Me Sadikou Alao au sujet du dialogue politique : « C’est le dialogue qui réconcilie tous les Béninois

Karim O. ANONRIN 10 octobre 2019

Le président du Groupe d’étude et de recherche sur la démocratie, le développement économique et social en Afrique (GERDDES-Afrique), Me Sadikou Ayo Alao, s’est prononcé hier sur le dialogue politique initié par le Chef de l’Etat, le président Patrice Talon. Pour lui, l’on ne saurait parler d’un dialogue dans le contexte politico-social actuel du Bénin avec seule une partie de la classe politique. Lire ci-dessous, l’intégralité de la transcription de l’interview accordée à Radio GERDDES.

Le dialogue politique initié par le Chef de l’Etat, le président Patrice Talon, respecte-t-il les normes en la matière ?
Vous savez, en matière de dialogue, il n’y a pas de norme erga omnes. Il y a des normes qui conviennent à chaque situation précise. Pour parler précisément du dialogue auquel le Chef de l’Etat a convié certains leaders politiques, il faut dire que l’invitation n’est pas à la hauteur des enjeux. Si vous suivez toutes les lois qui ont été prises pour exclure une partie des partis politiques du processus électoral, si vous suivez les massacres qu’il y a eu au quartier Cadjèhoun les 1er et 2 mai et si vous suivez le problème de la fermeture des frontières, ça montre qu’il y a des arguments endogènes et exogènes qui font que la crise au Bénin a atteint un niveau très élevé avec des éléments internes et des éléments externes qui font qu’il ne peut pas y avoir de dialogue entre seuls les partis politiques, encore que là, il n’y a qu’une partie des partis. S’il s’agit des questions d’intérêt national, s’il s’agit de sauver le pays, tout dialogue devrait être inclusif pour nous permettre de laver notre linge sale et de regarder l’avenir de manière beaucoup plus radieuse et non faire un conclave entre un certain nombre de politiciens. D’ailleurs, j’ai entendu une expérience politique dire que la politique, c’est l’affaire des seuls politiciens. Il n’a pas dit une partie des politiciens. C’est l’affaire de tout le monde. Sinon, on n’irait pas aux élections. On se contenterait des nominations. Un dialogue dans la situation actuelle du Bénin, un dialogue qui s’arrime bien avec cette situation doit être inclusif.

Dans quelles conditions auriez-vous voulu que ce dialogue se tienne pour qu’il puisse faire foi ?
Non ! Les dégâts sont énormes. Depuis 2016, on ne peut pas ruser avec un dialogue et faire en sorte que c’est comme si c’était du rafistolage. Si l’on veut sauver le Bénin, chacun doit mettre de l’eau dans son vin. On doit le faire en toute honnêteté et non donner l’impression qu’on ruse. Nous connaissons les problèmes et nous pouvons ensemble en établir la liste. Il ne s’agit pas de faire une chasse aux sorcières. Si l’on veut vraiment travailler dans l’intérêt du Bénin, il faut appeler tout le monde à l’apaisement. Il faut que tout le monde se retrouve et qu’on parte d’un nouveau bon pied au lieu de sélectionner ceux avec qui on veut parler. Le débat actuel, c’est comme si on voulait atteindre certains résultats pour donner de la satisfaction à quelqu’un. On dirait que ce n’est pas un débat qui s’intéresse aux vrais problèmes du Bénin. Le dialogue dont nous autres nous parlons, c’est le dialogue qui réconcilie tous les Béninois. Celui-ci est un dialogue d’arrangement. Ce n’est pas bon, ce n’est pas sincère et ça ne peut pas résoudre les problèmes des Béninois. Ça peut donner satisfaction à ceux qui ont demandé des résultats en apparence.

Vous avez certainement suivi le Ministre Alain Orounla de la communication, porte-parole du gouvernement. Dans sa sortie médiatique, il faisait comprendre que le dialogue ne concerne que les politiques. Les membres des organisations de la société civile ne sauraient être invités à cette table.
C’est un peu dommage. Je crois que sa langue a bougé. Il a l’avantage d’être un novice en politique. Donc on peut tout lui pardonner. Si ce qu’il disait était vrai, je crois qu’il n’y aurait pas d’élection. C’est vrai que depuis un certain temps, notre pays se complaît dans les nominations politiques. En réalité, le dialogue, qu’il soit politique, qu’il soit économique ou qu’il soit social, c’est d’abord un dialogue dans l’intérêt des Béninois. Si lui et moi nous comprenons la même chose, le dialogue pour que le Bénin sorte de la crise a de multiples facettes. Peut-être que lui ne pense pas au dialogue pour les Béninois. Il pense à un dialogue pour d’autres personnes ou pour d’autres objectifs. Donc, je dis que c’est un dialogue pour plaire à certaines autorités. Lorsqu’on veut dialoguer, on le fait pour résoudre les problèmes qui se posent ils sont d’ordres politique, économique et social. Un tel dialogue ne peut pas être l’apanage des politiques. En fait, c’est quoi la politique. C’est faire pour les hommes et par les hommes. C’est le peuple qui fait sa constitution, désigne ceux qui temporairement le dirigent. Il n’y a pas de politique sans le peuple. Mon confrère a l’avantage d’être un novice en politique. Il faut le lui pardonner.

Certains partis politiques invités posent des préalables et des mesures sécuritaires. Est-ce que cela devrait être ainsi ?
C’est tout à fait légitime si on tient compte de nos antécédents. Nous avons connu tout récemment des invitations au dialogue qui n’en était pas un. C’est normal que lorsqu’on invite quelqu’un à dialogue sans ordre du jour, les gens fassent très attention pour ne pas servir de faire-valoir. Je crois que c’est tout à fait raisonnable lorsque ce ne sont pas des naïfs. Ils se souviennent de tout ce qui s’est récemment passé et de la manière dont ils ont été brutalement exclus des élections et leur naïveté exploitée. On peut se tromper une fois. Mais lorsqu’on se trompe tout le temps, c’est qu’on est un imbécile.

Quelles sont les suggestions de GERDDES-Afrique pour un dialogue crédible ?
Un dialogue crédible au Bénin doit d’abord se fixer des objectifs. Nous avons des problèmes politiques, des problèmes économiques, des problèmes sociaux. Si l’on veut faire un dialogue, c’est ces objectifs qu’il faut viser. Tous les acteurs qui sont capables d’apporter une contribution doivent être associés. Historiquement, le clergé et les religieux ont toujours été associés. La société civile a toujours joué un rôle incommensurable. Les politiciens ne sont pas la catégorie la plus fiable au Benin. C’est tout le monde qui doit être associé si l’on ne veut pas tricher.
Propos transcrits par Karim Oscar ANONRIN (Source : Radio GERDDES)



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