Covid-19 au Bénin : Nouvelles embûches pour personnes handicapées

Fulbert ADJIMEHOSSOU 18 septembre 2020

Isolement et précarité : au Bénin, la situation des personnes handicapées a très peu fait échos dans l’actualité de la Covid-19. Pourtant, la pandémie n’a pas été aisée à vivre pour elles. Déjà vulnérables, la crise n’a fait que dresser d’autres obstacles sur le chemin de ces couches.

Il n’a pas eu besoin d’un long discours pour croire en l’existence du Coronavirus. Bien qu’aveugle, Ghislain Adandé constate autour de lui un vide, dès l’annonce des premiers cas de Covid-19 au Bénin. C’était en mars 2020. « Désormais, les gens préfèrent rester loin pour vous guider de gauche à droite. Alors que le côté qu’on vous indique n’est pas le vôtre. Je finis par cogner l’obstacle qu’ils tentent de m’éviter », raconte ce technicien supérieur en Assistance sociale. En réalité, dans la société béninoise, les personnes handicapées ne sont pas souvent accueillies avec une étreinte chaleureuse. La stigmatisation bien que discrète est réelle dans les comportements.
Ainsi, cette solidarité témoignée à Ghislain Adandé, qui est aussi le Président de l’association des personnes handicapées de Ouidah, une ville historique située à 50 km de Cotonou est tout à fait singulière. Il est déjà nostalgique de ces moments-là. « D’habitude quand je vais faire des achats à la pharmacie ou au supermarché, on m’accueille spontanément. On m’oriente vers la caisse en me tenant la main. Mais j’ai perdu cet avantage à l’avènement de la Covid », ajoute-t-il.

Des revenus en chute libre
Au Bénin, selon l’Institut National des Statistiques et de l’Analyse Economique (Insae), le pays compte près de 100.000 personnes handicapées dont plus de 58%, sans niveau d’instruction. Et même ceux qui ont un niveau d’étude secondaire ou supérieur devront continuer à se battre, avec leur handicap, pour espérer avoir un jour la même chance que les autres d’accéder à un emploi. La pandémie, avec ses effets ravageurs, a retiré ces personnes vulnérables le peu de revenus.
Salahou Yékini Abdoul-Wahab, ancien président de l’Association des Scolaires et Etudiants Handicapés du Bénin, est depuis 8 mois sans salaire, du fait de la pandémie. Avec ses deux béquilles, il devra se démerder. « Je suis un rédacteur web et j’écris pour un site dans le cadre d’un programme financé par l’Union Européenne. Avec l’avènement de la Covid, tout est bloqué. Je suis sans revenus. Les activités que je faisais avec des partenaires aussi sont stoppées. C’est trop compliqué », se plaint le Basketteur.
Le plus gros souci, c’est aussi de trouver les moyens pour s’assurer le déplacement. Avec la Covid-19 et ses restrictions liées au transport, des jeunes bénéficiaires du Projet Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées au Bénin devront débourser plus pour se rendre sur leurs lieux de formation. En sa qualité de Point Focal sur ledit projet, cet assistant social en sait beaucoup sur les peines de ses pairs. « Le projet a démarré en 2018. Il est prévu 1000 Fcfa pour appuyer les participants pour chacun de leur déplacement vers les ateliers. Par exemple, il y a quelqu’un qui quitte Zinvié avec 800 FCFA. Avec la Covid, ils se retrouvent à débourser 1600 Fcfa à Zémidjan. Il y a un participant qui a dû abandonner durant toute la période, avant que les mini-bus ne reprennent leurs activités avec la limitation du nombre de passagers », se désole Ghislain Adandé.

Plus vulnérables, moins priorisés
Alors que toutes les couches de la société appellent l’Etat à la rescousse pour l’amoindrissement des chocs liés à la pandémie, la voix des personnes handicapées n’a pas été perceptible dans la grande masse. Pourtant, elles ne sont pas restées sans hausser le ton pour se faire entendre. Leurs plaintes sont parvenues sur les ondes de Ado Fm/Tv. Marcel Candide Hinvy est journaliste présentateur en service dans cet organe de presse. Il a perdu l’usage de sa jambe depuis tout petit du fait de la polio et met depuis bientôt 4 ans, sa passion à profit pour redonner espoir aux personnes handicapées, leur permettant aussi de défendre leurs droits.
En avril 2020, pendant les semaines les plus stressantes de la pandémie à Cotonou, « Mon Handicap et Moi », l’émission qu’il présente était devenue le canal prisé pour ne pas être laissés pour compte dans les mesures de riposte contre la Covid-19. « J’ai eu beaucoup de coups de fil en pleine émission à ce sujet. Les ménages dans lesquels vivent des personnes handicapées ont été aussi vraiment touchés. Les activités étant limitées, les revenus ont chuté », affirme-t-il. Pour ce spécialiste des questions du Handicap et des droits Humains, les personnes handicapées sont plus victimes de la Covid. Elles ont surtout profité de l’émission pour se vider, mais restent toujours dans l’attente des générosités. « Il y a eu des gens de bonnes volontés qui ont pensé à certaines familles par des vivres, des gels hydro-alcooliques et autres. Mais la plupart des associations de personnes handicapées avec qui nous travaillons n’ont pas encore eu de pareils appuis », fait-il remarquer.

Se sauver de la Covid, « mais pas sans nous »
Et s’il y a une difficulté majeure qui subsiste avec cette pandémie, c’est l’inéquation des mesures barrières avec leurs conditions physiques. Simone A. est une personne handicapée moteur. Pour accéder au Tribunal d’Abomey-Calavi où nous l’avions rencontrée mi-août, elle est obligée de passer outre l’obligation de se laver les mains. « Je ne peux même pas essayer au risque de tomber, de me faire mal ou de me ridiculiser. C’est pourquoi j’ai mon gel dans mon sac en tout temps », confie-t-elle.
Ces plaintes et les angoisses sont de sorte qu’il était indispensable de rencontrer le Président de la Fédération des personnes handicapées du Bénin (FAPHB). Au siège de l’organisation, à quelques pas de l’Etoile Rouge, le monument auquel Cotonou s’identifie, Nassirou Domingo a plus que regretté le calvaire auquel sont soumises les personnes handicapées face à l’obligation de se laver les mains. « Les gens ont oublié que nous sommes dans la population et qu’on peut être vecteurs du coronavirus. Je ne peux pas garder les béquilles et actionner le dispositif de lavage de mains. Situation pareille pour les personnes malvoyantes ».
Des démarches furent menées à l’endroit du Ministère des affaires sociales et du Système des Nations unies au Bénin. Certain es commencent, dit-il, à porter des fruits. « Nous avons proposé au Pnud des modèles mixtes de dispositif de lavage de mains, c’est-à-dire à pédales et à robinet. Ainsi, ceux qui ont un handicap visuel peuvent utiliser le dispositif à pédales et ceux qui ont un handicap moteur vont utiliser celui à robinet. Nous avons eu 14 dispositifs et 14 motos. Le Pnud a décidé de nous aider pour la sensibilisation sur la pandémie de sorte que chaque réseau départemental puisse faire le travail au niveau des communes », confie Nassirou Domingo.
Néanmoins, dans le rang des personnes handicapées, il y en a pour qui le port du masque n’est que symbole de privation de la parole. Ce sont les personnes malentendantes qui à force de vouloir respecter les mesures de prévention, finissent par masquer leur expression, dans le visage. « Je connais au moins deux personnes qui m’ont déjà narré leurs mésaventures, surtout au marché. L’une d’entre elles a eu du mal à se faire comprendre par une vendeuse qui a fini par lui manquer de respect. C’est légion. Le port de masque n’est pas aisé parce que l’expression du visage est importante dans la communication avec les personnes qui n’entendent pas », déclare Ghislain Adandé.

Mendier, une option de moins en moins fructueuse
Si ailleurs, d’aucuns envisagent des masques transparents, le Bénin n’en est pas encore là. Pendant que des personnes handicapées se battent pour acquérir une autonomie, d’autres par contre continuent de vivre de l’aumône dans la rue et aux alentours des lieux de culte. Le 28 août 2020, à 13h, à la Place Bulgarie de Cotonou, elles sont une vingtaine de personnes handicapées moteurs, vieillards et jeunes, assis dans des chaises roulantes à attendre, sous un soleil de plomb, la prière musulmane mais aussi la générosité de quelques fidèles.
Très habile mais peu bavard, Faroukou est le leader des conducteurs des mendiants alignés qui portent eux des bols ou des assiettes quasi-vides. Même si les dons sont aussitôt versés en poche, la Covid a fait des ravages ici également. « Je ne peux pas vous dire des détails sur les revenus. Mais, comprenez que nous ne gagnons presque rien. Les gens ne donnent plus grand-chose. Ils vous disent qu’il n’y a pas d’argent et que le temps est dur à cause de Corona », explique-t-il.
Ce vendredi, la prière ne va durer qu’un quart d’heure. Le retrait des fidèles provoque la course des chaises roulantes dans le rang de ces mendiants en majorité nigériens. A l’écart, Boukari se positionne sur le trottoir, et reste figé durant la demi-heure que nous passerons à l’observer. Sur un air fatigué et préoccupé, il lâche les mots au compte-gouttes dans un français peu audible : « Je suis de Malanville. Je trouve un peu, un peu. J’ai mon masque (et il nous le montre, ndlr). Les gens ne donnent plus beaucoup ».
A 5 mètres, dans notre dos, comme un ange discret, le conducteur observe nos conversations. Il ne se fera remarquer que pour aller chercher un repas bien emballé qu’un véhicule de luxe vient d’apporter à son protégé. Ici, en ce temps de Covid, les vivres comptent autant que les pièces de monnaies. « J’ai l’habitude de faire ce geste tous les vendredis. C’est encore plus digne à mon avis d’offrir à manger à ces couches vulnérables. J’avoue qu’avec la Covid, il y a moins de monde à la prière comme avant. Donc c’est possible qu’il ne gagne pas non plus assez. En plus, les gens n’aiment plus forcément se rapprocher d’eux », estime Lawid Seidou, transporteur de profession.

Les belles leçons de la Covid
Il est aisé de lire à travers les gestes et regards que la mendicité n’a pas un bel avenir à l’horizon. Cette option considérée par certains comme une facilité n’est pas cautionnée par la Fédération des personnes handicapées du Bénin (FAPHB), quelle qu’en soit la raison. « Ces personnes donnent encore une autre image de la personne handicapée. A cause de ça, dès qu’on voit une personne handicapée quelque part, qui a son argent et qui veut acheter, elle est prise comme un mendiant. C’est très déplorable », regrette Nassirou Domingo pour qui, il faut travailler à les scolariser et à mettre fin à l’ignorance. « Ils sont là parce que bon nombre d’entre eux ne sont pas allés à l’école. Quand il n’y a pas de scolarisation, l’enfant reste dans l’arrière-cour et finit par se retrouver dans la rue, après décès de ses parents. Il faut rendre l’école accessible à tout le monde », ajoute-t-il.
Au-delà de tout, les personnes handicapées voient aussi la Covid du bon côté. La pandémie est venue mettre les doigts sur les défis pressants. Face aux difficultés de transport, du fait de la suspension des activités des minibus, la loi 2017-06 du 29 septembre 2017 portant protection et promotion des droits des personnes handicapées en République du Bénin aurait pu faciliter les choses.
L’article 48 prévoit : « Toute société de transport publique ou privée est tenue de réserver, en priorité, des places assises aux personnes handicapées. Les personnes handicapées, titulaires d’une carte d’égalité des chances, bénéficient de mesures préférentielles dont les transports en commun, notamment la réduction du tarif, la priorité à l’embarquement et au débarquement ».
Les modalités d’application sont fixées par décret pris en Conseil des ministres. « Si ces décrets étaient déjà signés, on n’aurait pas trop ressenti les difficultés de transports. Puisqu’il est retenu qu’on y prévoie des allègements dans le cadre de leurs déplacements, sur les moyens de transports en commun donnés. Nous espérons que ces décrets soient signés », regrette Ghislain Adandé.
Dans la marche pour l’atteinte des ODD, les personnes handicapées ne veulent pas être laissées de côté. Nassirou Domingo le martèle sans cesse : « Nous ne voulons pas qu’on nous donne à manger ». Son vœu, comme celui des milliers de personnes handicapées dont il porte la voix, c’est d’impliquer ces couches ‘’dans toutes les politiques de développement’’. « Nous voulons faire tout avec tout le monde », insiste-t-il.

A chance égale pour vaincre la pandémie
Déjà en temps normal, la vie n’a jamais été rose pour les personnes handicapées. Il suffit de quelques instants avec eux pour comprendre les obstacles auxquels ils font face aux quotidiens et leur espoirsd’aller de l’avant. Accéder aux soins de santé, à l’éducation, à l’emploi, etc. est un combat, même si au sommet les autorités dopent les politiques pour amoindrir les peines. La Covid n’a fait que creuser les inégalités préexistantes pour révéler combien il est indispensable de favoriser une riposte inclusive. Les personnes handicapées ont besoin de prendre activement part aux actions de la riposte à la COVID-19 et de la relance consécutive. Elles ont besoin que les mesures prises soient adaptées à leur situation. L’une des grandes attentes, c’est de voir se concrétiser la carte d’égalité des chances. Prévue par la loi n°2OI7- 06 du 29 septembre 2017, en son article 18, elle devra permettre à son titulaire de bénéficier « des droits et des avantages en matière d’accès aux soins de santé, de réadaptation, d’aide technique et financière, d’éducation, de formation professionnelle, d’emploi, de communication, d’intégration sociale, de transport, d’habitat, de cadre de vie, de sport, de loisirs, de culture et des sports, de participation à la vie publique et politique, d’aide en situation de risque et d’urgence, de protection et de promotion ainsi qu’à tout autre avantage susceptible de contribuer à la protection et à la promotion des droits des personnes handicapées ». Les personnes en situation de handicap au Bénin l’appellent de tous leurs vœux. Ce sera, sans doute un coup d’accélérateur à l’atteinte des Odd, dans un contexte de Covid.



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