Fathnelle Djihouessi : « Ce n’est pas vrai de dire qu’on peut entreprendre à partir de 0 FCfa »

19 mars 2024

Titulaire d’un BTS et d’une licence en Gestion des Ressources humaines, Fathnelle Djihouessi excelle dans la confection des sandales, des sacs, des ceintures en cuir et autres matières variées. Après avoir travaillé dans plusieurs entreprises de la place dans plusieurs domaines, son intérêt pour la maroquinerie personnalisée prend le dessus et en 2020, elle lance FathNell, sa marque.

- Qu’est ce qui vous a conduit à la maroquinerie ?

D’abord, la passion. J’avais déjà beaucoup d’amour pour les chaussures. J’aime beaucoup bricoler et je n’aime pas rester dans un environnement crispé. La bureaucratie, ce n’est pas trop mon truc. Ça me saoule vite. J’aime beaucoup m’évader et créer. Cela fait que j’avais beaucoup de mal à rester longtemps en poste dans mes emplois passés. Ensuite, j’ai remarqué que les jeunes sont attirés par les grandes marques venues de l’extérieur. A leurs yeux, l’artisanat est suranné. J’ai alors pensé à créer une marque de maroquinerie artisanale, made in Bénin et très moderne.

Vous démissionnez de votre emploi et vous vous lancez dans un domaine où vous n’aviez aucune formation ou expérience. Sur quoi, comptiez-vous ?

Sourire ! Quand quelque chose me tient à cœur, je ne démords pas. Je fais tout pour l’avoir. Je me suis beaucoup documentée. Aujourd’hui, avec Internet, on peut développer des compétences même sans formation préalable. J’avais une vision précise de ce que je voulais ; il ne restait qu’à le matérialiser. J’ai commencé par faire des croquis et à les faire réaliser par des cordonniers. Au début, ils ne comprenaient pas souvent ce que je désirais et les finitions ne me convenaient pas. Je me suis alors attaché les services de 2 cordonniers professionnels de la sous-région et j’ai continué aussi avec ceux d’ici. Progressivement, la qualité s’est améliorée pour inspirer confiance aux clients de bon goût. Mais le travail se poursuit encore pour que la vision que je porte soit concrétisée.

Diriez-vous que votre formation initiale en gestion des ressources humaines, vous a servi à construire la marque Fathnell ?

Oui ! Franchement (sourire), j’ai fait les ressources humaines simplement parce qu’il fallait bien étudier dans un domaine à l’université et satisfaire les parents. J’étais sans savoir ce que cela pourrait m’apporter plus tard.
Avec mes collaborateurs, il m’a fallu beaucoup de patience et d’humilité. Ça n’a pas été très facile. Cependant, se mettre à leur place pour mieux leur faire cerner mes besoins a permis de créer de bons rapports. Quand je flaire chez un collaborateur qu’il peut répondre efficacement à mes attentes, je crée le cadre qu’il faut pour le stimuler à donner le meilleur de lui. Mais attention ! Nul n’est indispensable.

Devons-nous en déduire que vous travaillez déjà à ce que votre initiative fonctionne sans vous ?
Dans la mesure où je peux coordonner les activités à distance, je peux répondre Oui. Mais pas sur une longue période. Je dois dire que j’ai un défaut : je suis perfectionniste. Peu importe les photos et les commentaires rassurants sur les articles à livrer, il me faut les voir, les toucher et m’assurer personnellement de leur qualité avant qu’ils ne sortent de l’atelier. Je pare ainsi des retours négatifs des clients. En recevoir ne m’honore pas et me blesse. Heureusement, je peux dire qu’avec la petite expérience que j’ai, les fois où des articles sont sortis sans ce dernier contrôle, les retours m’ont agréablement surpris. Je peux gérer les tâches à distance pendant 2 ou 3 semaines mais ne suis pas encore au stade de prendre des vacances. Mon activité est embryonnaire. Il lui faut se développer et se structurer en plusieurs cellules fonctionnelles.

Vous avez insisté sur la patience et le perfectionnisme. Quelles doivent être les autres qualités d’un entrepreneur ?

Il faut de la patience et de l’humilité pour avancer. Le perfectionnisme assure un service de haute qualité. Cependant, il est aussi bien une qualité qu’un défaut. A mes débuts, cela m’a amenée à reprendre plusieurs fois les mêmes articles car j’étais insatisfaite chaque fois et je ne les trouvais pas irréprochables. En le faisant, j’ai perdu beaucoup de temps et gâché beaucoup de matériel. J’ai appris à lâcher un peu prise quand j’ai vu des clients apprécier fortement et acheter ces articles qui me semblaient non aboutis. Par ailleurs, je suis aussi à l’affût de nouveautés et ne cessent de voyager pour cela. Je ne peux pas vous dire tous les risques que j’ai pris pour en arriver juste là. Il en faut quand on veut faire de l’entreprenariat. Autrement non ! Je peux n’avoir qu’1 million et l’utiliser à acquérir une machine sans savoir quoi manger demain. Je me fais confiance et travaille dur pour rentabiliser. Il faut savoir ce qu’on veut réellement. Plus on investit, plus on gagne.

Parlons d’argent. Quelle place a-t-il occupé dans la mise sur pied de votre activité ?
Vous touchez un point important. J’entends les coachs et les développeurs souvent dire qu’on peut entreprendre à partir de 0 FCFA : je pense qu’ils se trompent. Ce n’est pas vrai ! Même si c’est de l’eau que vous voulez vendre, vous ne pouvez pas commencer avec 0 FCFA. Il faut que les jeunes s’ôtent cette idée de la tête. En entreprenariat, on a nécessairement besoin d’argent. Dans mon cas ; j’ai travaillé d’abord, me suis fait des économies et ai démarré avec un fonds de 950.000 FCFA. Je n’avais alors ni machines, ni matières premières, ni local, rien du tout. Tout était stocké dans ma chambre. C’est avec ce petit financement que j’ai commencé. Pour un début, je ne voulais pas du tout contracter un prêt. Pour moi, on peut y penser une fois l’activité en bonne croissance. Pas avant ! J’ai acquis du matériel et autres nécessaires de démarrage mais me suis retrouvée à un moment sans sou pour continuer. Pour lancer la collection "Atcho miton" par exemple, il ne m’a manqué que 200.000 fcfa qui m’ont fait courir et me casser la tête avant de les avoir. Je peux aujourd’hui dire que j’ai pu amortir ces investissements et avoir du matériel en stock. Quand on voyage comme je le fais en quête de nouveauté, on a obligatoirement besoin d’argent.

Comment attirez-vous la clientèle ?

Aujourd’hui si vous n’êtes pas sur les réseaux sociaux, personne ne vous connait. Alors, qui va acheter ? Seulement, une connaissance du quartier ? Je rêve plus grand, ma cible est plus large. Je travaille en conséquence ma communication. A la télévision, vous choisissez le programme et la chaîne que vous voulez. Sur les réseaux sociaux, la publicité et l’information s’imposent à vous quand vous défilez les contenus. C’est un atout intéressant dont je me sers pour me faire connaitre et me donner une bonne visibilité. Que ce soient les photos, les affiches, les textes et autres contenus sur ma page, je les crée et les gère moi-même. Je n’ai pas encore d’équipe pour ça. J’ai acquis des compétences qui me permettent de le faire avec mon téléphone. Je me documente et me forme. Ça m’est très utile surtout quand je n’ai pas d’argent pour solliciter les services d’un graphiste professionnel.

Que diriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient entreprendre ?

Je serai franche : l’entrepreneuriat n’est pas facile et n’est pas pour tout le monde. Connaître sa passion est indispensable pour emprunter cette voie. C’est elle qui permet de travailler sans compter les heures et sans en sentir la fatigue. Développer son talent, se former, s’organiser et savoir investir pour faire croître son idée sont essentiels. Les achats et les dépenses qui ne vont pas dans ce sens sont à éviter même si cela signifie se sacrifier. Mon expérience m’apprend que le courage, la détermination et l’ambition sont sine qua non.


Propos recueillis par Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)



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