Pénurie de carburant dans les stations-service : Les pompistes se tournent les pouces, le kpayo règne en maître

Eustache f. AMOULE, FLAT, Isac A. YAÏ 12 mars 2015

La vente de l’essence frelatée a de beaux jours devant elle

Stations services déserte. Des pompistes au repos technique. Telle est la situation à Cotonou depuis plus d’un mois. Et pour cause, l’essence est devenue rare dans les stations. Ainsi, les pompes ne pissent plus régulièrement de ce liquide vital pour les moteurs. Seuls les citoyens chanceux bénéficient de l’essence en ces moments, parfois après avoir passé des heures dans de longues files d’attente. Le supplice des consommateurs des produits de la Sonacop est donc de retour. « Je viens prendre l’essence. Mais ils m’ont dit qu’ils sont en rupture de stock. Or, avant-hier, j’étais là et on m’a imposé une certaine quantité. Comme quoi, le produit est peu et qu’il faut servir tout le monde », explique Soubérou, un client de la Sonacop. Même les stations service privées ne sont pas épargnées par cette crise. Assis, somnolant ou regroupés en de petits groupes et papotant, les pompistes de ces stations-service hument l’air depuis le début de cette crise. Rapprochés pour comprendre les causes de cette crise qui perdure, les responsables des stations-service parcourues se refusent toute explication. A la rigueur, ils vous orientent vers la direction générale de la Sonacop car, selon eux, seuls les responsables de cette structure sont habilités à donner les raisons de cette crise. Mais ils avouent tout de même qu’il n’y a pas pénurie du produit. « Nous venons de terminer le stock que nous avions depuis hier et nous attendons un nouveau stock qui sera disponible dans un instant », a confié un responsable de station-service de la place. Selon lui, l’essence est bel et bien disponible dans les stations au prix de 480 Fcfa. Et pourtant, c’est le calme plat dans les stations-service et de longues files d’attente continuent de s’observer par endroit.

De bonnes affaires pour certains pompistes
Les citoyens s’apitoient sur leur sort. Pour certains, les activités tournent au ralenti pour défaut de carburant dans leurs engins. « Il n’y pas d’essence ! ». C’est ce que vous répondent les pompistes en vous faisant des gestes sans pour autant se lever. Mais en réalité, il y a l’essence pour des personnes ayant des affinités avec des pompistes ou pour ceux qui leur glissent quelques billets lorsqu’ils leur servent le produit qui ‘’n’existe’’ pourtant pas. Alors que Stéphane qui sortait d’une station affirmait ne pas y trouver de l’essence, un autre client rencontré dans la même station quelques minutes après en est sorti le produit de l’essence. Cela veut dire que seuls les pompistes reconnaissent ceux qui peuvent avoir accès à ce produit en ces moments difficiles pour les consommateurs.

La période des bonnes affaires dans le secteur informel
« Je n’ai pas l’habitude de prendre de l’essence frelatée. Mais les choses commencent par s’empirer au fil des jours à la station. J’ai donc fait l’option de l’essence kpayo. Sinon, comment je vais me déplacer pour aller faire mes courses », se plait Tobias Bossounouvo, surpris en train de remplir le réservoir de sa voiture au bord d’une voie pavée. Et comme lui, beaucoup ont fini par adopter l’essence frelatée puisqu’il n’y en a plus à la station. De quoi faire le bonheur des acteurs du secteur informel. De ce côté, le prix a baissé. Cela leur permet de faire de bons chiffres d’affaires avec un nombre croissant de clients. « Le prix de l’essence kpayo a diminu é. Elle est vendue actuellement à 350fcfa. Si vous voulez en acheter en gros, on vous rabaisse encore le prix », confie Spéro Tossou, un vendeur d’essence frelatée. Et à dame Rosaline Houedanou de renchérir, « Il n’y a pas de pénurie chez nous qui ne sommes pas à la pompe. C’est selon le marché que nous fixons le prix de vente. Actuellement, le prix est à la baisse, ce qui fait le bonheur de nos clients. Le manque de l’essence dans les stations-service ne se sent pas dans le pays. Si la pénurie était de notre côté, cela se ferait déjà ressentir partout dans le pays, avec des impacts négatifs sur l’économie nationale ».

Le Kpayo règne en maître

Au moment où les pompistes se tournent les pouces dans les stations-service, le marché de l’essence frelatée communément appelée "Kpayo" tourne à plein régime. Installés le long des rues et des grandes artères, les vendeurs du kpayo ont désormais le monopole du marché. L’Etat, "leur principal concurrent" a démissionné depuis quelques mois avec la non disponibilité de l’essence dans toutes les stations-service. L’Etat avoue donc son impuissance à fournir en permanence du carburant à ses populations, laissant ainsi ce service au secteur informel pourtant combattu depuis des années.
La pénurie d’essence dans les stations-service dresse ainsi un tapis rouge au marché noir qui apparaît comme le sauveur de la population. Installés le long des rues, même sur l’axe présidence-domicile du chef de l’Etat, les vendeurs de l’essence kpayo, entonnoirs en main, servent les conducteurs de véhicules qui sont obligés de faire recours à eux. Ainsi, c’est désormais grâce aux vendeurs d’essence kpayo que des véhicules circulent à Cotonou et dans tout le Bénin. Tout le monde se rue vers ce marché de vente illicite de carburant. Conducteurs de véhicules administratifs, personnels et taximen font la queue à la recherche du précieux liquide. En définitive, le gouvernement a baissé la garde et a cédé "la licence de la vente exclusive" de ce produit au secteur informel. Non seulement le kpayo a marqué son retour, mais aussi il a l’exclusivité et règne désormais en maître sur le marché. L’on revient alors à la case départ car, aux temps forts du changement, le régime en place a mené une traque impitoyable contre les vendeurs de ce produit de contrebande. Les Béninois ont encore en mémoire cette détermination du Président Boni Yayi avec son ministre du commerce de l’époque, Moudjaïdou Soumanou à en finir avec les vendeurs de l’essence kpayo. Car, disaient-ils, ‘’dans aucun pays au monde, l’essence ne se vend en plein air et aux abords des rues ». Aujourd’hui, les Béninois, surtout ceux qui ont perdu des parents dans la lutte contre le kpayo sont en droit de s’interroger : où se vend ce carburant qui permet même aux véhicules administratifs d’accomplir leurs missions républicaines ? Le gouvernement a tout simplement capitulé et n’est plus préoccupé par la vente de l’essence aux abords des rues. Les vendeurs mènent désormais en toute quiétude leurs activités et sont applaudis par les populations qui bénéficient de leurs services à moindre coût. Comme quoi, l’exception béninoise confirme la règle et la vente de l’essence kpayo a encore de beaux jours devant elle.

Impressions de quelques vendeurs d’essence frelatée et usagers de la route
Bada Stanislas, vendeur d’essence frelatée à Abomey-Calavi

Depuis quelques jours, face à la rareté de l’essence
dans les stations services, nos ventes se sont accrues. Cela bénéfique pour nous vendeurs et a un impact négatif sur les clients qui sont habitués à acheter exclusivement l’essence dans les stations.

Danhossou Fortuné, vendeur d’essence à Abomey-Calavi
Quand il n’y a pas d’essence dans les stations-service, cela fait
notre bonheur. Nous en tirons des avantages énormes. L’Etat
devrait plutôt penser à collaborer avec nous que de chercher à
interdire définitivement la vente de l’essence au bord des voies.

Fandohan Kenneth, conducteur de moto
J’ai habitué ma moto à l’essence de la station. Car, l’essence vendue au bord des voies bouche le carburateur. Et quand il n’y a pas d’essence dans les stations, c’est que l’Etat ne joue pas son rôle et ceci au grand malheur des populations.

Maurice Quenum, conducteur de moto
Je suis un client fidèle de la Sonacop. Quand nous nous rendons dans
les stations pour nous approvisionner et qu’on nous dise qu’il n’y a pas d’essence, c’est une situation qu’on
ne peut accepter. C’est incroyable, et l’Etat doit prendre des mesures drastiques afin que ces genres de situation ne se reproduisent plus.

Lucien Alladayè, conducteur de véhicule
« On aurait souhaité que la baisse soit plus considérable »

Je me ravitaille toujours dans les stations et c’est un plaisir de constater la baisse des prix. Mais si le coût de l’essence a baissé de 50% sur le marché international et que chez nous, on bénéficie d’un rabais de 75f, ce n’est vraiment pas la peine. Certaines personnes, à cause des moyens financiers, sont obligées d’aller vers les vendeurs d’essence kpayo. On aurait donc souhaité que la baisse soit plus considérable. Ce n’est pas pour faire de la mauvaise publicité aux vendeurs d’essence frelatée, mais la seule fois que j’ai fait l’expérience de leur produit, j’ai regretté, car cela m’a créé assez d’ennuis.

Sovi Simon, Conducteur de taxi moto
Avant, j’allais dans les stations, mais maintenant, je n’ose plus. Certes, là-bas, l’essence est de bonne qualité comparativement à celle frelatée. Mais, on constate que ça finit plus vite que l’essence frelatée. Parfois, je me demande si c’est de l’essence que j’achète ou de l’air. Au moment où je gagne 1000f avec l’essence frelatée, c’est à peine que j’arrive à gagner 600f avec l’essence des stations. Lorsqu’ils enlèvent leur tuyau du réservoir, nous n’avons aucun pouvoir de leur dire que cela n’atteint pas la quantité demandée. Concernant la quantité, on a l’impression que les stations nous volent. De plus, quel que soit leur prix, l’essence frelatée est toujours moins chère. Si quelqu’un voit que la station est bonne pour lui, qu’il aille là-bas et nous qui voyons que l’essence frelatée est mieux, on en prendra toujours. La vie est un choix. Souvent, quand ils diminuent leurs prix, c’est pour un moment et lorsqu’ils constatent que les stations enregistrent assez de clients, ils augmentent encore les prix. C’est comme un piège.

Hornoré Sewa, Agent commercial dans une station
« L’essence des stations est toujours plus chère mais de qualité »

La baisse du prix de l’essence encourage les clients à venir massivement vers les stations-service. L’engouement des clients a même créé chez nous la pénurie. Quand bien même le produit vient, déjà en 48 heures, nous vendons tout. La preuve, on a reçu 1000 litres d’essence et en 12 heures de temps, on a tout livré. Que le prix soit élevé ou pas, les clients habitués savent qu’il y a une grande différence entre le frelaté et ce que nous vendons. L’essence des stations est toujours plus chère, mais de très bonne qualité. La rumeur selon laquelle notre essence ne dure pas dans les réservoirs est fausse. C’est tout le contraire, les gens trouvent juste des alibis pour encourager l’essence frelatée et nous détruire. Nos produits protègent le moteur et durent dans les réservoirs.

Patrick Akpo, employé dans une station
« Cette baisse arrange les clients, mais pas trop les distributeurs »

L’essence était à 540 FCfa dans les stations. Actuellement, le prix a baissé jusqu’à 465f. Cette diminution réjouit les clients et ils viennent de plus en plus nombreux, bien que nos concurrents de l’essence frelatée aient aussi décidé de baisser le prix jusqu’à 375F Cfa. La différence n’est pas trop ; donc, les clients conscients de la qualité supérieure de l’essence des stations viennent acheter chez nous. Les moteurs ne supportent pas trop l’essence frelatée et tout le monde le sait. Néanmoins, lorsque notre prix dépasse 500f, les clients se font rares. La baisse de prix arrange les clients, mais pas trop les distributeurs que nous sommes. Nous payons l’essence chère et ce que l’Etat diminue dans l’impôt n’est pas suffisant pour combler nos pertes. Le coût de l’essence dans les stations ne dépend pas seulement des fiscalités, mais aussi de notre prix d’achat.
réalisation : Isac A. YAÏ, Eustache AMOULE, Félicienne HOUESSOU, Sandric DJIKPE & Dios TCHATCHA



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