Entretien avec Dr Rémy Akpovi : « Les catastrophes naturelles sont exclues des systèmes d’assurance. Ce n’est pas normal… »

7 août 2023

Docteur en droit de l’Environnement, Expert technique de la Protection civile et aide humanitaire et Titulaire d’un diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées (Dess) en Gestion de l’Environnement, Dr Rémy Akpovi est ancien Directeur Départemental de l’Environnement au Ministère du Cadre de Vie et du Développement Durable et actuel Responsable des Affaires domaniales et Environnementales à la Mairie de Savè. Il est également auteur de deux ouvrages, ‘’Le droit des personnes déplacées internes au Bénin’’ et ‘’Le défi de l’assurance des catastrophes naturelles au Bénin’’. Ce dernier ouvrage a été passé, à travers l’interview ci-dessous, au peigne fin. L’auteur a montré l’importance de l’assurance dans la gestion des catastrophes naturelles au Bénin.

Vous qui n’êtes pas du domaine des assurances mais plutôt des catastrophes, qu’est-ce qui vous a décidé à penser à un mécanisme pour assurer les éventuelles catastrophes ?
Je suis spécialisé dans un domaine, celui de l’environnement et des catastrophes naturelles et je réfléchis pour apporter ma modeste contribution à la résolution des problèmes dans ce domaine. L’idée d’écrire ce livre est partie d’un constat. Lorsque les catastrophes naturelles se produisent, elles font beaucoup de victimes et beaucoup de dégâts matériels.
Au nombre de ces dégâts nous avons les biens des particuliers, les infrastructures socio communautaires qui sont des biens publics. Cela veut dire que les catastrophes naturelles font deux catégories de victimes : les particuliers et l’Etat qui ont généralement du mal à se remettre vite des dégâts liés aux catastrophes naturelles or l’économie a besoin de mesures de relance post-catastrophe pour se remettre. En bonne place de ces mesures figure l’assurance. Qui n’existe pas. D’où il est important de mettre en place ce mécanisme.

Il y a des paramètres à prendre en compte en matière d’assurance. Les catastrophes naturelles n’entrent pas dans cette logique de paramètres. Comment est-il possible d’assurer les catastrophes naturelles ?
Exactement ! Le mécanisme assurantiel est basé sur la mutualisation des risques. En termes terre à terre, prenons l’exemple de l’assurance des véhicules. Quand un véhicule assuré fait accident, l’assurance mobilise les primes des autres assurés pour couvrir les dommages subis par le véhicule accidenté.
Par ailleurs, il est rare de voir plus de deux véhicules impliqués dans un même accident. Tel n’est pas le cas des catastrophes naturelles. Quand les catastrophes naturelles surviennent, elles impliquent en même temps un très grand nombre de personnes et les dégâts sont colossaux. Ce n’est pas rentable pour les assureurs qui sont avant tout, des commerçants. C’est pourquoi, les catastrophes naturelles sont par principe exclues des systèmes d’assurance et on dit que les catastrophes naturelles sont « inassurables ».
De nos jours, avant la recrudescence des catastrophes naturelles qui font des dégâts énormes, est-ce que nous allons continuer de voir les victimes se débrouiller et se remettre si cela était possible ? Non, il faut faire quelque chose pour aider les victimes à supporter les chocs des catastrophes, le pouvoir public aussi compris.

Présentez-nous le mécanisme d’assurance des catastrophes tel que vous pensez qu’on peut le mettre en œuvre. Quel est le mode de fonctionnement ?
Nous avons souligné tantôt qu’il y a deux catégories de victimes des catastrophes naturelles : le pouvoir public qui peut perdre beaucoup d’investissement, les infrastructures sociocommunautaires et les particuliers. En ce qui concerne le pouvoir public, il y a des mécanismes d’assurance au niveau des institutions internationales et régionales auxquels le pouvoir public peut souscrire pour mieux gérer les chocs quand ils surviennent. Nous avons mentionné ces institutions et les types d’assurance auxquels le pouvoir public peut souscrire dans notre livre.
Concernant les particuliers, le mécanisme à mettre en place sera basé sur la solidarité nationale. En termes clairs, l’Etat sera le garant de cette assurance. Sur l’initiative de l’Etat, les assureurs vont identifier une police d’assurance obligatoire ou une police d’assurance qui sera rendue obligatoire. Sur cette assurance obligatoire, il sera appliqué une surprime que l’Etat va collecter à travers une institution qui sera créée à cet effet. Cette surprime collectée permettra de gérer les victimes des catastrophes. Le régime de cette assurance sera étudié avec un comité mixte Etat-Assureurs. Nous avons proposé un schéma de ce régime.

En quoi est-il un avantage ou une pertinence aujourd’hui dans un contexte béninois où, il n’y a presque jamais de catastrophes naturelles ?
Ne dites plus qu’il n’y a ou presque jamais de catastrophes au Bénin. Quelle est la définition d’une catastrophe ? Il y a deux choses qui caractérisent une catastrophe : son caractère imprévisible et son ampleur qui dépasse les dispositions en place (les moyens de la communauté victime de la catastrophe).
Il y a bien sûr des situations de catastrophes naturelles au Bénin. Vous vous souvenez les conditions dans lesquelles le gouvernement avait décrété l’état d’urgence le lundi 06 juillet 2009 à travers un communiqué rendu public par le ministre en charge de la sécurité publique.
Par ailleurs, l’avantage ou la pertinence de cette assurance est de deux sortes. D’abord, les articles 15 et 26 de la constitution font obligation à l’Etat de protéger les populations. L’Etat doit être constamment à la recherche de solutions aux problèmes de sécurité et de quiétude des populations. Ensuite, les catastrophes naturelles ne vont pas diminuer. Elles seront plus nombreuses et plus violentes à cause des changements climatiques. Par conséquent le besoin d’assurance est là et va s’imposer tôt ou tard à tous les acteurs du secteur. Cette forme d’assurance n’est pas encore répandue en Afrique de façon générale, le Bénin serait ou ferait partie des pionniers de cette assurance en Afrique au sud du Sahara si cette assurance était adoptée.

Quelle a été la réception de vos propositions par les maisons D’assurance ?
Il faut avouer que les propositions ont été bien accueillies. Ce qu’il faut retenir sur cet aspect, c’est le renchérissement que l’assurance n’est pas profitable pour l’assureur d’où les réticences, l’initiative de l’assurance des catastrophes doit venir de l’Etat et si toutes les conditions sont réunies, les compagnies d’assurance vont valider et appliquer.

Un mot pour finir ?
Je voudrais inviter les différents acteurs publics et privés du secteur des assurances à jouer leur partition pour que l’assurance des catastrophes naturelles soit une réalité au Bénin.
Propos recueillis par Patrice SOKEGBE



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