Les Organes de gestion des élections : solution placebo ?

La rédaction 2 mars 2020

Dans les démocraties dites `vieilles ou établies’, les élections sont organisées par le pouvoir Exécutif à travers l’Administration publique. Toutefois, dans bien de démocraties nouvelles, notamment en Afrique, des organes spécifiques et ‘indépendants’ du pouvoir exécutif ont vu le jour : les Commissions Electorales (CE) ou Organes de Gestion des Elections (OGE).
Dans un contexte où les élections constituent un enjeu majeur dans la dévolution du pouvoir, le déficit de confiance entre l’ensemble des acteurs (politiques, institutions publiques, citoyens, société civile, etc) devient la règle ; où le gagnant rafle tout sans partage aucun avec les perdants et où pouvoir politique rime avec pouvoir absolu, la gestion du processus électoral cristallise tous les intérêts. Par conséquent, tout ce qui concerne l’OGE prend une importance capitale.
Réponses à la méfiance à l’égard des gouvernants et au déficit de confiance entre acteurs, les OGE seraient gages de transparence et de crédibilité de l’élection et par conséquent inciteraient à l’acceptation des résultats. Ils répondraient également à une volonté de professionnaliser et rationnaliser l’organisation des élections.
A contrario les élections organisées par l’Administration publique seraient, quant à elles, plus exposées à la fraude ou la partialité des institutions en charge.
Toutefois, après quelques années de pratique électorale par des CE ou OGE, le bilan n’est –il pas quelque peu mitigé ?
En effet, malgré la gestion des élections par des organes spécialisés, la plupart des pays ayant fait une telle option ont tout de même expérimenté : la corruption et la fraude électorales ; le coût relativement élevé, voire exorbitant, des élections ; l’indépendance discutable de certaines CE ; la confiscation du pouvoir au détriment des résultats des urnes ; des résultats parfois fortement contestés ; des violences électorales ; des campagnes de qualité discutable et non-inclusives ; l’exclusion de certains candidats, etc. Autant d’éléments pouvant conduire à un OGE – pessimisme.
Il est important de souligner que toutes ces insuffisances ne dépendent pas toujours de la responsabilité directe des OGE. Toutefois, elles surviennent tout de même dans le cadre de processus électoraux organisés par les OGE.
Le Bénin, pionnier du model de la CE a également connu des défis électoraux dont des violences et exclusions électorales (Législatives 2019).
Le report du double scrutin de Mars 2020 en Guinée, a été annoncé par le Président de la République Alpha Condé et non par la CE. L’audit du fichier électoral par la Francophonie a en outre révélé le surplus de près de 2,5 millions d’électeurs. Fichier, cause du report et dont l’élaboration relève de la CE.
Le Réseau national de lutte anticorruption a dénoncé « 241 cas de corruption électorale durant la période allant du 2 août au 29 novembre 2015 » au Burkina Faso.
Au Malawi, la Cour Suprême a annulé en 2020 la réélection du Président sortant du fait de « nombreuses irrégularités lors du scrutin, et notamment la présence de Tipp-ex - ce correcteur blanc bien connu - sur les procès-verbaux de dépouillement. » .
Lors des élections communales de 2018 en Tunisie, la mission d’Observation de l’Union Européenne a reconnu l’existence de « retards et incidents causés par des défaillances logistiques » .
En Côte-d’Ivoire, le rôle de la CE dans la crise post-électorale de 2010 a été fortement décrié. La Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples ( CADHP) a été saisie en 2016 par la société civile a estimé que la réforme de la CE « comporte des limites qui entament le respect de l’impartialité, de l’égalité et de l’indépendance de l’institution », En outre, du fait des réformes récentes, la CE est déjà au cœur de tensions pré-électorales pour l’élection présidentielle de Novembre 2020 au point de donner lieu à une saisine de la CADHP par l’opposition . En effet, « la nouvelle CEI, réclamée à cor et à cri par les partis d’opposition, n’est toujours pas du goût de ces derniers, qui constatent toujours un déséquilibre favorable au pouvoir. »
En 2019, suite au report de l’élection par la CE du Nigeria, commentant les coûts exorbitants dudit report pour l’économie nationale (625 millions de dollars), le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Lagos a affirmé que : “Entre maintenant et la nouvelle date prévue, le rythme des activités économiques diminuera considérablement car il existe déjà un problème de confiance. Les partis politiques ont soulevé des problèmes concernant la confiance dans l’Inec (CE), et d’autres parties prenantes ont soulevé des problèmes concernant la confiance dans cet organe. Quand vous avez une crise de confiance, cela affecte l‘économie”.

Un pays comme le Sénégal, entre autres, donne du fil à retordre aux détracteurs de l’organisation des élections par l’Administration publique.
En effet, l’acteur central organisant les élections est le Ministère de l’Intérieur. La Commission Electorale joue quant à elle un rôle de supervision et de contrôle.
Malgré les défis certains, le Sénégal a démontré à plusieurs reprises sa capacité à organiser des élections dont les résultats sont d’une part, acceptés par la majorité des acteurs politiques, des citoyens et de la communauté internationale. D’autre part, lesdits résultats conduisent le pays vers une alternance politique pacifique, c’est – à –dire à la victoire de l’opposition au détriment de la mouvance détentrice du pouvoir exécutif et organisatrice des élections. Ainsi, le Président Abdou Diouf fut battu en 2000, laissant sa place au Président Abdoulaye Wade. Ce dernier fut à son tour battu en 2012 par le Président Macky Sall.
Le cas du Sénégal présente un intérêt certain dans la mesure où de nombreux acteurs nationaux et internationaux invitent le pays à avoir une CE pleinement en charge au détriment de l’Administration publique. Le Sénégal, n’est nullement une exception et des pays comme le Cap-Vert et le Mali confirment un tel constat dans une certaine mesure.
Pourquoi opter ou maintenir un système qui présente en théorie de nombreux avantages (spécialisation, professionnalisme, transparence, autonomie, etc) mais qui en pratique présente de réelles faiblesses et limites ?
Le Bénin, à travers son nouveau code électoral adopté en Novembre 2019, a renforcé les prérogatives de la CE, ce qui laisse à penser que l’objectif est de pallier aux insuffisances de l’ancienne version, tout en maintenant sa confiance dans le model d’OGE. Dans un contexte national où le déficit de confiance entre les différents acteurs est criard, l’option de l’OGE semble être un moindre mal. Les citoyens ou acteurs politiques rejetteraient ‘a priori’ toute élection émanant du Ministère de l’Intérieur.
Le model d’OGE devrait-il être considéré comme une innovation en matière de gestion des élections à pérenniser et améliorer malgré ses inconvénients ou devrait–il plutôt être vu comme un système transitoire de gestion des élections, en attendant que les Etats regagnent la confiance de leurs citoyens et des acteurs politiques ? Le retour à l’Administration publique et au Ministère de l’intérieur en particulier pour la gestion des élections serait-il gage de maturité politique et démocratique ?
Si un système sensé corriger des dysfonctionnements a une efficacité relative, il est important de s’interroger sur sa légitimité, sa pertinence et son maintien.
Il est fondamental que chaque pays retienne la formule qui lui correspond le mieux.
Un paysage institutionnel qui soit d’une part le fruit de son histoire et de son contexte socio- politique. Et d’autre part, à même de répondre à sa vision ainsi que ses défis passés, présents et surtout futurs.
Nadia NATA



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