Dynamique du coronavirus au Bénin : Ce que révèlent de nouvelles études sur le pic et le patient « 0 »

Fulbert ADJIMEHOSSOU 10 septembre 2020

On en sait un peu plus sur la dynamique de la propagation du coronavirus en Afrique de l’Ouest. Les résultats d’une série d’études sur la modélisation de la dynamique de la Covid-19 ont été rendus publics le mardi 8 septembre 2020 à l’Uac par le Laboratoire de Biomathématiques et d’Estimations Forestières (LABEF). A travers cette interview réalisée en marge de ce séminaire scientifique, le Professeur Romain Glèlè Kakaï renseigne sur quelques leçons à tirer de l’évolution de cette pandémie, notamment au Bénin.

Selon les études réalisées par le LABEF sur la dynamique de la pandémie, sur la base des données du 16 mars au 02 mai 2020, le pic serait attendu début octobre. Mais au cours de ce séminaire scientifique de présentation des résultats de recherche sur la COVID-19, vous avez présenté de nouvelles estimations sur la dynamique. Que peut-on retenir de ces études ?
Effectivement, dans une étude précédente, nous avions estimé le pic de l’épidémie à début octobre en considérant les données du début de la pandémie au Bénin, c’est-à-dire du 16 mars au 02 mai 2020. Cette date avait été retenue à dessein afin de ne pas prendre en compte les cas détectés avec les tests de dépistage systématique sur les groupes ciblés qui ont débuté à partir du 03 mai. Ainsi, il serait possible d’évaluer l’impact de cette mesure additionnelle de riposte que constituent les tests de dépistage systématique sur la dynamique de la pandémie au Bénin. On avait par exemple estimé à 31% la réduction du taux de reproduction de la maladie due aux premières mesures de contrôle mises en place à savoir la distanciation physique, le lavage des mains à l’eau et au savon, la fermeture des lieux de réjouissance, etc. En intégrant les données du 03 mai au 12 août 2020, le pic de l’infection a maintenant été estimé au 27 juin 2020 avec une marge d’erreur de 5 jours et environ 634 nouvelles infections dans la population. C’est à dire que les tests de dépistage systématiques et ciblés ont eu un impact significatif sur la dynamique de la pandémie.

Vous nous apprenez que le pic serait passé fin juin avec environ 634 nouvelles infections au sein de la population. Que peut-on comprendre de ce résultat avec précision ?
Ce nombre paraît assez élevé pour beaucoup de participants à ce séminaire. Mais en réalité le nombre de personnes infectées qui sont détectées chaque jour ne représente qu’une fraction du nombre réel de personnes infectées actives dans la population. Et plus vous réalisez des tests, plus vous détectez les personnes infectées actives. L’autre aspect de ma réponse est que les personnes détectées par les tests PCR, c’est-à-dire les cas positifs, sont pour la plupart ceux qui ont déjà passé leur période d’incubation et ne sont donc par les personnes nouvelles contaminées au jour du pic. Ici, les 634 nouvelles infections représentent le nombre de personnes contaminées au jour du pic dans la population. Il y a une marge d’erreur relativement élevée de plus ou moins 76 personnes infectées. Ce qui veut dire que s’il était possible de faire un dépistage de toute la population, le nombre réel de nouvelles infections pourrait se trouver entre 558 et 710. Aussi, voudrais-je préciser que même si le pic serait déjà passé selon les estimations, cela ne signifie pas la fin de la pandémie au Bénin ; Nous sommes au contraire dans une phase délicate de la pandémie où les gestes barrières devraient continuer à être respectées. En effet, l’atteinte du pic d’infection en juin signifie que nous sommes dans une phase décroissante des nouvelles infections et un arrêt précoce des mesures mises en place occasionnera une recrudescence du nombre de nouvelles infections pour ne pas dire une seconde vague épidémique notée actuellement dans certains pays occidentaux. Aussi, tant que la pandémie continue de sévir dans certaines régions du monde, aucun pays n’est à l’abri de cette maladie. Le respect des gestes barrières devraient continuer rigoureusement de sorte à significativement endiguer la propagation de la pandémie. Il faut aussi noter que ce travail de prédiction n’a pas seulement été fait pour le Bénin mais pour tous les pays de l’Afrique de l’Ouest.

Quelle est la tendance dans les autres pays de la sous-région ?
Nous avons noté de nos prédictions que la majorité des pays de l’Afrique de l’Ouest ont déjà connu le pic d’infection en juin pour certains pays et en juillet pour d’autres. Quelques pays comme le Burkina-Faso et le Togo n’ont pas présenté de tendances claires et pourraient ne même pas présenter de pic d’infection. Par ailleurs, les estimations faites ont donné une proportion relativement faible des personnes susceptibles d’être infectées dans la sous-région Ouest-Africaine. En effet, cette proportion est de 1,2 % de la population totale de la région. Ceci peut être dû à des facteurs physiologiques, des immunités acquises d’autres épidémies, ou encore de l’éloignement géographique de la majorité des individus de l’épicentre de l’épidémie dans les différents pays dû au faible mouvement humain d’une région à une autre. Et cela comparativement aux pays développés qui disposent des moyens rapides de connexion physique sur toute l’étendue de leur territoire. D’autres facteurs peuvent aussi expliquer ce faible pourcentage de personnes susceptibles d’être infectées.

En épidémiologie, l’on se préoccupe de connaître le patient par qui tout a commencé. Au Bénin, le premier cas a été officiellement détecté le 16 mars 2020. L’une des communications a parlé du patient « 0 ». Qu’en est-il exactement ?
C’est en fait l’un des résultats phares de nos travaux de recherche. Nous avons développé au Laboratoire une nouvelle approche de modélisation des épidémies qui utilisent ce qu’on appelle « un mélange de modèles de croissances ». Avec cette nouvelle technique de modélisation, on peut estimer entre autres, la date d’apparition du patient « 0 » dans une population sujette à une épidémie. Le patient « 0 » est la première personne à être infectée par la maladie dans la population et bien après que le premier cas de la maladie soit officiellement détecté. Au Bénin, nous avons estimé à 22 jours le délai entre l’apparition du patient « 0 » et le 1er cas de COVID-19 officiellement détecté par les autorités le 16 mars 2020. En d’autres termes, le patient « 0 » serait apparu dans la population béninoise le 24 février 2020.

Quel est votre mot de fin
Je voudrais passer par ce canal pour remercier tous mes doctorants, assistants et collègues, membres de l’équipe de recherche pour leur abnégation et leur esprit critique. D’autres résultats intéressants ont été aussi obtenus comme le taux de détection des personnes infectées actives qui varie de 1% (Niger) à 9.5% (Cap Vert) ou encore la taille finale de l’épidémie qui est le nombre total de personnes qui seront atteintes à la fin de cette vague épidémique. Ce nombre est par exemple estimé à 0.6 % de la population Ouest Africaine indiquant la relative faible sévérité de la pandémie en Afrique de l’Ouest comparée aux autres régions du monde. Les résultats de tous les travaux de recherche ont déjà fait objet de publication ou de pré-publications dans les revues internationales. Ces publications sont disponibles sur le site du LABEF à l’adresse : www.labef-uac.org
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU



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