Droit de santé sexuelle et reproductive : Regards croisés sur l’interruption volontaire de grossesses

Isac A. YAÏ 23 novembre 2020

Tomber enceinte devrait être une joie partagée. Mais pour certaines femmes, il y a des grossesses qui sont malvenues. Elles ne peuvent donc pas aller à termes au risque de compromettre l’avenir de l’intéressée ou des projets. Il faut donc procéder à son interruption. Cet acte est vu sous plusieurs angles par la société.

Toutes les grossesses n’évoluent pas jusqu’à ce niveau

Il est 8 heures ce mardi. Remorquée par un conducteur de taxi-moto, dame Yolande descend devant une clinique privée située dans un quartier populeux de Cotonou. Ici, une dame habillée en tenue locale l’attend déjà. Ensemble, elles font leur entrée dans la clinique. A priori, dame Yolande est venue pour des soins de santé. Mais les raisons qui l’amènent dans cette clinique sont loin d’être celles évoquées. Elle est venue mettre un terme à l’évolution de sa grossesse. Après une vingtaine de minutes passées à l’intérieur, dame Yolande, la mine serrée, sort en boitant… Elle vient ainsi d’entamer le processus devant lui permettre d’interrompre volontairement sa grossesse. Comme si de rien n’était, elle fait appel à un taxi-moto et disparaît. Le lendemain à 7 heures 30 minutes, remorquée par un autre conducteur de taxi-moto, dame Yolande réapparaît devant la clinique. Apparemment, elle est la première cliente de la journée. Après avoir salué la même dame de la veille, elle entre dans la clinique. La dame la suit. Cette fois, l’opération a duré un peu plus que celle de la veille. Après un bout de temps, dame Yolande sort de la clinique tout en présentant l’air de quelqu’un qui va mal. « Je peux vous dire que ce n’est pas facile car, depuis hier nuit, je n’ai pas fermé les yeux. Je sentais des maux de ventre atroces. A un moment donné, c’était comme si j’allais accoucher. J’ai dû l’appeler. Elle m’a conseillé de prendre les produits qu’elle m’a prescrits et de vite venir aujourd’hui. Raison pour laquelle je suis venue très tôt. Même actuellement, je sens encore des douleurs. Elle m’a rassurée que tout va bien car, la grossesse n’est plus là », déclare-t-elle avec un air soulagé. « Je l’ai souvent fait avec succès. Je n’ai pas encore enregistré de mort », confie la dame. Pour cette dernière, avant de procéder à l’avortement, il faut se rassurer que la concernée est vraiment enceinte et savoir depuis combien de temps elle porte cette grossesse. « Avant de procéder à l’l’interruption de grossesse, je fais d’abord une consultation pour me rassurer que la patiente est effectivement enceinte. Pour cette patiente, il s’agit d’une grossesse d’un mois environ. Dans ce cas, l’opération n’est pas trop difficile. A l’aide de quelques produits chimiques que je ne peux pas vous énumérer, tout se passe bien. Ce que j’ai introduit dans son sexe la veille permet d’asphyxier l’œuf. Et au bout de 24 heures, il est détruit. Ce matin, elle est venue pour le curetage. Tout s’est bien passé et elle peut encore tomber enceinte quand elle le désire », rassure-t-elle.

A chacun son avis
Comme Yolande, plusieurs jeunes filles et femmes mariées procèdent à l’interruption volontaire de grossesse pour des raisons diverses : elle est trop jeune … elle doit finir ses études … il n’est pas prêt pour être un père … notre situation financière ne nous le permette pas ….. Il ne veut plus d’enfant ….... Quelque soient les raisons, l’avortement est mal vue dans la société béninoise. Pourtant, la législation béninoise laisse une certaine ouverture sur l’avortement. « La loi de 2003 n’interdit pas l’avortement, mais elle est restrictive. Ainsi, l’avortement est autorisé dans certaines conditions : pour préserver la vie ou la santé de la femme, dans le cas d’une anormalité grave du fœtus, et si la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste », a fait savoir Kader Avonnon, employé à l’Association béninoise pour la promotion de la famille (Abpef). A l’en croire, beaucoup de femmes décèdent dès suite d’avortements à risque parce qu’elles n’ont pas la bonne information et l’accès facile aux services de qualité en santé sexuelle et reproductive.
Si la loi laisse une certaine ouverture, les religions et la spiritualité quant à elles condamnent l’avortement. « Selon Exode 23 verset 26, Dieu a dit à son peuple qu’il n’y aura pas de femmes qui avortent. Si on reste sur le plan biblique, l’avortement est une malédiction. Aucune raison ne peut donc justifier cet acte. C’est pour cela que dans la Bible, il est écrit qu’il ne faut pas avoir de rapports sexuels avant le mariage. De plus, la science a évolué et on parle de nos jours des méthodes de contraception. Si malgré tout cela, une femme tombe enceinte, elle doit assumer », déclare Charles, fidèle chrétien. Ainsi, pour les chrétiens, l’interruption volontaire de grossesse est une manière d’aller contre la volonté de Dieu. « Nos enfants n’ont plus la crainte de Dieu. Avorter, c’est synonyme de tuer. Et Dieu a dit de ne pas tuer son semblable. C’est pour cette raison qu’il y a des couples stériles. La plupart de ces cas sont les conséquences de l’avortement », martèle dame Loko.
Chez les fidèles musulmans aussi, l’avortement est un sujet controversé. Il est considéré comme une pratique allant contre la volonté d’Allah (Dieu) qui, seul, a le droit de vie et de mort sur ses créatures.
A l’instar des religieux, condamnent également l’avortement. Pour eux, cette solution ne devrait pas être envisagée. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut blâmer les auteurs de cet acte. « L’avortement est la destruction d’une vie humaine. Il n’est donc pas une bonne chose, parce que si nos parents l’avaient fait, nous ne serions pas là aujourd’hui. Les critiquer ne sont pas la solution, mais les ramener à la raison serait mieux », confie Prince Zédéka Zédéka Kanhohonou, spiritualiste.

Oui, mais…
Quant au Docteur Raymond Assogba, Boologue et sociologue à l’Université d’Abomey-Calavi, on peut comprendre dans une certaine mesure l’avortement. « L’avortement est appelé en science médicale Interruption volontaire de grossesse (IVG). C’est une pratique qui se fait dans des cas déterminés. L’Ivg intervient lorsqu’il y a une grossesse qui menace la santé de la maman. Quand les conditions s’y prêtent, on est obligé de prendre cette décision. Lorsque l’avortement survient, on pense qu’il doit y avoir une situation. N’étant pas préparés, n’ayant pas les moyens financiers, la jeune fille et le jeune garçon peuvent décider d’interrompre la grossesse. Les critiquer, c’est condamner les IVG. Il faut surtout s’occuper de l’éducation sexuelle des jeunes filles. Il faut penser aux conditions institutionnelles, d’éducation et de sensibilisation », précise-t-il.
Si pour certains l’avortement est un acte condamnable, pour d’autres, c’est un phénomène plus ou moins acceptable, pourvu que les raisons pour le faire soient fondées. « Je ne condamne pas trop celles qui se font avorter. C’est vrai que la Bible ou le coran l’interdisent, mais souffrez que je vous dise que ces livres saints ne pourront pas les nourrir. Si cette grossesse sera source d’ennui professionnel, elles peuvent s’en débarrasser. Dieu les comprendra », soutient Rodrigue, étudiant en sociologie à l’Université d’Abomey-Calavi. Abondant dans le même sens, Anaïs, étudiante en sociologie ne juge pas celles qui pratiquent l’avortement, mais essaie de les comprendre. « En cas de viol ou de précarité, je peux comprendre qu’une femme se fasse avorter. Je peux aussi comprendre celles qui le font pour préserver leur emploi. Je ne les condamne pas mais, cela me dérange un peu », déclare-t-elle.
Entre dénonciation et approbation, l’avortement demeure un sujet tabou. Mais à chacun sa vision et sa conscience.



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