Entretien avec le Prof André Corneille ZANNOU sur la présidentielle au Nigéria : « L’élection de Tinubu est une grosse opportunité pour le Bénin »

15 mars 2023

Enseignant-chercheur à la Faculté de droit et de sciences politiques de l’Université d’Abomey-Calavi, précisément au département de sciences politiques, André Corneille ZANNOU a étudié les relations internationales en s’intéressant au prime abord à l’Asie. Raison pour laquelle sa thèse de doctorat porte sur le problème de réunification des deux Corée. Il enseigne par conséquent les relations internationales, les institutions internationales, la géopolitique et la stratégie, l’histoire des relations internationales et les faits politiques en Anglais. Titulaire d’un Master en stratégie et administration sécuritaire de l’Académie de défense du Nigéria à Kaduna, il suit de près l’actualité de ce géant d’Afrique qu’il décrypte en qualité de sachant. Avec la présidentielle qui s’est achevée il y a peu et qui a consacré l’élection de Ahmed Tinubu, le politologue donne sa lecture de cet événement qu’il considère comme une grosse opportunité pour le Bénin qui, jusqu’ici, n’a toujours pas réussi à capter des dividendes de sa proximité avec le Nigéria.

La présidentielle vient de s’achever au Nigéria. Globalement, que peut-on retenir de ce scrutin ?
Avec l’insécurité et l’inflation galopantes, ce pari était loin d’être gagné. Mais le Nigéria a pu franchir ce cap en organisant des élections. Le camp présidentiel a présenté un candidat qui l’a emporté. L’opposition crie à la fraude. Mais ce scrutin est un acquis pour ce grand pays, voisin au nôtre. Je trouve que c’est un grand progrès pour ce pays de désigner son premier responsable par voie démocratique.

Y a-t-il des règles particulières pour l’élection du chef de l’Etat au Nigéria ?
Le chef de l’Etat fédéral est élu au suffrage universel direct. Sur les 36 Etats, pour être déclaré élu, le candidat doit avoir une majorité dans 24 Etats. Celui qui est déclaré élu, est arrivé en tête dans 16 Etats et a obtenu au moins 25% des suffrages dans 24 Etats fédérés sur les 36. Il y avait quatre principaux candidats et chacun d’eux a sa zone d’influence. Le candidat élu, Ahmed Tinubu, faisant partie d’une grande coalition, c’est logique qu’il l’ait emporté.

Qu’est-ce qui pourrait expliquer à votre avis la faible affluence dans les bureaux de vote notamment à Lagos ?
Cela peut s’expliquer par la question de l’insécurité. Comme c’est la capitale économique, beaucoup n’ont peut-être pas pris conscience de l’enjeu et n’ont pas cherché à se faire enregistrer. On peut aussi lier cela aux difficultés économiques que rencontrent les populations qui ont vu les billets changer à quelques jours du scrutin. Cette situation a fait que beaucoup se sont retrouvés dans une situation de précarité.

Le parti au pouvoir (APC) a réussi à se maintenir à la tête du pays. Peut-on conclure que la gestion de Buhari n’était pas si décriée que ça ?
Muhammadu Buhari a pris la tête de l’Etat fédéral dans des conditions très difficiles, après la gouvernance de Goodluck Jonathan qui avait conduit le pays dans une situation d’insécurité totale où Boko Haram était quasiment aux portes de Lagos. Quand bien même le Naira avait une valeur confortable, cela ne se ressentait pas sur le marché. La corruption était à son paroxysme. Face à une telle situation, il y avait un groupe de politiciens influents parmi lesquels le président nouvellement élu qui avait jugé bon, compte tenu de la rigueur dont avait fait preuve le président Buhari dans le passé, quand il dirigeait le régime militaire, de lui faire appel, pour relever les défis auxquels le Nigéria était confronté. Buhari s’est investi pour stopper l’avancée de Boko Haram et amélioré la situation sécuritaire du pays. Pour ce faire, il a procédé à des recrutements massifs, a doté l’armée de matériels et d’équipements pour combattre ces fléaux. Au cours de sa présidence, Buhari s’est aussi donné pour mission de doter le pays de grandes infrastructures, surtout au niveau des routes, des chemins de fer, des ports et aéroports. Il faut dire que c’est depuis GOWON, après la guerre civile dans les années 1970, que le pays s’était doté de ces grandes infrastructures. Avec le temps, elles se sont dégradées et Buhari a lié un peu la question de l’insécurité au développement du pays. Il a senti la nécessité d’ériger des infrastructures, parce qu’il pensait que dès que les gens auront des routes et rails en bon état, ils pourront se déplacer plus facilement avec leurs biens et faire différentes transactions, cela allait diminuer le taux d’insécurité et de criminalité. Il s’est vraiment endetté pour le faire. Avec ces investissements, le Nigéria a changé de visage. Tout récemment, le Nigeria a eu la chance d’inaugurer après le port de Tanger au Maroc, un des plus grands ports en eaux profondes en Afrique. Cela est à l’actif de Buhari. Pour ce que je sais, sous son régime, trois ports en eaux profondes ont été construits. Et je ne parle pas des ports secs. Celui de Kano par exemple va desservir les pays de l’Hinterland comme le Niger, le Cameroun, le Tchad et même la Centrafrique.
C’est vrai que Buhari n’a pas pu éliminer la menace terroriste et sécuritaire, mais il l’a quand même sensiblement réduite. C’est sur cette lancée que le nouvel élu va adosser sa politique économique pour faire sortir le Nigéria de ses difficultés actuelles.

Pour revenir à la présidentielle, en attendant de parler du nouvel élu, peut-on estimer que les autres prétendants les plus en vue n’ont pas été convaincants au cours de la campagne électorale ?
Il faut dire que Peter Obi était du PDP (People’s Democratic Party), le parti d’opposition. Du coup, il s’est séparé de ce parti pour créer son mouvement et vous savez APC (All Progressives Congress) et PDP sont de grands partis qui ont une assise nationale. En mettant en place son mouvement, Obi avait le soutien des jeunes, mais son creuset n’était pas solidement implanté comme les deux autres. Avec les réseaux sociaux et les moyens de communication, les jeunes ont porté Obi. Il en est de même des Nigérians de l’extérieur. Mais il faut se poser la question de savoir s’ils se sont fait enregistrer en masse. Ceux qui sont à l’extérieur n’ont pas voté.
L’autre chose, il est de l’ethnie Ibo et ce qui pose problème, c’est qu’ils ont été à la base du déclenchement de la guerre civile. Cela a créé une méfiance vis-à-vis des autres ethnies, notamment celles du Nord, qui n’ont pas encore digéré cette volonté des Ibo de créer leur Etat à part. Ce qui avait motivé les Ibo dans le temps, c’est parce qu’ils avaient le pétrole qui était la richesse principale du Nigéria. Ils estimaient que les autres en profitaient et qu’il fallait mettre fin à cette exploitation. Le Nord était visé par cette guerre, mais à la fin, il n’y a pas vraiment eu une véritable réconciliation entre les deux groupes ethniques. D’un autre côté, les Ibo estiment avoir été trahis au cours de la guerre de sécession par les Yoruba qui devaient les accompagner. Les Yoruba ont préféré s’associer aux gens du Nord. Cela s’explique par le fait que ces deux groupes ont un lien commun qui est la religion musulmane. Donc, la connexion est facile entre eux. Les Ibo ne sont pas encore acceptés par les gens du Nord et les Yoruba dans une certaine mesure, quand bien même ils sont très présents dans l’économie. Vous constatez qu’à Lagos, c’est Obi qui est venu en tête, car c’est la capitale économique et ils sont très présents.
Atiku par contre qui est resté au PDP a été vice-président sous Obasandjo. Ensuite, il s’est présenté à deux reprises contre Buhari et il a échoué. Cette fois encore, il a échoué. Mais il faut aussi considérer le fait que le Nord est dominé par APC, le parti de Tinubu et quand bien même Atiku est du Nord, la plupart des gouverneurs de APC ont apporté leur soutien à Tinubu. Atiku coincé n’avait pas beaucoup de marges de manœuvres pour émerger. La crise de leadership au sein du PDP et les défections de ses membres influents au profit du APC, le parti au pouvoir explique également la mauvaise performance de Atiku.

Quid de la fraude dénoncée par l’opposition ?
Les Nigérians sont à un niveau avancé dans leur système électoral. Normalement, après le vote, le comptage des voix devait être électronique. Mais compte tenu des problèmes techniques rencontrés, il a été décidé d’aller au comptage manuel des voix. Cela a suscité de la méfiance dans les rangs des opposants. En Afrique et partout dans le monde, les candidats n’acceptent pas aussi facilement leur échec. Ce qui renforce la suspicion des opposants, c’est que c’est le candidat du parti au pouvoir qui a remporté l’élection. On ne peut pas écarter les allégations de fraudes, mais dans la réalité, le candidat de APC état parti pour gagner.

A propos du vainqueur de cette élection, s’il vous était donné de le présenter, que diriez-vous ?
Il est Yoruba et a été déjà deux fois gouverneur de Lagos. Il s’agit de l’Etat le plus développé. Par le passé, Lagos était la capitale et c’est la plaque tournante du pays du point de vue de l’économie. Comparativement aux autres Etats du Nigéria, Lagos est la capitale économiquement la plus puissante. C’est un Etat très riche. Avec Tinubu, l’Etat de Lagos a connu un développement à tous les niveaux. Beaucoup pensent qu’il peut obtenir les mêmes résultats au niveau fédéral. Malgré son âge, cet argument a motivé les électeurs à voter pour lui. L’autre atout dont il jouit, c’est que c’est lui qui a créé une coalition autour du président Buhari à travers APC pour l’amener au pouvoir. Avec son avènement au pouvoir, il est en train de créer une rupture entre la classe dirigeante de l’après-guerre et celle qui prendra le relai à partir de lui. La classe politique qu’il est entrain de créer n’est pas militaire, lui-même étant un civil. Jusque-là, depuis la fin de la guerre, personne ne pouvait être président sans l’aval des militaires reconvertis à la vie civile à savoir Gowon, Buhari, Babaginda, Obasandjo. Ils influençaient l’issue du scrutin parce qu’ils ne souhaitaient pas voir émerger un candidat qui viendra hypothéquer les accords nés sur les cendres de la guerre. A un moment donné, Babaginda qui a été aussi un des acteurs de la guerre civile, a renversé Buhari dans le passé pour prendre le pouvoir. Il a créé une sorte de consensus au niveau de la classe politique sur un certain nombre de points. Le premier, c’est que l’unité du Nigéria n’est pas négociable. Il n’est donc pas question de se livrer aux velléités séparatistes. Le deuxième, c’est que le Nigéria adhère aux principes de la démocratie. Un gouvernement ne viendra pas mettre cela en cause. Le dernier, c’est le principe du libéralisme économique, donc la libre circulation des personnes et des biens. Voilà les trois principes sur lesquels les acteurs militaires et civils ont marqué leur accord pour gouverner le Nigéria. A un moment donné, Abacha s’étant hissé au pouvoir, a cherché à remettre en cause cet accord, mais il en a payé le prix. Depuis lors, ses successeurs se sont montrés garants de perpétuer cette tradition. Le processus a continué sur ces trois principes.

Quels sont les défis pressants que devra relever le nouvel élu ?
Le premier défi, c’est le défi sécuritaire. Buhari a vraiment combattu et affaibli Boko Haram, mais le grand banditisme, le kidnapping ont toujours droit de cité. Ces défis sécuritaires peuvent être compris comme des maladies de croissance. Il faut que la nouvelle administration maintienne et renforce la politique menée par Buhari sur le plan sécuritaire afin de permettre la libre circulation des personnes et des biens. Avec l’insécurité, beaucoup ont fui le Nord pour se réfugier dans les périphéries de Lagos. L’autre pan, c’est la question récurrente du conflit entre les éleveurs et les agriculteurs et cela fait aussi partie de l’insécurité. Il faut également ajouter que la question du séparatisme au niveau des Yoruba a pris naissance avec le différend qu’ils avaient avec les éleveurs. Buhari étant Peulh, beaucoup pensaient que c’est lui qui encourageait cela.
L’autre défi, c’est la question économique. Il faut espérer que les investissements dans les infrastructures soient plus visibles surtout dans la production et la distribution de l’énergie électrique. Un grand pays qui a tant de problèmes d’électrification, cela gêne. On ne peut pas non plus imaginer, qu’étant producteur de pétrole, le Nigéria en arrive à en manquer. Sous Buhari, sur les neuf raffineries dont dispose le pays, trois sont fonctionnelles. Avec la raffinerie de Dangote à Lagos, cela va booster la consommation locale et même celle destinée à l’exportation. Deux autres raffineries en construction à Kaduna vont relancer la production énergétique. Ce qui est intéressant, avant que ces raffineries ne soient fonctionnelles, le Nigéria a repris sa place de premier producteur de pétrole.
Il y a également le défi de la cohésion sociale à relever. En tant que Yoruba, Tinubu est venu à point nommé pour faire taire les revendications sécessionnistes des Yoruba qui veulent créer une nation Oduduwa. Il doit travailler à renforcer la cohésion sociale.

Son âge un peu avancé ne sera-t-il pas un handicap pour lui ?
A 70 ans, il peut encore tenir la route. De toutes les façons, il ne manquera pas de faire des check-up réguliers. Vous savez, il y a une véritable organisation au Nigéria que beaucoup ignorent. Il suffit qu’il mette en place une bonne équipe pour éclairer la prise de décision. Il va former un gouvernement d’union nationale, mais il faut aussi savoir que les Yoruba comptent parmi les grands intellectuels du Nigéria. A côté de cela, il y a un élément très important à souligner. En dehors des institutions telles que l’Assemblée nationale, le Sénat et autres, la présidence du Nigéria repose sur d’autres institutions. En matière de politique étrangère, le président de la République reçoit des conseils et directives de l’Institut nigérian des relations internationales basé à Lagos. Souvent, avant de prendre des décisions dans ce domaine, il doit avoir le visa des membres de cet institut. C’est souvent parmi les cadres de cet institut qu’émanent les ambassadeurs et même les ministres des affaires étrangères. En ce qui concerne les politiques de défense et de sécurité, il y a l’école de guerre basée à Abuja qui conseille et oriente le chef de l’Etat. Il y a également l’institut des politiques publiques basé à Joos qui conseille le président. A la tête de ces instituts, ce sont des cadres rompus à la tâche et à l’abri du besoin qui sont désignés de sorte qu’ils sont objectifs dans leurs diverses orientations. Vu de loin, on a l’impression que c’est un pays de désordre, mais c’est un pays très organisé.
Ce qui est encore plus intéressant, c’est que tous ces instituts ont des centres de recherche et de développement. L’Assemblée nationale du Nigéria a un institut et tous les cadres qui doivent y servir sont formés. Chose encore plus intéressante, presque toutes les branches de l’armée ont une université rattachée chacune à des polytechniques pour fabriquer des drones, monter des armes, des hélicoptères...
Faut-il le souligner, selon la Constitution du Nigéria, le président gère les affaires politiques, étrangères et sécuritaires. Le vice-président quant à lui est compétent dans la gestion des affaires économiques.

Quid du Bénin avec le renouvellement à la tête du Nigéria ?
Une élection présidentielle met en jeu la question de la reconnaissance. Le fait que le Bénin adresse un message de félicitations au nouvel élu ou participe à la prestation de serment est une reconnaissance de facto du nouveau gouvernement. Par le passé, la fermeture des frontières décidée par Buhari a suscité des émotions dans notre pays. Fermer la frontière du Nigéria, c’est dans l’intérêt de ce pays. La question de l’insécurité, il faut aller au Nigéria pour vivre cette triste réalité. A un moment donné, les gens ne pouvaient plus circuler. Buhari ayant fait la guerre, ceux qui ont ce profil et qui ont dirigé ce pays ont ce réflexe de l’intégrité territoriale de leur pays. La fermeture des frontières peut répondre à une logique de tester des hypothèses de sécurité. Ce que nous ne pouvons pas comprendre. Après la guerre civile, le Bénin tout comme le Cameroun et la Guinée équatoriale font partie de l’architecture sécuritaire du Nigéria. Durant la guerre civile, le Bénin a servi de transit pour ravitailler les rebelles Ibo. Les stratèges nigérians considèrent que la sécurité de leur pays commence par le Bénin tout comme les autres pays limitrophes. Pour tester cette hypothèse, malgré la fermeture des frontières, quand Buhari a déchargé ses chefs d’état-major, il les a envoyés en mission dans les pays voisins. Par exemple, au Bénin, c’était le chef d’état-major de l’armée nigériane qui a été nommé ambassadeur. Ce n’était pas nécessairement pour des relations diplomatiques. C’était pour voir dans quelles mesures le Bénin était important dans l’architecture sécuritaire du Nigéria. Quand les frontières étaient fermées, l’Etat de Lagos a voulu prendre la production de riz comme un business. Cet Etat finance les autres Etats agricoles du Nigéria pour produire le riz. La preuve, c’est qu’ils ont pu installer dans trois Etats, trois usines de traitement de riz pour la consommation locale et l’exportation. Selon ce qui m’est revenu, la qualité du riz laissait à désirer et c’est ça qui justifie le fait qu’ils viennent encore s’approvisionner au Bénin. Ils ont le mérite d’avoir posé un pas dans la politique de sécurité alimentaire. S’ils parviennent à corriger les défaillances et obtenir du riz de bonne qualité, l’Etat de Lagos sera reconnu comme un grand producteur de riz. C’est un peu comme si Porto-Novo s’engageait à financer certaines communes du Centre et du Nord du Bénin pour lui produire de l’igname. C’est une stratégie que nous pouvons imiter chez nous. Les acteurs de Lagos étant en coalition avec le gouvernement fédéral ont pu s’imposer pour la fermeture des frontières. C’est vrai qu’il y a aussi d’autres considérations que j’ignore, mais il faut voir la fermeture des frontières survenue entre temps à travers ces paramètres.

Que dites-vous alors du principe de libre circulation des personnes et des biens au sein de la Cedeao ?
Il y a des intérêts nationaux qui relèvent de la défense de la patrie. Face à une menace sécuritaire, l’Etat n’a pas à surseoir à sa souveraineté au profit d’un autre. Il faut que le pays survive pour avoir des relations avec les autres. Si on laisse l’insécurité gangrener le pays, c’est qu’on va vers la faillite de l’Etat. La sécurité, c’est l’élément de base pour la survie de l’Etat. Le problème du Nigéria, c’est qu’il se situe entre deux entités. Il a un côté en Afrique de l’Ouest et un autre orienté vers l’Afrique centrale.

Que peut gagner le Bénin avec Tinubu ?
Etant un pays voisin, le Bénin constitue la porte d’entrée et de sortie du Nigéria vers les autres pays de l’Afrique de l’Ouest. On occupe une position très stratégique pour le Nigéria. Nous partageons aussi des frontières maritimes et terrestres sur beaucoup de distances de l’océan jusqu’au Nord du pays. Le changement de régime est une opportunité pour le Bénin en dépit des frictions du passé. Le Bénin a une communauté Yoruba et le nouvel élu est un Yoruba. Cela crée des liens entre les deux pays que notre diplomatie va s’activer pour se mettre en selle avec le nouveau pouvoir. Si le Bénin parvient à créer cette connexion, il y a des avantages énormes qu’on peut tirer du Nigéria. C’est d’abord un gros marché. Actuellement, le Nigéria fait 211 millions d’habitants, en 2050, les projections donnent 400 millions d’habitants. Ce pays sera donc la troisième puissance démographique après la Chine et l’Inde.

En même temps que les officiels se serviront de la diplomatie pour les intérêts du Bénin, que peuvent faire les nationaux pour tirer davantage profit de ce géant ?
Il faut travailler sur la perception que les Béninois ont du Nigéria. Et pour cela, les médias qui façonnent les opinions ont un grand rôle à jouer. Notre perception du Nigéria est mauvaise. A un moment donné, il y avait eu des universités privées béninoises qui formaient les Nigérians. Pour que la perception change, ce n’est pas l’affaire des personnes d’un certain âge qui se nourrissent de préjugés sur le Nigéria. C’est avec les jeunes qui montent, qui sont opérateurs économiques que cela va se faire. Il faut créer des opportunités pour connecter les jeunes Béninois et ceux du Nigéria. Imaginez-vous qu’au Nigéria, chaque année, il y a plus de 5 millions d’étudiants qui n’arrivent pas à s’insérer dans le circuit universitaire. Et les parents ne sont pas prêts à les envoyer très loin du pays pour qu’ils n’échappent pas à leur contrôle. Ils auraient souhaité trouver des opportunités dans les pays voisins où les enfants peuvent évoluer. Il y a quelques années, on assistait à un déferlement de jeunes Nigérians qui venaient se faire former au Bénin. La politique actuelle de l’Etat béninois interdit à toutes les universités de dispenser des cours en Anglais. Or, si on se positionne pour former les Nigérians qui deviendront plus tard des cadres dans leur pays et prendre des décisions, ce sera un gros avantage pour le Bénin. C’est important que des filières anglophones soient créées dans nos universités. Si on ne veut pas permettre aux privés de le faire, il faut que l’Etat le fasse. Les jeunes Nigérians qui en profiteront prendront conscience du fait que le Bénin est un pays hospitalier et auront un sentiment positif de notre pays. De la même manière, ils vont côtoyer les jeunes Béninois et certains viendront plus tard investir chez nous. En recevant les jeunes Nigérians, nos universités auront des ressources financières pour se développer sans attendre les subventions. Elles seront autonomes pour mener des projets de développement et d’expansion. Le Ghana en profite déjà en accueillant un nombre important d’étudiants nigérians. Ceux-ci payent leur scolarité en dollar. Ce qui permet de renflouer les caisses des universités ghanéennes. Si nous faisons pareil au Bénin, à part la captation des ressources, cela va favoriser le brassage et nos étudiants, qui à force de s’intéresser à leurs pairs du Nigéria seront en mesure de parler l’Anglais, qui est une langue incontournable aujourd’hui. En le faisant, cela va changer la perception que les Béninois ont des Nigérians. Ensuite, il suffira de mettre les médias à contribution dans une politique de diplomatie publique pour qu’ils diffusent les aspects positifs du Nigéria. C’est ce que les gens voient et entendent qui reste dans leur perception. En entendant des choses positives sur les atouts du Nigéria, on peut changer la perception. Quand c’est fait, cela peut guider la manière dont nos politiques sont formulées. Dans la formulation de la politique étrangère, on a besoin de l’opinion publique et si celle-ci a une perception positive de la chose, les dirigeants en tiennent compte. C’est important que nos élites s’intéressent au Nigéria qui est notre voisin. Il faut qu’au niveau de l’Assemblée nationale, des groupes d’amitié soient créés avec le parlement nigérian. Qu’il y ait également des échanges universitaires entre les deux pays est un chantier à mettre en place pour capter des dividendes du Nigéria.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



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