Gestion de la Covid-19 dans les espaces frontaliers du Bénin : « Les zones frontalières sont d’habitude des zones déshéritées », dixit Dr Marcel Baglo

Patrice SOKEGBE 8 juin 2020

A l’occasion de la journée africaine des frontières, le Bénin entend se focaliser sur la gestion de la pandémie du Coronavirus dans les espaces frontaliers. A ce sujet, le Directeur général de l’Agence béninoise de gestion intégrée des espaces frontaliers (Abegief), Dr Marcel Baglo a, sur l’émission Grand format de Canal3 Bénin, expliqué que les zones frontalières n’observent pas les mesures barrières, faute d’information, de conception de dispositifs et d’accompagnement. Pour lui, les réflexions sont en cours pour apporter des soutiens significatifs à ces localités complètements enclavées.

Depuis la découverte du 1er cas de la Covid-19 au Bénin, le gouvernement a multiplié des actions pour éviter la propagation de la pandémie dans les espaces frontaliers. Comment les populations vivent-elles la situation ?
Les zones frontalières sont d’habitude des zones déshéritées, des zones où l’accès au soin est difficile. Cela fait que notre gouvernement fait l’effort d’apporter à ces populations ces soins à travers les consultations médicales foraines ou d’autres types d’activités avec l’appui des centres de santé. Malheureusement, ces secteurs sont presque isolés de l’information. Donc, toute la grosse information qu’il y a dans les grandes villes ne parvient pas facilement à ces populations, si on ne met pas à contribution les radios communautaires. En conséquence, une tournée faite dans ces zones nous a montré que beaucoup de zones frontalières ne sont pas encore touchées par ces sensibilisations. Vous êtes donc étonné, quand vous voyez tout le monde sans masque. Il se pose à ce niveau 3 types de problème. Le premier, c’est l’information, le second, c’est la capacité à créer ou concevoir les masques et le troisième, c’est l’accompagnement. Dans ce cadre, le gouvernement a instruit l’Abegief de consacrer la semaine des frontières à cette activité.

Y a-t-il eu des cas positifs détectés dans ces zones ?
Non. Pour le moment, ces zones sont encore à l’abri. Ce qui est sûr, ce sont des zones très reculées. Donc, il n’y a pas encore de dépistage dans ces zones. Etant donné que ce sont des zones enclavées, nous pensons qu’ils sont à l’abri de ce mal.

Parlons de la semaine des frontières qu’organise l’Abegief. Pourquoi une semaine consacrée aux frontières ?
Nous avons consacré la semaine aux frontières, parce que les frontières ont été utilisées depuis la colonisation comme des armes géopolitiques pour opposer les pays. Aujourd’hui, tous les pays s’agrippent à leurs frontières comme une barrière. Les frontières ont été considérées comme des points de tension. Vu les dangers, l’Union africaine a choisi de mettre en place un programme ‘’Frontière’’. Malgré ce programme, on a constaté que beaucoup de pays ne sont pas sensibilisés. Il y a des pays qui sont très sensibles comme le Bénin et autres pays. Il y a d’autres pays qui ne font pas du tout d’effort. A ce sujet, les Chefs d’Etats de l’Ua ont décidé de choisir une journée par an pour sensibiliser le monde entier à ces questions de frontières. Avant les indépendances, nos pays colonisateurs ont gardé de grands ensembles. On parlait de l’Afrique-Occidentale française (Aof) et de l’Afrique Equatoriale française. Mais en 1960, ils ont morcelé les territoires, créant ainsi de petits pays, pas très viables. Comment arriver ensuite à une intégration ? C’est pour cela que nous aujourd’hui la Cedeao, l’Uemoa et l’Union africaine. Malgré cela, on ne voit pas venir cette intégration. C’est pour cela que les Etats ont décidé de consacrer une journée aux frontières pour expliquer à tout le monde qu’elles doivent être des points de soudure, des passerelles et non des barrières. Quand vous allez à Ouaké, les populations de Kémérida sont les mêmes que celles de Soumaoulou. Il en est de même à Sèmèrè, Bassila. Les frontières étaient venues les séparer. Et notre effort aujourd’hui, c’est de les rassembler et leur faire oublier cette frontière. C’est pour cela qu’une journée est consacrée aux frontières. Chaque année, on choisit un enjeu important des frontières pour le mettre sur orbite. L’année passée, nous avons débattu de l’extrémisme violent. Vous savez que les frontières du Sahel sont exposées au terrorisme, parce que les populations de ces zones sont pauvres et facilement achetables, etc… Aujourd’hui, c’est la pandémie de la Covid-19 qui nous inquiète. Comme l’a demandé le Chef de l’Etat, nous avons fait la prévention. Un pays pauvre ne peut pas opter pour le curatif, le traitement. Faire du préventif, c’est aller vers ces populations pour attirer leur attention sur l’existence du mal, les accompagner pour se prémunir contre ce mal.

Quelles sont les activités inscrites au programme de cette semaine ?
Le Gouvernement a instruit l’Abegief de faire des dons de masques réutilisables, des gels hydroalcooliques, des mécanismes de lave-mains et d’autres matériels pour accompagner ces populations.

Le caractère sensible et géostratégique des espaces frontaliers appelle à une attention particulière. Mais pourquoi les citoyens qui y vivent ont l’impression d’être abandonnés par le gouvernement ?
Ce n’est pas qu’ils ont impression d’être abandonnés. C’est qu’ils étaient abandonnés. Si je prends le cas d’un certain nombre de pays africains, ces populations sont encore abandonnées. Ils le sont à cause de l’imprécision des frontières. Les colonisateurs nous ont appris qu’il faut développer les grandes villes pour développer le pays. Comme le disent certains, c’est les grandes villes qui votent. Ce n’est pas la campagne qui vote. A cause de l’imprécision des frontières, certains pays ont du mal à aller vers ces frontières. Ces populations se retrouvent sans le minimum, c’est-à-dire, l’eau, l’électricité. Pis, personne ne les connaît. Au Bénin, nous avions une quarantaine de localités qui n’étaient même pas répertoriées par le service de statistique. Quand vous n’êtes pas répertoriés, vous ne pouvez pas être pris en compte par l’Etat qui part des statistiques pour déterminer les besoins de chaque localité. Conséquence, ces localités sont restées en marge, jusqu’à la dernière loi qui les a réintégrées. N’étant pas dans la base des données, ces populations sont oubliées lors des partages. C’est aussi des zones qui sont difficiles d’accès. Quand il n’y a pas de voies pour y aller, personne ne peut apporter le développement. Donc, la priorité de ces populations, c’est l’eau, le désenclavement. Il y a des zones entières qui sont coupées du Bénin pendant 6 mois dans l’année. A partir du mois de Juillet, toute la zone de Oukparé à Pèrèrè est coupée du Bénin. Et il faut passer par le Nigéria pour revenir au Bénin. Il faut donc savoir nager. Il faut dire que le Bénin est l’un des meilleurs pays ouest-africains en gestion des frontières. Depuis 2007, le gouvernement a pris l’option d’en faire une priorité. Et chaque année, le gouvernement met des fonds propres pour développer ces frontières, lutter contre la pauvreté, apporter la sécurité aux populations. Nous avons construit environ 60 commissariats et postes avancés en 6 ans pour que les populations aient au moins leur force de sécurité à côté, et évitent de se faire kidnapper par les forces de sécurité étrangères. Nous avons tenté d’amener le maximum d’eau à toutes ces communautés et actuellement, on est en train de leur donner de l’électricité. Le Bénin a beaucoup fait. Mais, étant donné le retard que nous avons accumulé, il reste encore beaucoup de choses à faire. Nous pensons que tous les ministères devraient se mettre ensemble en vue d’un plan Marshall en direction des zones.

Un message pour conclure cet entretien
Je crois que les zones de pauvreté prioritaires sont des zones frontalières. Aujourd’hui, quand il n’y a pas une intervention massive dans ces zones, nous allons tomber dans la situation des pays voisins du nord où toutes leurs frontières sont sous le contrôle des terroristes. Quand on parle de terrorisme au Burkina-Faso, on parle de la région de l’Est, on parle des 3 frontières et de la région du Som. Quand vous allez en Côte d’Ivoire, au Mali et d’autres pays, c’est pareil. Nous devons prendre les taureaux par les cornes et c’est que le gouvernement a commencé à faire.
Transcription : Patrice SOKEGBE



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