Gestion des boues de vidange dans le Grand Nokoué : Sur la route polluante des matières fécales

Fulbert ADJIMEHOSSOU 27 septembre 2020

Dans les villes du Grand Nokoué au Bénin, le secteur de gestion des déchets solides subit de pleins fouets des réformes. Mais à côté, celui des boues de vidange ressent encore plus le besoin de structuration et de modernisation. Pathétique, les matières fécales ne vont pas à la bonne destination.

Dans la nappe souterraine, aux coins de rues ou dans l’océan. A Cotonou et environs, la route des matières fécales est encore problématique. Modeste, la trentaine, résident à Pahou, une agglomération située à 20 km de la capitale économique, s’est toujours plaint de voir des gens de son quartier vider clandestinement une toilette. L’une de ses nombreuses alertes à notre endroit date du 18 juin 2020. « Ils ont encore fait la vidange clandestine hier soir », nous renseigne-t-il à l’aube.
En échangeant avec lui quelques semaines plus tard, on comprend mieux son désarroi. « Un jour, je rentrais quand il pleuvait. Arrivé sur ma Vons, j’ai senti l’odeur de vidange. Mais je n’ai pas croisé de camion-citerne. On ne peut pas respirer. C’est de là que sur renseignements j’ai pu comprendre qu’ils versent des matières fécales dans la brousse. Un autre jour, j’ai encore surpris ça. C’est tard dans la nuit qu’ils le font. C’est un trou qui est creusé pour les recueillir. Quand ils le font, vous avez du mal à respirer », fulmine-t-il.
Cette pratique est loin d’être singulière, dans les nuits profondes, loin de tout regard. Elle est plutôt l’ultime recours de ménages qui peinent à vider leurs toilettes et qui usent de stratagèmes pour retarder le comblement du WC.
Celui que nous appelons David, étudiant a vécu par le passé son lot de calvaire dans le village universitaire à Calavi. Aujourd’hui, bien qu’ayant loué une chambre sanitaire, il garde en souvenir ces moments où aller aux toilettes était comme se rendre en enfer. « On payait 1000 Fcfa par mois au propriétaire pour faire la vidange. Mais, elle n’était pas régulière. Pis, parfois, ils viennent le faire et puis quelques temps après, vous subissez le même calvaire et on finit par se demander si la vidange a été réellement faite, ou juste faite à moitié », témoigne-t-il.

Des condoms, des couches, … dans les WC
Vidangeur depuis 2011, Atachi Gnacadja n’est pas sans connaître cette manie des ménages à retarder la vidange des latrines. « Ils vous disent qu’ils n’ont pas les moyens. Ils attendent des mois, le temps de polluer suffisamment. Parfois, ils prennent des briques pour fermer d’abord », renseigne cet acteur souvent en contact des ménages.
Cette situation, dit-il, est souvent expliquée par des difficultés économiques, surtout au regard de l’insistance des ménages à négocier les tarifs qui sont de 70.000 Fcfa pour une fosse de 12 m3 et de 35.000 pour les fosses de 6 m3. Le tarif payé par le client comprend la redevance à payer à la station de lagunage, les taxes au niveau du poste de péage, une taxe perçue par la commune où est installée la station de lagunage.
Et quand vient le moment de vider les fosses, les collecteurs sollicités vivent leurs lots de calvaire. C’est encore plus pénible quand certains ménages prennent les latrines comme des poubelles « Quand nous venons, tout est déjà solide. La boue a le temps de se mélanger avec du sable. Pour vider, ça nous prend assez de temps. Vous allez y retrouver des pagnes, des condoms, des couches de femmes, l’os, des boites de conserves. Il arrive même qu’on trouve des trucs bizarres si une femme a eu à avorter dans un foyer où elle a loué », précise-t-il.
Pourtant, l’application de la loi 87-015 du 21 Septembre 1987 portant Code d’Hygiène Publique devrait pouvoir mettre fin à ces dérives. D’une part parce qu’en son article 31, elle interdit « tout mélange des matières fécales ou urinaires avec les ordures ménagères », mais d’autre part, elle responsabilise la Police Sanitaire pour verbaliser les ménages qui tardent à vider leurs latrines. Cependant, le contrôle est aussi rare que les dénonciations.

« Ils vont déverser dans la nature »
Mais le comble, c’est quand les services de vidange procèdent aussi à un déversement clandestin de la boue collectée. Accédant au plaidoyer des ménages de ne pouvoir payer les 70.000 Fcfa, ils choisissent la route de la facilité ou du moins, celle de la pollution. Atachi Gnacadja parle d’une désorganisation du secteur. « C’était à 84.000 Fcfa quand je rentrais dans le secteur. Le prix a chuté à cause de notre désorganisation. Il y en a qui vont prendre encore moins et qui jettent dans la brousse. Les ménages ne le sachant pas, préfèrent aller vers ces gens-là parce qu’ils sont moins chers. Nous sommes conscients de ça. Nous en avons arrêté plusieurs. On les a verbalisés. Il y a environ 6 mois, nous avons mis la main sur quelqu’un à Pahou », déclare-t-il.
Il y a de quoi remettre de l’ordre dans la collecte de matières fécales. Autant les ménages et les vidangeurs ont besoin d’être suivis pour limiter les dégâts. « L’association des vidangeurs se bat contre le déversement anarchique. Si on met la main sur quelqu’un, c’est directement chez le Procureur de la République. La Brigade Anti-Pollution nous donne des formations mais la police sanitaire ne travaille pas correctement. C’est elle qui devrait déjà vérifier dans les maisons et mettre la pression sur les ménages à travers des verbalisations. Mais ils sont en train de se préparer pour cela parce qu’ils ont organisé des formations à notre intention sur les précautions sécuritaires à prendre pour ne pas infecter les ménages », ajoute-t-il.
La Police Sanitaire fait de son mieux, avec ses moyens. Mais elle, la Police municipale et la Police environnementale sont encore plus attendues pour remettre les ménages et les vidangeurs sur le droit chemin. Mais au-delà, il urge de s’assurer aussi d’un traitement adéquat des boues collectées. Le site de traitement d’Ekpè à Semè-Podji ne répond plus aux défis actuels du Grand Nokoué. Notre reportage réalisé en mars 2017 en dit long sur la baisse d’efficacité du dispositif érodé par les vagues. Il faudra aussi revoir le choix de la technologie au-delà de la surcharge à laquelle est confrontée la station de lagunage. Celle annoncée pour être construite à Abomey-Calavi est donc très attendue tout comme une politique de valorisation de ces matières.

Conseils d’un spécialiste
Il est recommandé pour les zones à nappes affleurâtes comme Cotonou, Semè-Podji, des latrines étanches. C’est-à-dire dimensionné et construites de sorte que l’effluent ne peut s’infiltrer pour contaminer la nappe. On peut citer par exemple les fosses sceptiques, les latrines améliorées communément appelées VIP et autres. Par contre pour les zones à nappe profonde, la stratégie est de mettre l’accent sur la profondeur des fosses qui doivent être dimensionnées de sorte qu’il y ait une distance d’environ 6 m entre le fond de la fosse et la nappe phréatique. De plus, dans ce cas, il faudra que les fosses soient distantes des points d’eau d’environs 15 m. Ces dispositions permettent de réduire les risques de contamination qui existent entre le contact des fèces et les humains. Pour faciliter une bonne vidange, il faudrait que les latrines soient bien dimensionnées en fonction du nombre d’utilisateurs, de la fréquence de vidange souhaitée par le ménage. Mais aussi les normes de positionnement des fosses et de la cabine doivent être respectées afin qu’elles soient naturellement éclairées pour faciliter la circulation de l’air. Par ailleurs, pour une bonne vidange, les usagers doivent absolument éviter d’y jeter des objets tranchants et pointus, et autres objets difficiles à aspirer. Par ailleurs, il faut signaler qu’il y a un problème crucial de formation au niveau des vidangeurs. N’importe qui ne doit pas se lever pour exercer l’activité dans nos communes. La manipulation de fèces peut occasionner un problème de santé non seulement pour le vidangeur, pour son client mais aussi pour l’environnement. Peu d’entre eux utilisent aujourd’hui les équipements de protection individuels. Ils ignorent peut-être les risques sanitaires auxquels ils s’exposent, y compris la population. Il faut véritablement envisager la professionnalisation de ce métier dans notre pays. Les vidangeurs doivent nécessairement apprendre comment effectuer une vidange de qualité, sécurisée et hygiénique. Mais doivent disposer aussi d’un agrément pour opérer dans nos communes.
Yvan-Noé ADINGNI, Ingénieur Sanitaire, Spécialiste des questions Eau & Assainissement



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