Dysfonctionnement du foie : L’ascite, un mal très répandu mais peu connu

Eustache f. AMOULE 12 mai 2015

Parmi les maladies qui touchent le foie et qui déstabilisent son fonctionnement, il en existe une qui, bien que dangereuse, est très peu connue des populations. Et pourtant, elle est très répandue et fait beaucoup de victimes. Il s’agit de l’ascite. Une maladie due à la complication des autres maladies du foie telles que le cancer, l’hépatite…

l’Ascite est une maladie turgescente

Le ventre semblable à un réservoir d’air, les jambes enflées, “monsieur Y’’ n’avait autre solution que de s’appuyer sur sa canne pour se déplacer dans les ruelles du quartier. Difficilement, il marque de petits pas et fréquemment, se trouve un endroit où se reposer. Nul ne peut s’empêcher de jeter un regard vers ce monsieur dont l’état suscite dans le rang des passants, étonnement et questionnements. Malade, il souffre de l’ascite. Il s’agit d’une maladie très peu connue des populations béninoises. Et pourtant, elle touche beaucoup de personnes. Celles-ci, par ignorance ou désinformation, sont obligées de vivre avec, jusqu’à en mourir. En réalité, l’ascite est une accumulation de liquide (on parle d’épanchement liquidien) dans l’abdomen et plus précisément dans la cavité péritonéale, située entre les feuillets du péritoine (l’enveloppe qui tapisse la cavité abdominale). Il s’agit donc d’une cavité qui se crée entre le péritoine, une sorte de deux feuillets accolés qui couvrent nos organes et qui constitue un espace normalement vide, explique Vanessa Noukoundodji, médecin en fin de formation (7ème année). Ce liquide est non purulent et non sanglant. Cette collection liquidienne est dans la majorité des cas (près de 80 %) due à une cirrhose.

L’alcool et l’automédication, les premiers facteursb
L’ascite n’est pas une maladie ordinaire. Elle est due à la complication d’un mal qui conduit le plus souvent à cette maladie, confie Vanessa Noukoundodji. Ainsi, les facteurs qui entraînent cette maladie sont nombreux. Mais plus fréquemment, elle est causée par la consommation de l’alcool, l’hépatite virale qu’elle soit B ou C, la cirrhose de foie (la cause la plus fréquente). Il y a donc une chaîne. « L’alcool et l’hépatite virale entraînent la cirrhose de foie qui à son tour entraîne l’ascite », ajoute-t-elle. Plus rarement, l’ascite est causée par un cancer de foie ou de l’estomac, une pancréatite, une insuffisance rénale évoluée ou cardiaque. Même une mauvaise alimentation peut être à la base de cette maladie, révèle le médecin. Donc, un enfant ou même un adulte mal alimenté peut développer une ascite. Il y a également, selon elle, les cancers tels le cancer du péritoine, la tuberculose péritonéale, c’est-à-dire que le microbe de la tuberculose peut aussi toucher une autre partie du corps dont le péritoine. Mais plus encore, la prise de certains médicaments entraîne l’ascite. L’automédication est donc un facteur favorable au développement de cette maladie. Même le paracétamol prise excessivement peut être à la base d’une cirrhose du foie qui entraînera très rapidement l’ascite. Il en est de même pour la tisane que consomment à foison les populations, informe-t-elle.

Troubles de la digestion et augmentation du volume de l’abdomen
L’ascite est souvent indolore, c’est-à-dire non douloureuse, explique Vanessa Noukoudodji. Mais ses symptômes sont tout de même faciles à identifier. En général, une personne atteinte de l’ascite, enregistre des troubles de la digestion (anorexie, digestion pénible, troubles du transit intestinal…). On note également une augmentation du volume de l’abdomen accompagnée d’une prise de poids. Chez la femme, on note une aménorrhée, c’est-à-dire une interruption du flux menstruel. On peut également retrouver un œdème des membres inférieurs et un épanchement pleural (le liquide passe entre les deux feuillets de la plèvre qui recouvre les poumons).

Des malades stigmatisés !
Les personnes malades de l’ascite suscitent souvent étonnement et questionnements dans leur environnement. Ce qui est compliqué pour le malade qui se sent mal à l’aise. « Tout le monde vous pose des questions dès que votre abdomen commence à augmenter et que vous prenez du poids. Quand votre ventre commence par augmenter de volume par exemple, vous n’êtes plus le même, car vous n’êtes plus apte à vous mettre les habits que vous avez l’habitude de porter », fait constater le médécin. Le malade est donc stigmatisé du fait des regards et des questionnements, puisque la population en elle-même ne connaît pas le mal. Selon elle, ceux qui en souffrent ont du mal à s’afficher en public, à manger correctement. A peine ils mangent qu’ils se rassasient puisque le volume de l’abdomen ne le leur permet plus.

Attention !
Le diagnostic d’ascite n’est pas simple lorsqu’elle est présente en faible quantité. Ce sont les différents symptômes qui viennent d’être évoqués qui peuvent orienter le médecin. Selon Vanessa Noukoundodji, l’on peut également procéder à une échographie ou à un scanner. Lorsque l’accumulation de liquide atteint deux litres, elle devient visible et facilement identifiable, le ventre étant fortement dilaté par le liquide. Ce qui signifie que le mal n’est facilement identifiable qu’à un stade avancé. Elle est alors confirmée par le signe du glaçon (on donne une impulsion sur le ventre et le foie fait un va-et-vient en venant percuter la main de l’examinateur en retour). Une ponction peut être alors réalisée pour une analyse du liquide d’ascite qui permettra de détecter l’origine du mal : on parle de ponction exploratrice. A en croire Vanessa Noukoundodji, beaucoup de malades viennent se faire soigner dans les centres de santé. Mais dans la majorité des cas, l’ascite n’est détectée que lors du traitement d’autres maladies telles que les troubles digestifs.
Il en est de même pour le traitement de cette maladie qui n’est pas toujours chose aisée. En effet, le traitement de l’ascite correspond au traitement de sa cause, étant donné que c’est la complication d’un mal qui l’entraîne. Il faut donc traiter la maladie ou les facteurs qui ont conduit à cette complication. Si la cause de la maladie n’est pas compliquée, il y a plus de facilité pour le malade de se faire soigner. Par exemple, s’il s’agit des facteurs comme la prise de l’alcool ou de substances médicamenteuses, il suffit que le sujet cesse d’en consommer. Mais, à en croire Vanessa Noukoundodji, le traitement devient compliqué et coûteux lorsque l’ascite est d’origine hépatique, étant donné qu’il n’est pas facile de traiter l’hépatite. « Si déjà l’hépatite a pu entraîner une cirrhose du foie, cela voudrait dire qu’elle est déjà à la phase chronique », rappelle-t-elle. Ainsi, le traitement repose à ce stade sur la ponction du liquide pour l’évacuer (on parle de ponction évacuatrice), afin de permettre un train de vie normal à la personne malade. Ce qui devient coûteux puisque la ponction se fait chaque trois semaines, accompagnée de bilans. Si nécessaire, on met en place une perfusion intraveineuse pour compenser le manque de protéine, d’eau, de sodium, de potassium et de calcium… Si l’ascite est due à une cirrhose, on prescrira un régime sans sel (pas plus de 2,5 g par jour) et des diurétiques. De même, la perte de poids doit être contrôlée et ne doit pas excéder 500 g par jour. Toutes choses qui ne faciliteraient pas l’accès aux soins liés à cette maladie, vu que les moyens de s’en sortir sont exorbitants.
Il est aussi à noter qu’aucune organisation ni programme spécial ne se charge encore de la prévention et de la lutte contre l’ascite. Néanmoins, il existe des spécialistes en la matière, indique Vanessa Noukoundodji. Il s’agit des gastroentérologues ou les médecins internistes qui se chargent des maladies qui touchent à la cavité abdominale. « Les malades peuvent donc se diriger vers les spécialistes dans les grands centres hospitaliers publics ou privés pour se faire soigner », conseille-t-elle.

“L’ascite réduit l’espérance de vie’’
Une personne atteinte d’une ascite connaît dès cet instant une dégénération progressive de son foie, révèle Vanessa Noukoundodji. « Dans cinq à six ans, ce foie ne pourra plus être fonctionnel ; s’en suivront beaucoup d’autres complications du fait de l’inactivité du foie », confie-t-elle. Or, le foie est l’organe qui secrète des enzymes de digestion, de coagulation du sang en cas de blessure…. Il constitue donc une grande machine pour l’être humain. « Si cet organe commence par se dégénérer à partir d’aujourd’hui et entraîne par la suite la production d’épanchement dans la cavité péritonéale, le malade ne pourra plus vivre longtemps. C’est dire donc qu’une personne atteinte de cette complication aura juste cinq à six ans de vie, médicalement parlant », précise-t-elle. Prévenir vaut mieux que guérir. Ainsi, pour prévenir l’ascite, il faut éviter les facteurs de risque des maladies qui sont à l’origine de cette accumulation de liquide. Donc, pour éviter la cirrhose, on évitera la consommation d’alcool. La consommation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène notamment) doit également être limitée chez les patients qui souffrent de cirrhose, ajoute-t-elle. Aussi, « Toute femme qui connaît une perturbation de son cycle menstruel et constatant une augmentation de son abdomen, devrait également se faire examiner, car, cela pourrait être des signes d’une ascite », conclut-elle.



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