Dr Aristide Comlan Tehou, coordonnateur du Comité national du Mab Unesco : « Il y a encore un gros effort à faire par l'État pour vraiment valoriser tout le potentiel de la Vallée de l’Ouémé »

19 février 2024

Le programme scientifique Mab Unesco vise à améliorer les relations entre l’homme et son environnement ainsi que les moyens de subsistance des populations tout en sauvegardant les écosystèmes naturels. Dans cet entretien, Dr Aristide Comlan Tehou, coordonnateur du Comité national du Mab Unesco fait la lumière sur la vision de la mission du Mab Unesco.

D’abord quand on parle de Mab Unesco, qu’est-ce qu’on doit comprendre concrètement ?
Si nous parlons de Mab Unesco, ce qu’il faut comprendre tout de suite c’est une organisation qui regroupe des chercheurs et des scientifiques. Ça implique également des entités de l’Etat, des passionnés de la rue et la finalité c’est d’avoir un groupe pluridisciplinaire qui travaille non seulement à préserver tout le patrimoine naturel que la nature a mis à la disposition de l’homme mais également permet de satisfaire les besoins de l’être humain. Je sais, quand on parle de Mab Unesco, c’est près de 738 réserves de biosphère dans 134 pays. C’est quand même énorme. Au Bénin, nous avons trois réserves de biosphère. Il y a la première réserve de biosphère à Pendjari dans les années 1986. Après nous avons eu disons une extension avec le parc W. Donc plutôt un complexe de réserve qui est constitué du parc de la Pendjari, la rivière de Pendjari, le Parc W et l’Arl. Ensuite dans les années 2000 précisément en 2017, nous avons eu la réserve transfrontalière du Mono et tout récemment en 2020, nous avons la réserve de biosphère de la vallée de l’Ouémé. Donc le Bénin a trois réserves de biosphère à la date d’aujourd’hui.

Alors quelle est la vision fondamentale de Mab Unesco ?
Si on veut savoir la vision de Mab Unesco, c’est de travailler dans un monde dans lequel les individus ont conscience, disons de ce qu’ils ont un avenir commun qu’ils ont intérêt à travailler la main dans la main pour profiter des innombrables services écosystèmes que la nature à travers ces différents écosystèmes met à la disposition de l’homme. Vous n’êtes pas sans savoir que l’essentiel des besoins de l’homme vient des éléments de la nature. Donc, c’est travailler de façon intelligente à utiliser les ressources que la nature met à notre disposition, satisfaire les besoins économiques tout en préservant tout ce potentiel là que la nature à travers la diversité des vies et des habitats, permet à l’homme d’avoir.

Vous parlez de multi discipline, je veux savoir à peu près comment fonctionne Mab Unesco en termes de relation parfaite entre l’homme et sa nature ou son environnement.
Si vous voulez il faut dire que Mab Unesco, c’est d’abord au niveau des États donc e sont des États qui sont parties et au niveau de chaque Etat, il y a ce que nous appelons des comités, donc il y a le Bureau international qui est constitué de membres de plusieurs États. Je disais tout à l’heure que se sont des entités qui prennent en charge plusieurs pays, donc vous avez au niveau de chaque pays aussi une structure qui est constituée de différentes spécialités. Pour la plupart du temps c’est des personnes, des volontaires de différents domaines des sciences naturelles et des sciences juridiques et tout, mais qui se mettent ensemble pour travailler à préserver ce patrimoine et à créer cette synergie entre l’utilisation des ressources de la terre et la protection de la nature.

Alors si je prends le cas du Comité National ici au Bénin, Est-ce qu’on a aussi plusieurs scientifiques dans ce comité ?
Des professeurs d’université, des spécialistes quand même très pointus qui travaillent sur des questions comme par exemple le cas des zones humides. On a tellement de spécialistes qui nous donnent des éléments pour mieux comprendre le fonctionnement de ces écosystèmes fragiles. C’est d’ailleurs ça même l’essence des réserves de biosphère. Donc pour les comités Mab Unesco, elle est basée sur l’interdisciplinarité et vous avez des personnes parlant du Comité National Unesco Bénin. Vous avez une pluralité de spécialistes, moi personnellement spécialiste de la faune et des aires protégées. Docteur Tehou est aussi spécialiste des aires protégées de la faune éléphants en particulier. Vous avez des géographes dans ce comité, vous avez des sociologues, vous avez des journalistes aussi, surtout par rapport au volet de communication, vous avez des botanistes également dans ce comité. Je sais qu’il y a aussi quand même un auétiologue dedans, le professeur Loubon. Donc vous avez vraiment une pluralité de disciplines de spécialistes qui permettent d’avoir l’information correcte et utile qui peuvt être utilisée pour mettre à la disposition de nos Etats les informations nécessaires pour pouvoir faciliter la prise de décision. Vous imaginez que constituer un dossier pour avoir une candidature pour un site c’est un long processus, il faut rassembler les données scientifiques, aller sur le terrain collecter cet ensemble de données et c’est au-delà de toute cette masse de données il faut des personnes qui sont quand même pointues dans leur expertise pour soumettre ce dossier. Puisque c’est quand même un challenge aussi ou qu’il y a plusieurs pays qui soumettent plusieurs dossiers, c’est-à-dire plusieurs sites au niveau de leur pays. Donc ce n’est pas garanti, il faut avoir des dossiers vraiment bien montés, pertinents pour pouvoir avoir le privilège d’avoir son site reconnu comme une réserve de biosphère. Alors je voulais m’intéresser surtout à la réserve de biosphère de la basse vallée de l’Ouémé.

Je veux savoir comment on a pu avoir cette chance au niveau de l’Unesco qu’on puisse accepter cette réserve. Nous le savons, on dit après Nil, la zone la plus riche au monde, c’est bien sûr notre basse vallée de l’Ouémé.
William comme tu as su bien le dire, il faut dire que déjà en 2017, nous avons la seconde zone humaine d’importance du Sud qui est le Mono, qui a été reconnue. Les acteurs qui intervenaient dans la basse vallée de l’Ouémé se sont dit qu’il faut s’inspirer de l’exemple de la réserve du Mono qu’il y avait déjà depuis plusieurs décennies, des organisations de la société civile qui travaillent dans différents écosystèmes sur différents sites pour préserver la biodiversité. Avec les communautés locales on s’est dit qu’il y a déjà une base qui existe et il fallait se mettre ensemble pour créer une aire protégée qui va davantage créer des facilités de communication entre les différents sites qui sont sous protection. Donc c’est de là qu’est née l’idée de la création de la réserve de biosphère de la vallée de l’Ouémé. Aussi, s’traduite également la volonté politique de l’État béninois, puisque c’est quand même une zone qui est densément peuplée et si l’État décide d’investir dans la protection de ces zones, de ces écosystèmes, c’est quand même au regard de l’importance du point de vue de la diversité biologique que de la diversité des écosystèmes de ce milieu que l’État s’engage à accompagner ce processus. Donc ce sont des initiatives qui datent pour certaines de 20 ans déjà, pour d’autres d’une dizaine d’années.

Si vous le permettez, j’ai bien envie de vous poser une question. Quand on prend la Vallée de l’Ouémé, William venait de le dire, après le Nil c’est quand même cette vallée là qui est reconnue comme une potentialité pour l’agriculture, à votre avis pourquoi cette Vallée n’est pas exploitée à bon escient pour permettre un développement agricole de la zone ?
Je pense que pour l’heure qu’il y a encore un gros effort à faire par l’État pour vraiment valoriser tout le potentiel qu’il y a dans la Vallée de l’Ouémé. C’est vrai on dit que c’est la seconde vallée la plus riche, moi je ne sais pas vraiment, toujours est-il que ce potentiel est là qu’on peut valoriser. C’est quand même une zone assez vaste et assez riche ou les populations vivent au rythme de la crue et de la décrue du fleuve et vivant de l’agriculture et de la pêche exactement. Donc c’est un potentiel inouï qui est là et je pense même que les statistiques en matière de production agricole et de production halieutique que nous avons aujourd’hui sont encore très loin de la réalité de la productivité des écosystèmes de la basse vallée de l’Ouémé. Il y a quand même un programme du ministère de l’Agriculture qui est en cours actuellement. Pour mieux valoriser ce potentiel, ce que nous allons souhaiter c’est que ces programmes puissent très vite se mettre en marche pour vraiment valoriser tout le potentiel qui est là parce que la vallée de l’Ouémé a le potentiel vraiment de faire nourrir la population béninoise et ce n’est qu’une question de temps. La volonté politique est déjà là, donc c’est surtout plus d’actions sur le terrain qu’il faut qu’on fasse une meilleure étude du potentiel qui est là.

Je sais que vous travaillez dans cette cette zone et quand on parle de richesse de la vallée de l’Ouémé parfois on se dit mais on ne peut pas avoir cette vallée, et continuer à acheter du poisson venant de l’extérieur alors qu’on pourrait faire la pisciculture. On se dit mais normalement cette zone seule peut nourrir tout le pays même au-delà le Nigéria, le Togo. Et parfois quand vous allez dans la vallée, la population elle-même consomme du poisson venant de l’extérieur. Qu’est-ce qi se passe ? C’est-à- dire qu’on n’a pas bien protégé cette richesse ?
On n’exploite pas correctement cette richesse que nous avons. A mon avis il y a deux problèmes, le premier problème c’est une meilleure valorisation du potentiel halieutique qui est disponible. Vous savez c’est surtout pendant la crue qu’il y a une forte productivité de l’écosystème. Donc la population a du poisson et des produits halieutiques à disposition, mais à la décrue les populations, c’est surtout l’agriculture qu’elles pratiquent. Donc pendant cette période, les plans et les cours d’eaux ne sont pas aussi productifs, il n’y a pas vraiment un système de production continue. Les populations aménagent ce qu’ils appellent des trois poissons donc dès que l’eau se retire les poissons se retrouvent emprisonnés, piégés. Donc c’est ça que les gens exploitent, mais il y a possibilité disons d’accroître le potentiel de production de ce système traditionnel que les populations même ont déjà mis en place. Ça c’est le premier volet c’est-à-dire, mieux valoriser le potentiel disponible. Le second problème c’est une question d’organisation. C’est vrai les populations aujourd’hui, il y a la croissance démographique donc les besoins sont plus importants et le rythme de prélèvement de ces ressources n’est pas toujours en harmonie avec la capacité de cet écosystème là à produire. Du coup vous vous dites que parfois les engins que nous utilisons, les instruments ne sont pas non plus adaptés et parfois on vide même ces étangs. Voilà donc ces pratiques d’utilisation d’engins de pêche prohibée qui menacent la ressource naturelle. Il y a un travail qui est fait depuis quelques années avec la Dph pour faire des sensibilisations pour non seulement informer la population mais disons déconseiller ou éradiquer l’utilisation des engins de pêche qui menacent la ressource. Cela dit, au-delà de cette réglementation sensibilisation, il faut nécessairement mettre en place des infrastructures pour la production halieutique. Je pense que c’est ce qui manque le plus pour ne pas seulement s’appuyer sur la productivité naturelle de ces écosystèmes, c’est de mettre en place tout le système de production des cages flottantes pour pouvoir exploiter à bon escient tout ce volume d’eau qui descend des parties septentrionales et qui se perd dans la mer. Donc ce potentiel peut également être valorisé pour l’agriculture étant donné que pendant la saison sèche ou pendant la décrue, les gens n’ont pas l’eau à disposition alors qu’avec toute cette eau là on peut créer des digues pour créer des retenues pour que l’eau soit accumulée et valorisée tout au long de l’année et ainsi les gens de la vallée peuvent produire du maïs tout au long de l’année plutôt de le faire seulement par saison. Donc c’est des infrastructures des aménagements qui sont nécessaires. Mais cela nécessite de gros moyens et c’est là que l’État doit intervenir.

Est-ce que Mab Unesco pense déjà à ces différentes réformes qu’on pourrait mener pour accroître toute cette potentialité dont disposent ces milieux ?
En tant que partenaire de l’État pour le développement des communautés, il faut travailler à vulgariser ces pratiques. Il y a des populations chez lesquelles par exemple, pendant une bonne partie de l’année il n’y a pas d’exploitation des ressources halieutiques. Il y a à certains endroits, le Zodo. Vous avez aussi certaines mares sacrées sur lesquelles une bonne partie de l’année il n’y a pas d’activité et c’est seulement pendant une période que la population est autorisée à aller faire la pêche. Ceci permet le renouvellement des stocks et permet que tout au long de l’année ou sur plusieurs années, le potentiel halieutique ne soit pas mis en péril parce que on donne le temps aux animaux de se produire et on veille aussi à ce que la taille des poissons capturés ne mettent pas en péril la productivité de ces écosystèmes. Il faudra continuer ce travail pour répertorier ces différentes pratiques qui existent non seulement dans le domaine de la production végétale mais aussi de la production halieutique qu’on peut vulgariser au sein d’autres communautés puisque d’un terroir à un autre ce ne sont pas les mêmes réalités.

Est-ce que c’est les mêmes réalités ou bien on sent une certaine évolution de protection de gestion durable des ressources naturelles ?
Il y a une progression dans la gestion dans ce sens où en 2020 quand nous avions soumis le dossier de la réserve de biosphère de la basse vallée de l’Ouémé, les aspects par exemple des changements climatiques et du genre n’étaient pas pris en compte. Mais l’année dernière comme vous avez pu le suivre, ces deux aspects ont été prises en compte. Aujourd’hui, le plan d’aménagement de gestion de la Réserve de biosphère de la basse vallée de l’Ouémé prend en compte les changements climatiques. C’est-à-dire comment nous allons intégrer les changements climatiques dans les programmes de protection ou de développement communautaire qu’on mène globalement sur cet espace là mais également comment est-ce que nous intégrons le volet genre pour une meilleure participation des femmes, une meilleure intégration des femmes dans le processus de décision ou de développement communautaire. Donc c’est comme on le disait à l’entame, le label Mab Unesco, c’est vraiment l’intégration de l’homme dans la gestion de la biodiversité. On n’exclut pas l’homme. L’homme est au cœur puisque, tout ce que nous faisons c’est pour le profit de l’homme donc c’est vraiment travailler à satisfaire l’intérêt de l’homme mais tout en préservant la diversité, la vie qu’il y a dans ces écosystèmes.

Alors vous pensez qu’en associant beaucoup plus les femmes, on pourrait mieux gérer ces ressources ?
C’est cela naturellement. Déjà la femme quand vous regardez dans le ménage, c’est l’économie qui est dans la main des femmes. Tout à fait donc, nous avons tout intérêt quand nous voyons la polyvalence de nos mamans, de nos épouses à la maison à gérer une chose, à utiliser un capital pour faire tellement de choses, Dieu a donné à la femme ce talent ou intelligence. Cette intelligence de faire fructifier les choses. Donc elles sont beaucoup plus en contact avec les ressources naturelles à travers la collecte du bois de chauffe. Même quand les pêcheurs reviennent après les captures, ce sont les femmes qui commercialisent. Ce sont-elles qui transforment et donc c’est la femme qui est au cœur du processus de transformation économique. Nous avons donc tout intérêt à mieux les outiller.

Oui je veux bien risquer une question, depuis que vous impliquez les femmes est-ce que vous avez noté un changement dans les activités par rapport aux années antérieures où cette pratique ne se faisait pas, ou cette implication des femmes n’était pas une réalité ?
Non les femmes étaient impliquées mais pas d’une façon aussi importante. Aujourd’hui, elles sont davantage mises devant davantage de responsabilités parce que les expériences nous ont montré que dans le passé et aujourd’hui, comparativement on ne réalise qu’en outillant davantage les femmes, en les mettant au cœur des actions de développement. Le résultat se fait plus rapidement étant donné que c’est elles qui transmettent les valeurs, les connaissances de la société. Donc nous gagnerions du temps à les impliquer dans les processus transformationnels que nous souhaitons au niveau de cette communauté - là et comme vous avez pu le demander, oui il y a des changements aujourd’hui. De plus en plus, nous parlons souvent au niveau des terroirs villageois de groupement de ceci, de groupement de transformation de femmes. C’est beaucoup plus elles aujourd’hui qui vont vers les structures de l’État pour aller rechercher soit des financements ou soit des renforcements de capacités. Parce qu’elles ont compris qu’elles ont tout intérêt à renforcer leurs capacités. Ça leur permet d’avoir une meilleure productivité, d’avoir des produits de transformation de meilleure qualité mais aussi des entrées de sous, puisque l’argent c’est le nerf de la guerre. Donc si vous avez des partenaires ou des acteurs qui vous permettent de faire une meilleure entrée de sous, d’avoir une meilleure qualité de vie naturellement, vous êtes mieux poussé à rester connecté à ces personnes là pour améliorer votre bien-être.
Transcription : Joseph AMOLO (Stag)



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