Joséa Bodjrènou sur les difficultés de migration des poissons : « Si rien n’est fait, nous aurons des plans d’eau stériles »

Fulbert ADJIMEHOSSOU 23 octobre 2020

Le 24 octobre, c’est la Journée mondiale de la migration des poissons. Selon Joséa Bodjrènou, Directeur de l’Ong Nature Tropicale, la plus grande menace qui pèse sur les poissons migrateurs est la dégradation, l’altération et la perte d’habitat. De même, les barrages et autres barrières fluviales empêchent les poissons d’atteindre leurs zones de reproduction. A travers cette interview, il propose quelques actions.

Des poissons migrateurs, où peut-on les retrouver au Bénin ?
Nous sommes en zone humide dans le Sud du Bénin. Même dans le Nord, il y a des liaisons entre les cours d’eau. En ce qui concerne le Sud, où nous avons des lacs, proches de la côte, nous avons des exutoires qui permettent de faire la liaison entre ces plans d’eau et l’océan. A Cotonou, il y a le Lac Nokoué qui est en liaison avec l’Océan par l’embouchure. A l’ouest, le Lac Ahémé qui prend par le Chenal Aho et du Côté de Grand-Popo, il y a l’embouchure du Roy. Il y a plusieurs espèces halieutiques, que ce soit des poissons, des crevettes, voire des invertébrés qui sont en mer et qui viennent pendant cette saison dans les lacs pour plusieurs raisons. La première, c’est la reproduction. Ces espèces migrent pour avoir les eaux plus ou moins calmes pour se reproduire. Naturellement, les bébés repartent en mer.

Quels sont les comportements des populations qui peuvent empêcher la migration ?
Les plus connus, ce sont les techniques de pêche. Les populations sont bien informées et savent à quelle période ces poissons migrent. Cependant, c’est malheureusement encore à ces moments qu’elles utilisent des techniques destructives de pêche. Vous allez par exemple à Guézin (sur le lac Ahémé, ndlr), pendant longtemps les spécialistes se sont plaints parce qu’il y avait un blocage systématique par l’utilisation de techniques de pêche qui empêchent la migration. Vous voyiez des engins sur le plan d’eau et qui se présentent comme des entonnoirs. Quand les poissons quittent la mer pour la lagune, ou vice versa, ils sont capturés. En dehors de cette pratique connue, il y a les filets à maille réduite. Les gens utilisent même des moustiquaires. Ce qui est dangereux pour les espèces. S’il n’y a pas de reproduction, il n’y aura pas de relève. A terme, on aura plus des espèces de poissons et de crevettes dans nos plans d’eau.

Prenons le cas du plus grand plan d’eau du Bénin, le lac Nokoué. On sait que le Chenal de Cotonou est en perpétuelle restriction. Qu’y a-t-il lieu de faire ?
Il y a lieu de sauver le chenal. C’est d’abord commencer par limiter les activités humaines autour du chenal qui contribuent à polluer, du fait des déchets qui y sont souvent rejetés. Vous voyez ce comblement à partir de Dantokpa et d’Akpakpa. Le plus grave, c’est que les gens occupent l’espace du chenal, mettent des déchets, puis de la terre pour gagner de l’espace et construire. Il est important que l’Etat prenne ses responsabilités, délimite et empêche les populations de s’y installer.

Une chose est de délimiter, mais il se fait que le chenal est suffisamment comblé, autant que le lac lui-même. Que peut-on faire ?
Draguer le chenal va permettre d’avoir de la profondeur, mais aussi va débarrasser le chenal de toutes ces détritus qui se sont accumulées pendant des dizaines d’années. Il faut le faire, non seulement pour la migration mais aussi pour que les poissons résidents puissent avoir de l’espace pour se multiplier. En dehors du chenal, il faut le faire pour le lac parce qu’il y a eu des comblements qui sont dus au fait que des techniques d’acaja. Ceci fait qu’il n’y a plus d’espace pour la vie des poissons. Quand il n’y a pas d’eau, il n’y a plus de poissons. C’est urgent de le faire, comme on a constaté dans le Mono où il y est prévu des dragages sectoriels. On pourra continuer à profiter de ces services écosystémiques. Il faut y veiller pour ne pas être surpris de la disparition de nos zones humides.

Est-ce à dire que si rien n’est fait, on pourrait allonger, de par nos pratiques, la liste des espèces menacées d’extinction ?
Tout à fait. Quelques fois, les gens s’intéressent aux espèces en ignorant leur habitat. Alors que si l’habitat disparaît, on ne parlera même plus de l’espèce. Vous n’allez pas faire disparaitre des forêts et penser que les éléphants se retrouveront en mer. On ne peut pas faire disparaitre les zones humides et penser que les poissons qui y vivent vont trouver d’autres milieux pour se reproduire. Quand vous prenez les silures, vous n’allez pas les retrouver dans le chenal de Cotonou, parce que ne supportant pas la salinité. Alors que le chenal est influencé par l’Océan. Il faut remonter sur le lac en hauteur. Mais si ces espaces sont détruits, comblés et pollués, cette espèce appréciée de tous va disparaître d’ici peu. Pour préserver donc l’habitat et préserver l’espèce, il faut prendre des mesures. La préservation peut être in situ en gardant l’écosystème intact, mais aussi ex situ. Avec le nombre de consommateurs augmentant, il faut penser à comment les reproduire. Il faut faire l’aquaculture, que ce soit sur les plans d’eau, dans les étangs, etc. C’est urgent de le faire, si non la nature ne peut plus continuer à nous fournir les espèces que nous recherchons.

Parlant d’espèces migratrices, il n’y a pas que les poissons. Il y a aussi les tortues, les baleines, etc. Mais, elles reçoivent peu de protection…
Je crois qu’il y a du sérieux travail à faire dans nos pays. Il y a de ces espèces migratrices, menacées qui sont obligées de vivre dans des espaces non protégés. Nous n’avons pas de site protégé dans les zones humides. Officiellement, il est déclaré que nous avons des sites Ramsar. Qu’on nous dise quel est l’habitat protégé de sorte que quelqu’un ne puisse pas toucher aussi facilement à une espèce. En dehors des forêts sacrées, où la culture participe, les autres espaces sont pratiquement libres. Alors qu’ils accueillent des espèces menacées qui ont l’obligation de venir en ces lieux. Quand nous prenons le cas des tortues marines qui doivent venir sur le littoral, il n’y a pas un centimètre carré de protégé. Un travail sérieux doit se faire et se fait déjà. Nous voulons que ça aille loin pour que les populations puissent vivre en harmonie avec ces espèces. Quand les gens tombent sur le lamantin, il le tue. Nous avons rencontré d’autres phénomènes ces derniers temps. Les gens tuent allègrement les tortues. Vous voyez des tortues égorgées sur la plage. Je crois que l’Etat a besoin de prendre ses responsabilités. Les forestiers et policiers ont besoin d’être sensibilisés pour porter assistance aux éco gardes qui travaillent en bénévole pour la protection de ces espèces. S’il n’y a pas de policiers, les gens se croient tout permis.

Samedi, c’est la journée mondiale de la migration des poissons. Comment Nature Tropicale compte célébrer l’évènement ?
Nature Tropicale a des musées spécialisés sur l’Environnement et la biodiversité. Il y a un à Cotonou et l’autre à Grand-Popo. Notre premier point fort, ce sont les écosystèmes humides. Pendant cette journée portes ouvertes, nous permettrons à tous les visiteurs de venir apprécier ce que nous avons à travers les aquariums, les espèces marines et d’eau douce. Nous allons mettre l’accent sur l’importance des animaux des zones humides et utiliser des vidéos pour montrer les actions qui se mènent pour l’assainissement des plans d’eau. Si rien n’est fait, nous aurons des plans d’eau stériles. L’Etat a décidé de faire l’assainissement. Nous allons utiliser ces images pour sensibiliser pour que les gens comprennent que ce n’est pas pour empêcher les pêcheurs de mener leurs activités mais plutôt dans leur intérêt.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU



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