Selon l’extrait du point de presse du Ministre d’Etat, Secrétaire Général de la Présidence, « la vie sociale sur les campus pose problème. Le conseil des ministres a pris connaissance des résultats des enquêtes administratives sur les cas de violence et actes de vandalisme survenus sur le campus d’Abomey-Calavi, résultats des enquêtes administratives sur le mode de recrutement par les organisations estudiantines d’anciens militaires et sur la délimitation de zones dites interdites sur les campus. Ces zones étant devenues des zones de tortures.
Le conseil réaffirme avec les autorités rectorales que l’université est un haut lieu du savoir où doivent être garantie à tout moment la paix, la sécurité et le libre accès aux campus.
Face à la recrudescence des faits de violence et de vandalisme et pour des raisons qui inhérente à l’ordre publique, le conseil a pris les deux décisions suivantes : la première, toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faitières d’étudiants sont interdites d’activités dans toutes les universités nationales. Deuxièmement : les conditions d’exercice d’activités et/ou de reconnaissance des associations d’étudiants sont définis par décret pris en conseil des ministres. Le conseil a adopté un décret qui consacre ces deux décisions.
De la lecture du communiqué, on note que le gouvernement au cours de sa séance a pris deux décisions :
1- Interdiction d’activités des fédérations, unions, associations ou organisations faitières d’étudiants au niveau de toutes les universités nationales ;
2- fixation par décret pris en Conseil des Ministres des conditions d’exercice d’activités et/ou de reconnaissance des associations d’étudiants.
L’analyse des deux décisions nous oblige à opiner sur la question.
L’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par le Bénin, n’autorise aucune restriction à la liberté d’association autre que celles qui sont prévues par la loi et qui sont « nécessaires dans une société démocratique », dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé et la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, qui fait partie intégrante de la Constitution du 11 décembre 1990 protège également le droit à la liberté d’association.
La Constitution du Bénin du 11 décembre 1990 dispose en son article 25 que : « L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation ».
Il est donc clair que le régime juridique de l’exercice des libertés contenues dans l’article 25 évoqué est bien une loi et non un décret pris en conseil des ministres.
Cette position du constituant béninois a été renforcée par la Cour Constitutionnelle dans l’affaire « Bossou contre le MISAT » en 1994 lorsque par arrêté n° 260/MISAT/DC/DAI/SAAP du 22 novembre 1993, le ministre de l’intérieur a posé des conditions limitatives à l’exercice de la liberté d’association. La haute Juridiction dans sa décision avait clairement indiqué pour annuler l’arrêté que « les conditions et modalités d’exercice que le Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’Administration territoriale pourrait décider dans le cadre de l’enregistrement des associations doivent se conformer aux prescriptions de la loi ; qu’il s’ensuit que l’arrêté querellé viole la Constitution ».
En 1995, la Cour Constitutionnelle dans l’affaire « Union nationale des Scolaires et Etudiants du Bénin (UNSEB) contre le MISAT est allée plus loin dans sa position jurisprudentielle en affirmant que « dès qu’une association est régulièrement déclarée et que cette formalité est accomplie, elle est dotée de la capacité juridique et peut sans autre procédure spéciale, mener toute activité dans le cadre de la loi ».
Dans l’état actuel du droit positif béninois et des jurisprudences constantes de la Cour Constitutionnelle, même si des raisons évidentes peuvent exister, il serait « difficile » de justifier la prise de deux décrets l’un pour interdire l’activités des fédérations, unions, associations ou organisations faitières d’étudiants au niveau de toutes les universités nationales, l’autre pour la fixation des conditions d’exercice d’activités et/ou de reconnaissance des associations d’étudiants.
La question des libertés reste une préoccupation au niveau international. En effet, dans son rapport thématique de 2012, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a déclaré que « la suspension d’une association et sa dissolution forcée sont parmi les atteintes les plus graves à la liberté d’association. Elles ne devraient donc être possibles qu’en cas de danger manifeste et imminent résultant d’une violation flagrante de la législation nationale, conformément au droit international des droits de l’Homme. De telles mesures doivent être strictement proportionnelles à l’objectif légitime poursuivi et utilisées uniquement lorsque des mesures moins radicales se sont révélées insuffisantes. »
Lorsque en 2014, le gouvernement Tunisien pour raison de « Sécurité » a suspendu les activités de 157 associations, un tollé général sur le plan international a été observé avec un déclassement du pays par les organisations internationales en charge des questions des droits humains.
Parmi les commentaires, on peut noter celui de Monsieur Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. Selon lui : « Les autorités tunisiennes ont de bonnes raisons de combattre le terrorisme mais elles ne devraient pas agir en dehors du système judiciaire et bafouer des droits protégés par la Constitution et par la loi. Les autorités tunisiennes sont allées trop loin avec cette vague de suspensions. Elles devraient réviser leur position, annuler immédiatement ces notifications de suspension et suivre les procédures appropriées prévues par la loi pour poursuivre tout groupe réellement impliqué dans l’incitation à la violence. »
En matière des droits humains, il faut faire attention dans les prises de décisions.
Du fait de son histoire politique, le Bénin reste un pays très attaché aux libertés publiques.
Ne pas le savoir serait une erreur grave !
Serge PRINCE AGBODJAN, Juriste
- 4 octobre 2024
- 4 octobre 2024