Discours de Talon à l’occasion de la transmission du rapport des experts

Landry Salanon 28 octobre 2019

J’ai noté et entendu dans les propos du coordonnateur du comité, un ou deux mots relatifs à la constitution. Pour être plus précis, si j’ai bien compris, peut-être à une retouche éventuelle de certaines dispositions de la constitution. Vous savez monsieur le coordonnateur, messieurs les membres du comité, que j’ai désormais une aversion pour cette question. Et je l’ai dit ouvertement à plusieurs occasions que je ne souhaitais plus durant mon mandat, en tout cas pour le reste du mandat, revenir sur cette question qui soulève beaucoup d’incompréhensions et de polémiques même si parfois le bien-fondé n’est pas à démontrer.
C’est vrai que comme il faut le comprendre, sauf à trouver le contour juridique permettant la chose, les élections générales qui induisent l’alignement des mandats, appellent à revoir la durée du mandat des députés. Ce qui est d’ordre constitutionnel. Il en est ainsi d’une disposition éventuelle permettant une meilleure représentation du peuple par les femmes, c’est-à-dire introduire une discrimination au profit des femmes qui pourrait être contraire aux prescriptions de la constitution, donc le faire nécessiterait une certaine retouche de la constitution.
J’avais secrètement espéré que la mise en œuvre de ces recommandations puisse trouver une habileté juridique qui, peut-être, nous éviterait une retouche. Je sais très bien que même si le droit peut être parfois habilement utilisé, trouver le miracle de le contourner ou de le formuler de manière à atteindre les objectifs dans toutes les circonstances, peut être difficile. Mais je voudrais vous exprimer mes inquiétudes, ma réflexion quant à ce processus de révision.
J’aurai beaucoup de difficultés à accompagner une telle démarche et m’impliquer même dans sa mise en œuvre par sa promulgation, si des modifications devraient être effectivement faites, si nous ne trouvons pas les moyens de formuler ces modifications, aussi minimes soient-elles, si nous ne trouvons pas les moyens d’évacuer les craintes des uns et des autres, si nous ne trouvons pas les moyens de rassurer les uns et les autres quant à toute possibilité aujourd’hui et à venir, de manipulation de ces modifications, pour violer un pilier fondamental de notre constitution qui est la limitation du nombre de mandat présidentiel.
Vous savez qu’un acquis important auquel nous sommes attachés unanimement dans le pays, c’est que nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels au Bénin, quelles que soient les circonstances. Nous savons malheureusement que c’est devenu un peu la mode qu’à l’occasion ou bien chaque fois qu’une constitution est touchée, même simplement techniquement, pour régler un problème du moment, cette modification est évoquée comme un changement de constitution ; présentée comme un changement de constitution, comme l’instauration d’une nouvelle république, pour remettre les compteurs à zéro afin que le président en exercice pendant le mandat durant lequel la modification est effectuée ou les mandants passés avant cette modification soient considérés comme zéro, que la limite des deux mandats commence à être décomptée après la modification. C’est-à-dire ce que nous appelons nouvelle constitution. Et ça, ça conditionne nos concitoyens de sorte que personne ne veut toucher la constitution pour éviter ce risque-là. Moi-même j’y tiens. Je suis également conditionné par ce risque, par cette interprétation. Je n’ai pas de doute sur mes pulsions personnelles éventuelles, sur ce que mon esprit est capable de faire ou de devenir, je n’ai pas de doute là-dessus.
Mais nous avons l’obligation de disposer pour aujourd’hui et pour demain. Nous avons l’obligation de prévenir toute pulsion qui pourrait venir de l’un quelconque d’entre nous demain. Peut-être même la personne qui l’utiliserait, même si elle n’est pas encore connue aujourd’hui, serait tentée d’utiliser de telles modifications pour des intérêts personnels. Je n’ai pas tous les contours juridiques de la question, je l’exprime comme un citoyen ordinaire, comme un profane, je le suis en la matière.
Je voudrais donc que les uns et les autres aient cela comme boussole afin que si on doit formuler une quelconque modification, pour servir la cause qu’on vient d’évoquer, il faille impérativement trouver une formulation qui rassure tout le monde et qui empêcherait, dans tous les cas, en toute circonstance, une quelconque interprétation de ces modifications pour remettre en cause ce pilier fondamental de notre constitution qui est la limitation des mandats du président de la République.
Si on ne parvient pas à le faire, mon lobbying ne servira pas cette cause, et je ne promulguerai jamais une modification constitutionnelle qui pourrait demain nous créer des histoires.



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