Politologue, Assistant de recherche au Civic Academy for Africa’s Future (CiAAF), Emmanuel Odilon KOUKOUBOU opine sur les coups d’Etat répétés qui secouent la région ouest-africaine. Rigoureux dans l’analyse, le chercheur évoque les raisons de cette nouvelle donne et rappelle que la bonne gouvernance et le respect des principes démocratiques par les dirigeants élus préservent les Etats de ces perturbations. Notre invité qui achève ses recherches doctorales sur les politiques de sécurité dans l’espace G5 Sahel en appelle donc à une réinvention de la CEDEAO qui, au fil du temps, est tombée de son piédestal.
Comment appréciez-vous cet énième coup d’État survenu ces derniers jours au Burkina-Faso ?
C’était un coup d’Etat prévisible. Du moins, le pouvoir de Rock Marc Christian KABORE battait de l’aile. On sentait la fin venir. Fin novembre déjà, des manifestations populaires dénonçaient la mauvaise gouvernance sécuritaire et appelaient au départ du président KABORE. Cela rappelle bien les manifestations qui avaient précédé le coup d’Etat de Bamako ; même si ce n’était pas dans les mêmes proportions. Outre cela, nous avons observé que le gouvernement du président KABORE semblait en panne d’inspiration pour faire face aux groupes terroristes. Il a changé de chef d’Etat-major, de ministre de l’Intérieur, de ministre de la Défense et même de Premier ministre et de gouvernement. En clair, il ne restait que lui à changer pour matérialiser l’échec définitif de sa gouvernance sécuritaire. D’autant que les changements d’individus n’ont pas contribué à améliorer la situation, même s’il fallait leur laisser un peu de temps d’action. Des attaques de plus en plus meurtrières s’enchaînaient. Celle d’Inata ayant tué une cinquantaine de soldats a choqué les Burkinabè, surtout lorsqu’ils ont appris que ces soldats avaient alerté leur état-major deux semaines plus tôt sur le fait qu’ils manquaient de nourriture et se nourrissaient de braconnage. Le pire, c’est que pour une politique sécuritaire dont ils ne voient pas les résultats, les Burkinabè se sont vus privés de connexion internet dans un premier temps et de leurs comptes Facebook dans un second temps.
Dans l’ensemble, on peut donc dire que le pouvoir KABORE avait réussi à se mettre au moins une partie de l’opinion publique à dos. Au même moment, une partie de l’armée lui était devenue réfractaire. Cela a sonné le glas de son pouvoir.
Les raisons avancées par la junte pour justifier son acte vous semblent-elles pertinentes ?
Le démocrate que je suis ne trouve la pertinence d’un coup d’Etat que lorsqu’il vient rétablir le processus démocratique ou mettre fin au pouvoir d’un tyran. Comme ce fut le cas au Niger en 2010 où les militaires sont venus arrêter Mamadou Tandja dans son entreprise de destruction des acquis démocratiques pour s’offrir une prolongation à la tête du pays. Outre cela, je ne suis pas convaincu qu’il y ait de raisons pertinentes pour justifier une prise de pouvoir par les armes.
Peut-on estimer, puisque les militaires sont maintenant au pouvoir, que les Burkinabè sont en de bonnes mains sur le plan sécuritaire ?
Certains ont la ferme conviction que les militaires sont un gage de bonne gouvernance sécuritaire. C’est une grave illusion. Tout nouveau pouvoir affiche les meilleures intentions possibles. A l’épreuve de la réalité du pouvoir, il révèle ses propres limites. Je ne peux donc pas vous répondre, de façon péremptoire, que les Burkinabè sont en de bonnes mains. Je leur souhaite juste le meilleur.
Non loin de Ouaga, au Mali, la junte au pouvoir continue de nourrir la polémique. Avez-vous le sentiment que Assimi GOITA fait les bons choix pour son pays ?
L’essentiel, c’est que les Maliens – en tout cas, la majorité d’entre eux – puissent penser qu’il fait les bons choix pour eux. Pour ma part, je reste un peu partagé. Les polémiques observées ces derniers temps ont rapport à la coopération avec la Russie, au refoulement d’un contingent danois et au délai de la transition. D’une part, je pense que l’Etat malien est souverain, qu’il a le droit de choisir ses propres partenaires internationaux et d’être informé quand un partenaire veut débarquer des Forces sur son territoire. Pour ce qui concerne le délai de la transition, je pense que l’attitude du président de transition ne rassure pas sur sa volonté de favoriser une alternance.
Quid de la Guinée où tout stagne. Doumbouya peut-il bénéficier de l’état de grâce pour longtemps encore ?
Cela reste une grande question. Lui, il est même difficile de connaître précisément sa stratégie. Aucun calendrier n’est présenté pour la transition. C’est la grosse incertitude. Sera-t-il pressé de rendre le pouvoir comme Sékouba Konaté ? Va-t-il virer dans une gouvernance extravagante comme Moussa Dadis Camara ? Ou s’éternisera-til au pouvoir comme Lansana Conté ? Pour l’instant, son action ne nous donne aucune réponse.
Peut-on estimer, au vu de ces événements, que la démocratie est en péril en Afrique de l’ouest ?
La question que je me pose de plus en plus est de savoir si la démocratie n’avait jamais vraiment existé chez nous. De toutes les façons, putsch et démocratie me paraissent assez antinomiques. Et la résurgence des coups d’Etat nous enseigne que soit nous n’avions qu’une illusion de démocratie, soit ce que nous expérimentons comme démocratie a encore besoin d’être consolidée. En tous les cas, il s’observe un réel recul démocratique en Afrique de l’Ouest. Pas seulement à cause des coups d’Etat, mais aussi à cause de la résurgence des troisièmes mandats, de la remise en cause des libertés publiques…
Comment entrevoyez-vous l’avenir de la sous-région avec ces événements militaropolitiques qui perturbent la vie des États ?
Dans l’ensemble des cas, l’on observe l’expression du mécontentement d’au moins une partie importante de la population à l’égard de la gouvernance du président en place. En bons opportunistes, les militaires ont profité de la chute de popularité de leurs victimes pour les évincer. Les putschistes instrumentalisent ainsi les masses à leur propre profit. Ce que j’observe, c’est que les expériences des uns inspirent les autres. Il y a donc des raisons de craindre que le Burkina Faso ne soit pas le dernier de la liste. Audelà d’être démocratiquement élus, les chefs d’Etat doivent travailler à ne pas perdre le lien avec leurs peuples. Bien sûr qu’il ne s’agit pas de faire l’unanimité ; mais une gouvernance décriée et rejetée est un terreau fertile à la survenance de putsch.
Décriée pour sa gestion des crises politiques, la Cedeao a-t-elle les moyens de se remettre en selle ?
Elle se doit d’en trouver les moyens en tout cas. La Cedeao est autant décriée justement parce qu’on n’a pas mieux qu’elle dans la sous-région. D’ailleurs, elle a fait ses preuves dans la gestion des crises politiques par le passé. Ces récentes décisions ne doivent pas nous amener à la renier. Que ce soit en Guinée en 2008, au Niger en 2010, au Burkina en 2015 etc., la CEDEAO a fait preuve d’efficacité en gérant convenablement les crises. Ce qu’il me semble qu’elle doit désormais faire, c’est d’être attentive aux attentes populaires, d’étendre sa rigueur aux autres formes antidémocratiques de prise de pouvoir ou de maintien au pouvoir, de revoir ses instruments pour être davantage à même de répondre efficacement aux menaces. Elle devra se réinventer pour ne pas donner l’impression qu’il existerait une Cedeao des chefs d’Etat en conflit avec une Cedeao des peuples. J’espère qu’elle saura renaître de ses cendres.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU