentes missions de l’architecte. En fonction des catégories de bâtiment, il y a les seuils. Malheureusement, nous n’appliquons pas ce décret pour des maîtres d’ouvrage privés. Ils ont l’impression que nous sommes chers. Du coup, avec eux, nous travaillons en forfait en tenant compte des relations et de la capacité de la personne. L’argent ne devrait pas constituer un handicap à l’accompagnement que nous devons apporter aux populations. Même si le maître d’ouvrage privé doit prendre en charge, lui-même, certains frais entrant dans la constitution du dossier de permis de construire, nous parvenons à trouver des arrangements.
Où peut-on trouver l’architecte ?
L’ordre nationale des architectes et urbanistes du Bénin (Onaub) a son siège à Agblangandan dans la cité Cen-sad. Le secrétariat permanent et l’administration y sont fonctionnels tous les jours ouvrables. On peut contacter l’architecte en consultant le tableau de l’ordre qui est mis à jour chaque année. Seuls les architectes en règle y figurent et sont autorisés à exercer le métier. Ceux qui exercent la profession sans être sur le tableau de l’ordre sont passibles de lourdes sanctions et même de la prison. Il est possible d’accéder au tableau de l’ordre directement par le site de l’Onaub ou celui du ministère du cadre de vie.
De votre appréciation, les Béninois consultent-ils l’architecte ?
De plus en plus, ils le font. Ils prennent conscience que sans architecte, ils ne peuvent pas obtenir le permis de construire qui est exigé aujourd’hui avant tous travaux de construction. Pour éviter de voir son chantier arrêté pour une durée indéterminée et devoir payer des pénalités, il vaudrait mieux recourir à l’architecte. Il faut quand même le dire, certains clients manquent de sincérité en venant voir l’architecte. Ils viennent avec des esquisses ou des plans faits par des dessinateurs. Ils rusent pour le faire améliorer par l’architecte et disparaissent sans payer ce dernier. C’est la raison pour laquelle l’architecte ouvre un dossier avec une provision de 118.000 FCFA et signe un contrat avec le client dès le début de leur collaboration. Les différentes prestations que l’architecte aura à offrir, ses honoraires même s’il s’agit d’un forfait et l’échelonnage de son paiement sont discutés et convenus dès le départ.
Y a-t-il assez d’architectes au Bénin ?
Pour 12.000.000 de personnes que nous sommes au Bénin, il n’y a que 200 architectes environ. C’est très insignifiant. Le paradoxe est qu’il y en a qui manquent quand même de clients. Simplement parce que beaucoup préfèrent solliciter des gens qui œuvrent dans l’informel avec l’illusion de faire des économies. L’économie se fait avec l’architecte professionnel qui étudie le coût du projet et la meilleure formule pour allier qualité et prix.
Quel appel aimeriez-vous lancer ?
Les populations ne devraient pas avoir de réserve à l’égard des spécialistes que nous, architectes et urbanistes du Bénin, sommes. Nous sommes à leur disposition. Nous avons l’obligation de les assister. Il leur faut s’approcher de nous pour constater que nous ne sommes pas difficiles. Nous sommes disposés à les accompagner dans l’atteinte de leurs objectifs. Cette collaboration offre de la sécurité au maitre d’ouvrage. Pour avoir signé contrat avec l’architecte, il est protégé si un sinistre devrait survenir. L’architecte en prendra l’entière responsabilité en sa qualité de spécialiste.
Propos recueillis par Fredhy-Armel BOCOVO (Stag)
- 28 avril 2022