Dr Raymond ASSOGBA, sociologue Boologue au sujet de la délocalisation du marché Dantokpa : « Ce sera un éclatement qui remettra en cause un joyau, un pilier qui fait Cotonou et le Danxomè »

5 juillet 2024

Le sociologue Raymond ASSOGBA donne son avis en ce qui concerne une délocalisation éventuelle du marché Dantokpa. Il estime que le Bénin perdrait son pouvoir économique puisque Dantokpa est un lieu de finance internationale. Suivons son intervention sur l’entretien accordé au quotidien Fraternité.

Qu’est-ce qu’un marché dans le contexte béninois ?
D’une certaine manière, un marché ne s’implante pas au hasard. Tout marché tel que conçu dans le pays du Vodun est implanté sous le couvert du Vodun Dan. Ce n’est pas le serpent comme on le dit mais c’est un concept. En considérant la langue Fon ou Adja comme véhicule de connaissance, Dan est tout ce qui fructue, ce qui change de forme, qui exprime le changement. Un marché, c’est la rencontre de l’offre et de la demande. Alors quand on prend l’offre et la demande, les prix marchandés, la circulation de l’argent, de la richesse, l’échange, etc… Tout cela est le concept de Dan que nos parents ont perçu à travers l’activité qu’on appelle commerce, l’échange qui génère la richesse.

Est-ce possible de déplacer un marché comme Dantokpa ?
Dantokpa est un marché qui a été créé à un moment, qui a grandi et est devenu un marché international. Les gens quittent l’Afrique du Centre pour venir dans la sous-région un peu comme Adjamé en Côte d’Ivoire ou Assigan à Lomé. Dantokpa est un marché internationalement connu avec une organisation qui permet d’avoir tout ce qu’on veut. Aujourd’hui avec les réformes, lorsqu’on dit qu’on va déplacer ce marché, il va de soi que c’est un éclatement qui remet en cause un joyau, un pilier qui fait Cotonou et le Danxomè. Si on arrive à faire ce déplacement, le Bénin va devenir un pays banal sans éclat parce que Dantokpa est un pouvoir de l’économie, un lieu où convergent les productions agricoles, un lieu aussi de la finance internationale. Nous sommes là, nous regardons et nous attendons de voir. Quand on dit Dantokpa, ce sont des modules d’activités qui se sont assemblées et qui se sont incrustées dans la ville, ce qui fait que des quartiers entiers sont dans cette dynamique qui aident les populations à se spécialiser dans des activités.

Un marché est-il fondé sur de la spiritualité ?
L’élément de la spiritualité qu’on appelle Vodun est une association des règnes minéraux, végétaux et animaux avec l’intention humaine de produire de la richesse et de satisfaire les besoins. On utilise également son efficacité pour satisfaire l’écoulement de la production agricole, du commerce et de la satisfaction de l’offre et de la demande. Quand on parle du règne minéral, végétal et animal, c’est à ce niveau que se trouve la spiritualité. Les Vodounons savent ce qu’il faut mobiliser pour en fait inspirer l’élément magnétique qui attire les producteurs et qui satisfait les acheteurs. Dans la représentation sociale du Bénin, l’élément Dan qui magnifie l’Ouest, le lieu de la transformation est en symbiose avec tous les autres comme Xèbiosso parce que Xèbiosso est le souverain qui régente l’équité. Est-ce que quelqu’un dans un marché ne respecte pas le prix auquel il faut céder un produit ? Mais si quelqu’un dans un marché gruge les acheteurs à un moment déterminé, Xèbiosso intervient pour équilibrer la situation. Le Vodun Dan est une fluctuation qui spirituellement intègre les forces dont bénéficient les commerçants. On ne se lève pas pour être commerçant à Dantokpa, on s’affinie selon ce qu’on a comme support. Il faut avoir son Fâ et c’est le Tofâ qui te dit qu’il faut faire le commerce. A partir de ce moment, tu dois accomplir certains rituels avant de commencer le commerce et périodiquement, on le fait. Rentre dans le processus de dynamisation du marché parce que pour accomplir les rituels, il faut aussi rassembler les Input comme moutons, poulet… et tout s’achète au marché. C’est cela qui fait la dynamique du marché et la renommée de Dantokpa. Le Vodun Dan, effectivement en tant qu’influence magnétique, circule et couvre le marché. C’est pourquoi on voit que ceux qui sont vendeurs et vendeuses dans le marché et qui n’ont pas un cœur pur ou qui grugent les clients, le Vodun Dan intervient à un moment donné dans la survenue de certains phénomènes. C’est ainsi qu’on peut entendre que l’enfant de tel a disparu ou qu’il y a telle situation pour créer un équilibre par rapport à celui-là. Donc nos marchés ne sont pas des lieux sans griffes. Dantokpa est une marque déposée. Le Vodun Dan a sa griffe sur les marchés. A Porto-Novo par exemple, ils ont voulu déplacer un marché mais cela a créé des problèmes. Le marché de Ouando est aujourd’hui en point de suspension. Les populations se débrouillent mais la volonté des réformateurs de déranger l’ordre mondial que les ancêtres ont mis en place est une volonté mécanique et non réfléchie dont nous attendons de voir ce que cela va donner comme résultats. Les populations sont en attente également mais elles poursuivent leurs activités économiques.

Comment le cadre géographique d’un marché est défini ?
C’est une causalité. On implante les voduns et on accomplit les rituels pour assurer la dynamique qu’il faut à l’espace avant que les vendeurs et les acheteurs se fréquentent pour actualiser le rapport commercial. Ce n’est donc pas un hasard mais une causalité. Le Vodun est une causalité existentielle dont la philosophie dépasse ce qu’on a raconté. Vous verrez qu’il y a le Tolègba lui-même qui est en place entre Dantokpa et Lègbaxito. Il y a donc un enjeu qui est de rendre le béninois nul et on ne se rend pas compte que les peuples n’ont de la richesse que par rapport à la créativité de leur ‘’Djor wa mon’’. Mais ici, on fait des réformes en tenant compte de ce qui se passe à Paris ou ailleurs, alors que ce n’est pas la même chose à Cotonou. Déjà, le problème se pose avec les nouveaux marchés. On va observer et on verra si c’est de l’ingéniosité des réformateurs ou de l’incurie.

Faut-il demander la permission aux Voduns avant de déplacer le marché ?
Ce n’est pas qu’il faut demander la permission. C’est le Tolègba qui installe la dynamique de l’activité économique. Avant le marché, on a implanté le Vodun Gou qui assure la sécurité. C’est avec les métaux, les arbres et les matériaux de productions que la vie a été stabilisée sur cet espace. Dans les années 1822, le Tolègba était à Tokpa XOXO vers Homel et avec les inondations et certaines situations, on a déplacé le marché à son emplacement actuel. L’histoire nous apprend qu’on amenait les captifs ramenés de guerre devant le Tolègba pour déterminer qui va revenir de l’exportation ou qui va y demeurer. Avec cette sécurité assurée par le Vodun Gou, les populations s’y sont installées et les femmes naturellement vendent les produits que leurs maris ont ramenés et d’autres viennent d’ailleurs pour vendre. C’est ainsi que le marché est implanté de par la sécurité du Vodun Gou, mais on implique le Tolègba parce que là où il y a ce Vodun, il y a également une sécurité véritable. Ainsi, toute femme peut sortir un tabouret devant son portail, mettre un plateau, y déposer des condiments et vendre tout en gérant les enfants aux alentours. Quand on dit que le Tolègba exerce la sécurité, c’est la hiérarchie sociale, il y a les lègbassi qui gèrent la sécurité et les délinquants savent que leurs activités nuisibles ne doivent pas dépasser certains niveaux. C’est donc une organisation qui a été mise en place et le Lègba qui veut dire « détruire et rebâtir », admet une philosophie de l’entreprenariat avant même que le mot soit inventé dans les années 1990. C’est l’entreprenariat donc qui a permis d’implanter le marché Dantokpa et c’est le Lègba qui enseigne l’entreprenariat, l’amélioration, la perfectibilité, le raffinement, etc.
Dantokpa veut partir d’une série de marchés selon un rythme de 5 jours et qui sont en symbiose avant le grand marché. De tous les marchés autour, tout le monde se retrouve à Dantokpa qui est comme la marée haute. Il faut donc imaginer la montagne de richesses qui est brassée lorsque le marché Dantokpa se tient. C’est une logique d’organisation et d’échanges et tout cela est nourri par les gardiens des couvents parce que c’est dans les couvents que se trouvent les Boo technologues et on y fabrique les créatifs. Les femmes jouent un rôle central, elles sont les piliers de la richesse et de l’activité commerciale et agricole. Voilà l’organisation sociale impliquant le réseau.
L’on ne vient pas au commerce par hasard. Ça commence par la base de tous les Voduns qui en fait appuient la personnalité de celui qui travaille, qui jusqu’à l’écoulement du produit acquiert la richesse, la répartit et la distribue.

Quelles sont les conséquences qui découlent du déplacement du marché Dantokpa ?
Il y aura une rupture dans la chaine des repères parce que Dantokpa est un repère spatio-temporel. Ensuite, il y aura une cassure dans la chaine de l’approvisionnement par rapport aux marchandises qui rentrent dans le circuit de l’échange. De la même manière, il y aura raréfaction de la richesse. Des petits marchés au grand marché qui se tiennent, déclenchent l’accroissement de la richesse, il n’y aura plus cela. Ceux qui alimentent le processus de la capitalisation seront désarticulés. Les étapes qui ont été créées notamment le transfert des produits, des biens, de la propriété, de la richesse pour aller d’un marché à un autre sachant que le point culminant sera Dantokpa, seront cassées. Or, c’est l’itinéraire sur lequel le commerçant entretient des relations de convivialité, de confiance, de certitude et tout cela sera cassé. Cela veut dire que l’agent de production de la richesse va se résoudre à un être qui sera quelque peu angoissé. Il y a des habitudes qui seront bousculées et on sera en léthargie. Mais les populations vont s’adapter.

Peut-être que le déplacement va provoquer la colère des Voduns ?
Les Voduns ne mettent pas en colère. Ils ne sont pas comme les gens parlent de Dieu. On s’adresse aux Voduns pour avoir les réponses à une situation. D’une certaine manière, si tu ne va pas voir les Voduns, tu n’as pas une réponse à tes questions et le Fâ joue beaucoup dans ça. C’est le Fâ qui indique quel Vodun il faut voir. Quand ça ne va pas, on consulte, le Fâ va donner une réponse et tu sais que pour un problème ou une question, il y a près de 256 solutions ou réponses. Quel que soit la situation, les populations s’adaptent. Il n’y aura pas colère. C’est au niveau de l’aisance que génère la richesse, le plaisir que génère l’activité, c’est à ces niveaux d’émotion, de sentiment qu’on va ressentir la moins-value de ces réformes. Quitte maintenant à chacun d’interroger le Fâ et c’est cela la marque du pays Vodun. Il n’y aura pas catastrophe outre mesure.
Propos recueillis par Ange M’poli M’TOAMA



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